Une répression coloniale enflamme à nouveau la Kanaky

Le transfert en métropole de sept militantes et militants indépendantistes, suspectés d’être les commanditaires des révoltes qui ont enflammé la Nouvelle-Calédonie depuis la mi-mai, ravive violemment les tensions.

Michel Soudais  • 26 juin 2024
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Une répression coloniale enflamme à nouveau la Kanaky
Un drapeau indépendantiste et un tag « à bas la justice coloniale » sur un pont près du Mont-Dore, à la périphérie de Nouméa, le 25 juin 2024 après que des bâtiments aient été incendiés, dont un commissariat de police et une mairie, en protestation contre la déportation d’indépendantistes en métropole.
© Delphine Mayeur / AFP

La « guerre civile » dont Emmanuel Macron agite le spectre en cas de victoire de ce qu’il appelle « les extrêmes » est déjà là, en Nouvelle-Calédonie. Et c’est lui, Emmanuel Macron, et nul autre qui en porte la responsabilité pour y avoir pratiqué la politique du pire. Depuis la nuit de dimanche à lundi, l’archipel est secoué par une nouvelle flambée de violences dans l’agglomération de Nouméa et en plusieurs point de l’archipel : commissariat, mairie et école incendiés, barrages routiers sur plusieurs routes dont celle de l’aéroport, coups de feu, gendarmerie attaquée, etc.

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Ce nouvel embrasement fait suite au transfèrement en métropole de plusieurs figures indépendantistes placées en détention provisoire. Mercredi 19 juin, onze militants indépendantistes ont été interpellés dans le cadre d’une enquête visant « les commanditaires présumés » des révoltes qui ont enflammé l’archipel depuis le 13 mai. Tous se présentent comme des « combattants de la liberté » et ont toujours publiquement appelé à une mobilisation pacifique contre le dégel du corps électoral, cette réforme constitutionnelle portée depuis un an par Emmanuel Macron, qu’il a finalement choisi de « suspendre » trois jours après la dissolution de l’Assemblée nationale.

Déportation expresse

Confrontés à un juge d’instruction, sept d’entre eux ont été mis dans un avion pour la France dans la nuit de samedi à dimanche, après une audience devant le juge des libertés et de la détention, à huis clos. Direction, sept prisons différentes, à 17 000 km de leurs proches. Du jamais vu depuis la guerre civile des années 1980.

Les avocats ne doutent pas que la décision de transfert a précédé les audiences.

Christian Tein a été placé en détention à Mulhouse (Haut-Rhin). Membre du conseil exécutif de l’Union calédonienne (UC), le principal parti indépendantiste de l’archipel, il est considéré comme le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), ce qui lui vaut d’être mis en examen pour plusieurs chefs d’accusation : association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ou d’un délit, participation à un groupement formé en vue de la commission de dégradations ou de violences volontaires, vols en bande organisée, complicité par instigation ou fourniture de moyens des crimes de meurtres ou de tentatives de meurtre sur les forces de l’ordre.

Frédérique Muliava, envoyée à la maison d’arrêt de Riom (Puy-de-Dôme), est la directrice de cabinet du président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, l’indépendantiste Roch Wamytan. Comme Christian Tein, rappelle Le Monde, elle avait été reçue le 23 mai par Emmanuel Macron lors de sa visite éclair sur le Caillou.

Brenda Wanabo, une responsable associative, également chargée de la communication pour la CCAT, a été transférée à la maison d’arrêt de Dijon (Côte-d’Or). La jeune femme laisse en Nouvelle-Calédonie trois enfants, dont l’un va avoir 4 ans dans quelques jours.

Guillaume Vama, un entrepreneur de 30 ans, soupçonné d’être lié à la CCAT, a été incarcéré à Bourges (Cher). Trois autres suspects, Steeve Unë, Yewa Waetheane et Dimitri Qenegei ont été envoyés respectivement dans les prisons de Blois (Loir-et-Cher), Nevers (Nièvre) et Villefranche-sur-Saône (Rhône).

Une justice coloniale

Ce traitement s’inscrit dans une tradition coloniale inaugurée en 1802 avec la déportation de Toussaint Louverture au fort de Joux.

Les avocats des militants indépendantistes, qui ont découvert les destinations de leurs clients avec stupéfaction, observent que les transferts vers la métropole sont extrêmement rares et concernent habituellement des détenus condamnés et volontaires au départ. En outre, leur organisation peut prendre jusqu’à plusieurs mois. Or là, un avion « spécialement affrété à cette mission », selon un communiqué du procureur de la République, Yves Dupas, était fin prêt. Ils ne doutent pas que la décision de transfert a précédé les audiences.

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Vu les moyens logistiques mis en œuvre, ce traitement d’exception, qui s’inscrit dans une tradition coloniale inaugurée en 1802 avec la déportation de Toussaint Louverture au fort de Joux (Doubs), n’a pu être décidé qu’au plus haut sommet de l’État. Il ravive violemment les tensions dans l’archipel, où les manifestants sur les barrages réclament la libération des prisonniers, privés des visites de leur famille. Et du contact avec leurs avocats. « Avec nos clients en métropole et nous ici, ça va être très compliqué d’organiser une défense correcte », s’inquiète Me Christelle Affoue, l’une d’entre eux.

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