« En Ukraine, la reconstruction est aussi importante que l’aide d’urgence »

O. Kuiantseva et Y. Matviichuk, de Vostok SOS, soulignent les difficultés d’évacuation des personnes âgées et des enfants dans les villages ukrainiens bombardés.

• 12 juin 2024
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« En Ukraine, la reconstruction est aussi importante que l’aide d’urgence »
L'oblast de Kiev.
© Gerhard Reus / Unsplash

En mission en Europe de l’Ouest pour sensibiliser aux actions menées par leur organisation ukrainienne, Vostok SOS, Oksana Kuiantseva, chargée des programmes humanitaires, et Yuliia Matviichuk, chargée des campagnes de plaidoyer, soulignent les difficultés d’évacuation des personnes âgées et des enfants dans les villages bombardés alors que la Russie cible les sites civils avec une intensité accrue.


Nous nous sommes rendues à Paris, Bruxelles et Berlin pour rencontrer des élus, des ONG et des journalistes, afin de faire prendre conscience de l’évolution des besoins humanitaires en Ukraine et de leur complexité. L’ONG Vostok SOS (1) est née en 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie puis de l’occupation du Donbass avec le soutien de Moscou, dans le but d’assister les personnes déplacées et de documenter les crimes de guerre dans l’est du pays – nous avons enregistré quelque 600 cas à ce jour.

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Qui signifie SOS pour l’Est. L’ONG est aussi dénommée East SOS, en anglais.

Depuis l’offensive de Poutine à grande échelle, le 24 février 2022, le champ de notre activité s’est considérablement élargi et couvre l’ensemble du territoire jusqu’à 15 kilomètres de la ligne de front : distributions d’aliments et de nécessaires d’hygiène, équipements de base pour les services d’urgence de première ligne, évacuations et mises à l’abri des personnes, accompagnement pour leur relogement, aide sociale, juridique et psychologique, soutien à l’éducation, plaidoyer, reconstruction… Notre organisation employait 25 personnes. Nous sommes 300 désormais.

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Le financement de cette structure, qui compte des antennes dans une demi-douzaine de villes, provenait au début principalement de dons ukrainiens. Aujourd’hui, nous recevons d’importantes subventions de la part d’organes étrangers – ministère allemand des Affaires étrangères, ambassade suisse, Union européenne, et même US Aid, qui travaille avec nous en direct, ce qui est particulièrement rare pour cet organisme.

Les Russes bombardent parfois jusqu’à cinq fois de suite le même site.

Depuis quelques semaines, nous subissons une nouvelle escalade dans l’offensive russe. Les bombardements se sont intensifiés et visent de plus en plus souvent des objectifs civils, en particulier dans la région frontalière de Kharkiv, deuxième ville du pays avec 1,3 million d’habitants, qui vit à nouveau constamment sous tension. L’armée russe utilise désormais des missiles à très forte charge, capables de détruire d’un coup un bâtiment entier. Elle cible aussi spécifiquement les représentants du gouvernement et les voitures de police qui accompagnent les opérations d’évacuation et de relogement. Mais aussi les équipes de secours et les bénévoles : les Russes bombardent parfois jusqu’à cinq fois de suite le même site.

Il nous paraît indispensable de donner de la visibilité à de nouvelles situations humanitaires, prioritaires pour nous, mais dont on ne perçoit pas immédiatement l’importance dans vos pays. Ainsi, nous faisons face à un afflux de personnes seules venant de villages détruits. Elles se retrouvent totalement démunies, sans logement ni biens, ayant parfois fui sans même avoir pu emporter leurs papiers. Nous en avons dénombré près de 17 000 dans le nord de cette région de Kharkiv. Certaines personnes ont dû parcourir plusieurs kilomètres à pied avant de rejoindre une assistance.

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Et parmi elles, de nombreuses personnes âgées, à la mobilité parfois très limitée. Il est prioritaire de pouvoir les aider, et notamment dans la « zone rouge », une bande 30 kilomètres de large depuis le front, que l’aide gouvernementale n’atteint pas. Il est aussi fondamental de soutenir les services d’urgences et les bénévoles qui y interviennent, ce sont de véritables héroïnes et héros « sans armes ».

Cependant il faut faire comprendre à nos appuis à l’étranger qu’il y a une mixité de réponses à apporter simultanément. Au-delà de l’aide immédiate, il est indispensable d’engager des actions de long terme telles que la reconstruction des logements, notamment pour les personnes qui n’ont pas la capacité de s’en charger. Dans la région de Kharkiv, on dénombre 45 abris temporaires organisés dans des dortoirs universitaires désaffectés, parfois sans ascenseur pour atteindre les étages, alors qu’ils accueillent des personnes âgées à mobilité réduite.

Les enfants restent parfois abrités dans des villages détruits et minés, sans eau ni électricité ni chauffage, ni enseignement.

Autre priorité, les enfants. La situation sur la zone de front nous incite à plaider pour que leur évacuation vers l’arrière soit rendue obligatoire. Ils restent parfois abrités dans des villages détruits et minés, sans eau ni électricité ni chauffage. Ni enseignement, bien sûr. À ce titre, il faut saluer la capacité d’adaptation de la population et des autorités. Kharkiv, par exemple, s’est dotée en six mois d’une école installée dans une station souterraine de métro, avec tous ses équipements, et qui permet d’assurer des cours en présence partielle pour 20 classes !

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