À l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet sauvée par Laurent Wauquiez
Malgré sa lourde défaite aux législatives, le bloc présidentiel conserve le perchoir grâce à un deal avec la droite. La gauche, perdante de cette élection stratégique, dénonce un « vol » politique et cède du terrain pour Matignon.
Le paysage politique s’est profondément transformé. La France est divisée en trois blocs, aucune majorité ne se dessine, le gouvernement est démissionnaire et aucun exécutif alternatif n’est à l’abri de la moindre motion de censure. Mais il y a des choses qui ne changent pas. Comme les deals cachés, les ententes en coulisses, les combinaisons d’appareil… Et à ces petits jeux, le camp présidentiel prouve ce jeudi 18 juillet qu’il fait bien partie de l’ancien monde.
Dans quel but ? Conserver la présidence de l’Assemblée nationale. Un poste hautement stratégique qui prend une toute nouvelle envergure dans la situation politique actuelle où aucune des trois forces politiques ne se détache clairement : le bloc de gauche réunit 191 députés, le bloc centriste 169 et celui d’extrême droite 142.
Au bout de six heures de tractations, la députée Ensemble pour la République des Yvelines, Yaël Braun-Pivet, conserve son poste avec treize voix d’avance (220 votes) au troisième tour de cette élection. Devant le candidat soutenu par tout le Nouveau Front populaire (NFP), André Chassaigne, président du groupe communiste de la Gauche démocrate et républicaine (207 votes). Le candidat du Rassemblement national (RN), Sébastien Chenu (141 votes) arrive troisième. Autres postulants, Naïma Moutchou (Horizons) et Philippe Juvin (Droite républicaine, nouveau nom du groupe des Républicains) se sont retirés après le premier tour. Quant à Charles de Courson (Liot), il s’est désisté après le second.
La présidente sortante de l’hémicycle arrache une victoire à la fin d’une interminable séance commencée à 15 heures, lorsque le doyen de l’Assemblée ouvre la toute nouvelle législature comme le veut la coutume. Le député RN José Gonzalez, 81 ans, tient alors un discours sans grand fond politique. L’élu des Bouches-du-Rhône dénonce les « alliances d’entre-tours pour le moins baroques » et appelle les élus de la chambre basse à l’apaisement : « Personne ne souhaite revivre les débordements malheureux qu’on a pu connaître dans la précédente mandature. »
Répondant à la logique de notabilisation du parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, le discours du député est bien plus consensuel que celui qu’il avait tenu en 2022. Il y a deux ans, il avait pris des accents très nostalgiques lorsqu’il avait évoqué l’Algérie française.
Laurent Wauquiez se vend… cher
Vers 16 heures, les résultats du premier tour ne sont pas encore tombés qu’une rumeur court au Palais-Bourbon : le camp présidentiel se serait entendu avec le groupe de la Droite républicaine, présidé par Laurent Wauquiez, député de la Haute-Loire et futur ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. D’après les termes du deal, le groupe de droite retirerait son candidat, le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin, et voterait en nombre pour Yaël Braun-Pivet en l’échange de trois postes : une vice-présidence, une questure et la présidence de la commission des finances.
Selon L’Opinion, il serait plutôt question de sept postes : deux vice-présidences, dont la première, une questure, la présidence de la commission des finances, mais aussi le poste de rapporteur général du projet de loi de financement de la Sécurité sociale ainsi que deux secrétaires du bureau. La liste de course est longue. Après tout, l’alliance est logique : les troupes d’Emmanuel Macron ont souvent cherché à attirer les voix des députés de droite depuis 2022.
Il faut, parfois, devoir s’entendre avec certaines autres forces politiques.
É. Woerth
Dans le jardin des Quatre Colonnes, Éric Woerth, député macroniste de l’Oise, tente de normaliser ce type d’accord : « Il faut, parfois, devoir s’entendre avec certaines autres forces politiques. Nous essayons de former un bloc stable, solide. Ça nécessite beaucoup de travail. »
Les résultats sont annoncés une heure plus tard : Yaël Braun Pivet obtient 124 voix, Sébastien Chenu 142, Philippe Juvin 48, Naïma Moutchou 38, Charles de Courson 18 et André Chassaigne devance toutes les candidatures avec 200 voix. En coulisses, les négociations vont bon train. Du côté macroniste, c’est Gabriel Attal, à la fois Premier ministre démissionnaire et président des députés du camp présidentiel, qui mène la danse. Le désistement de Naïma Moutchou permet à Ensemble pour la République de consolider sa base en récupérant l’appui des 30 députés Horizons. Et le retrait de Philippe Juvin permet à Yaël Braun-Pivet de se débloquer un nouveau vivier de voix avec les 47 sièges que possède la Droite républicaine.
Le Président laisse penser que lui seul peut, par sa stratégie, décider du destin d’un pays.
S. Rousseau
Dans le camp présidentiel, on explique que cet accord est une sorte de réponse à la main tendue par la droite plus tôt dans la semaine : Laurent Wauquiez et son groupe planchent sur une série de mesures, un « pacte législatif », autour de la maîtrise de la dette, le rétablissement de l’autorité, le contrôle de l’immigration ou les savoirs fondamentaux à l’école. Pour la droite, c’est une manière de proposer une voie de sortie au bloc central macroniste qui peine à s’élargir, sans toutefois accepter de signer un accord de gouvernement.
Le « qui perd gagne » de la macronie
À gauche, on s’engouffre dans cette brèche pour dénoncer, dans ces accords de circonstances, un « déni démocratique ». « Aux législatives, nous sommes arrivés en tête. La logique républicaine voudrait qu’il y ait des reports de voix sur nous. Mais la Macronie est dans un déni de démocratie, Emmanuel Macron est en train de trouver toutes les astuces pour ne pas nous accorder la victoire, estime Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris. Le Président laisse donc penser que lui seul peut, par sa stratégie, décider du destin d’un pays. »
Mais à ce moment-là, la gauche a encore un petit espoir : il faudrait que Charles de Courson se désiste après le deuxième tour et que les 18 députés qui ont voté pour lui au premier se reportent ensuite pour André Chassaigne pour que le communiste remporte le perchoir.
L’espoir est de courte durée. Aux environs de 19 heures, José Gonzalez annonce les résultats du deuxième tour : Yaël Braun-Pivet recueille 210 voix, André Chassaigne 202, Sébastien Chenu 143, et, Charles de Courson avec12 bulletins annonce son retrait. En clair, la candidate macroniste a bel et bien bénéficié des reports de voix de droite. À l’Assemblée nationale, le tabou sur cet accord caché tombe subitement. « Nous sommes responsables. Oui, il y a des discussions pour empêcher les forces chaotiques et dangereuses d’accéder au pouvoir », affirme Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses et député de la Droite républicaine du Val-de-Marne.
Oui, il y a des discussions pour empêcher les forces chaotiques et dangereuses d’accéder au pouvoir.
V. Jeanbrun
« Lorsqu’on interrogera les Français sur leur perception d’un troisième tour aboutissant à la réélection de la présidente sortante qui représente un courant politique qui a connu un grave échec tant aux européennes qu’aux législatives, beaucoup de nos concitoyens vont se poser la question du déni de démocratie. Des arrangements entre partis en contrepartie de postes aboutissent à ce résultat », regrette Charles de Courson.
À 13 voix près
20 h 43, fin du suspens. Au troisième tour, Yaël Braun-Pivet recueille 220 bulletins, André Chassaigne 207 et Sébastien Chenu 141. La présidente sortante de l’Assemblée nationale conserve son poste avec 13 voix d’avance grâce notamment au report de la majeure partie du groupe Liot et, peut-être, au soutien de deux députés d’extrême droite. Prenant la place de José Gonzalez au perchoir, la députée macroniste se lance dans un discours fade. « Les dernières semaines ont été tendues. Nous avons pu voir un pays inquiet, un pays fracturé », dit-elle tout en constatant que « cette assemblée est plus représentative des Français, mais aussi plus divisée ».
Yaël Braun-Pivet considère que les Français ont, lors des législatives, demandé à la classe politique de prendre de nouvelles orientations en matière de services publics, d’emplois, de santé ou de sécurité. En réponse, elle soutient que « ces messages, nous devons les entendre et apporter de nouvelles solutions. Et nous devons apporter ces nouvelles solutions avec de nouvelles méthodes ».
Dépitées, toutes les composantes du NFP tentent de se consoler en répétant que le bloc de gauche, arrivé en tête au premier tour, est le plus stable dans l’Hémicycle. Certains pointent le caractère qu’ils jugent « irréguliers » de ce vote auquel 17 ministres-députés ont pris part (1), tous membres d’un exécutif démissionnaire en charge des affaires courantes jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.
Article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. »
« Un vol démocratique »
Dans la foulée, socialistes, communistes, écologistes et insoumis dénoncent en chœur un « vol démocratique ». « Yaël Braun-Pivet aurait dû avoir la décence de ne pas se présenter, les soutiens du Président auraient dû avoir la décence de reconnaître la défaite. Ils n’ont jamais été aussi faibles, ils n’ont jamais été aussi impuissants. Et pourtant ils s’accrochent par des petits deals de couloirs », pointe Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe Écologiste et social.
Le vote des Français est un vote qui a été volé aujourd’hui par une alliance contre-nature.
A. Chassaigne
Pour le candidat perdant du NFP, André Chassaigne, « nous sommes déterminés à continuer ce combat pour faire en sorte que dans l’Assemblée nous soyons les défenseurs du pouvoir législatif qui ne doit pas être la courroie de transmission de quelque pouvoir exécutif que ce soit, et nous devons faire le constat que le vote des Français est un vote qui a été volé aujourd’hui par une alliance contre-nature ».
Selon Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe de La France insoumise, « l’élection de Yaël Braun-Pivet n’est pas conforme aux résultats des urnes, qui ont montré un désir de rupture chez les Français ». Boris Vallaud, président du groupe socialiste et député des Landes, lance : « Les Français regardent ce moment. Ils ne voulaient plus d’Emmanuel Macron. Et là, ils voient Emmanuel Macron toujours à l’Elysée, Gabriel Attal à Matignon et Yaël Braun-Pivet à l’hôtel de Lassay [la résidence officielle du président de l’Assemblée nationale, N.D.L.R]. C’est dramatique. Et à côté, beaucoup sont prêts à se vendre pour un plat de lentilles. »
Les macronistes ne voient d’alliés qu’à droite
La gauche, qui n’a toujours pas choisi son champion ou sa championne pour Matignon, sait aussi qu’elle vient de céder une nouvelle fois du terrain à Emmanuel Macron. Remporter le perchoir aurait permis de faire passer un message fort au président de la République.
De son côté, le camp présidentiel ne change pas une virgule à son argumentaire. « On a tendu la main à la droite et à la gauche dans les négociations. Mais si le Nouveau Front populaire n’intègre pas qu’il faut accepter de discuter dans la situation actuelle, il ne comprend pas la démocratie, juge Agnès Pannier-Runacher, députée du Pas-de-Calais et ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Aujourd’hui, nous, nous avons pris nos responsabilités. »
« Compte tenu du contexte politique, il est normal de vouloir chercher à construire un accord entre les groupes qui expriment aussi une proximité idéologique. Soit on considère que la France est bloquée, soit on essaie de progresser sur la sécurité, la santé, l’école… Pour cela, nous avons besoin d’alliés, donc on se tourne vers LR », expose Éric Woerth. Et si, en l’espace d’une journée, Emmanuel Macron avait posé les premières pierres d’un nouvel accord avec la droite ?