La gauche remporte la bataille du bureau de l’Assemblée

L’élection du bureau de l’Assemblée nationale a viré à l’avantage de la gauche qui emporte la majorité de ces postes-clés pour l’organisation et la direction des débats. Le RN n’y a aucun élu, tout comme le MoDem. Récit de cette très longue journée qui ne s’est achevée qu’au petit matin.

Michel Soudais  • 19 juillet 2024
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La gauche remporte la bataille du bureau de l’Assemblée
Le Palais Bourbon s’est mis aux couleurs des Jeux olympiques Paris-2024, mais c’est une toute autre compétition qui s’y joue autour des postes clés de l’Assemblée nationale.
© Emmanuel Dunand / AFP

Après l’élection à la présidence, les députés doivent élire le bureau de l’Assemblée nationale. Cette élection, très codifiée à l’article 10 du règlement, n’est traditionnellement qu’une formalité. On peut parier que cette fois ce ne sera pas le cas. On vous explique tout.

Vingt et un membres restent à élire au bureau de l’Assemblée, que présidera donc Yaël Braun-Pivet, réélue hier avec une majorité relative au troisième tour de scrutin :

  • 3 questeurs
  • 6 vice-présidents
  • 12 secrétaires

Ces fonctions sont évidemment assorties chacune d’une indemnité, qui s’ajoute à l’indemnité de base des députés, et pour certains des avantages en nature. BFMTV en ayant fait une recension complète, on vous y renvoie.

À chaque fonction correspond un nombre de points : 4 pour la présidence, 2,5 pour un poste de questeur, 2 pour une vice-présidence, 1 pour un secrétaire. Le total de 35,5 points est, selon le règlement, à partager entre les groupes politiques en fonction de leur effectif. Attention, le calcul est complexe.

Il faut en effet partir des effectifs des groupes. Ils avaient jusqu’à 18 h hier pour faire connaître à la fois leur nom, leur déclaration politique et leur composition. Tout cela est publié dans le Journal officiel paru ce matin, 19 juillet.

Les non-inscrits étant exclus du partage du gâteau, on obtient le tableau suivant :

Si vous avez suivi jusqu’ici, vous aurez compris que, dans le cas d’une application stricte du règlement de l’Assemblée, le groupe présidé par Gabriel Attal, Ensemble pour la République (EPR), ne peut prétendre qu’à une vice-présidence ou un poste de questeur. Il a déjà « mangé » 4 points avec la réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée. Les groupes « Gauche démocratique et républicaine » (GDR), Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) et À Droite ! (Éric Ciotti) peuvent prétendre de droit à un poste de secrétaire.

Le Rassemblement national quant à lui peut retrouver ses deux vice-présidences (4 points), réclamer en outre un poste de questeur et un secrétaire. La France insoumise devrait pouvoir obtenir le troisième questeur et une vice-présidence. Etc.

Il est toutefois peu probable que le règlement soit appliqué à la lettre, pour deux raisons :

1. Dans le deal passé avec Laurent Wauquiez pour assurer la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir, Gabriel Attal a promis à La Droite républicaine (LDR) – qui a perdu une quinzaine de députés –, de retrouver ses deux vice-présidences, dont la première pour Annie Genevard, et le poste de questeur qu’occupait Éric Ciotti. Total : 6,5 points alors que LDR n’en a même pas 3. Si les macronistes veulent respecter leur deal, les postes donnés aux troupes de Wauquiez devront être pris à d’autres. À gauche ? Sylvain Maillard, ancien président du groupe Renaissance, n’a pas caché qu’il ne veut « ni RN, ni LFI » au bureau.

Sur le même sujet : À l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet sauvée par Laurent Wauquiez

2. Inversement, les présidents des quatre groupes de gauche considèrent que « le Rassemblement national n’a pas sa place au bureau de l’une des plus hautes instances de notre République ». Cette instance est en effet la plus haute autorité collégiale de l’Assemblée. Elle « a tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et diriger tous les services », lit-on à l’article 14 du Règlement de l’Assemblée nationale. Le vote des Françaises et des Français le 7 juillet « nous oblige à confirmer le barrage républicain qu’ils ont érigé face à l’extrême droite », écrivent les chefs des groupe de gauche dans une lettre aux présidents des groupes EPR, Horizons, Démocrate et LDR, qu’ils invitaient à ne pas reconduire dans ses vice-présidences. Sans réponse connue de la Macronie, les gauches campaient toujours hier sur cette position.

Faute d’un accord entre les présidents de tous les groupes, qui devaient se réunir ce matin autour de Yaël Braun-Pivet, l’élection du bureau devrait donc donner lieu à plusieurs votes pour départager les candidats. Trois tours de scrutin ne sont pas exclus.


Élection des six vice-présidents

15 h 05. Comme il était prévisible, les 11 présidents de groupe – un record qui témoigne d’une assemblée fragmentée – ne se sont pas entendu ce matin sur une répartition des postes. À l’ouverture de la séance, Yaël Braun-Pivet a donné les noms des huit candidats à la vice-présidence pour six postes. Il s’agit de Nadège Abomangoli (LFI), Xavier Breton (LDR), Sébastien Chenu (RN), Annie Genevard (LDR), Clémence Guetté (LFI), Hélène Laporte (RN), Roland Lescure (EPR), Naïma Moutchou (Horizons).

Un scrutin secret est donc en cours (il en ira vraisemblablement de même pour les postes de questeurs et secrétaires). Les députés doivent voter pour six noms au plus. Au premier et second tour, il faut obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés pour être élu. En cas de troisième tour la majorité relative suffit.

17 h 26. La rumeur courrait depuis quelques minutes. Le premier tour est annulé puisqu’« il est apparu au dépouillement dix enveloppes en trop », a déclaré la présidente de l’Assemblée nationale. Elle aussi fait état de « trop faibles écarts » pour justifier cette annulation. « Du jamais vu à l’assemblée ! a rudement réagit Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI, sur X. Le scrutin pour les vice-présidents est annulé pour 10 enveloppes en trop. Les scrutateurs titulaires étaient seulement RN et macronistes. Yaël Braun-Pivet, nous demandons comme dans toutes les élections, des délégués de tous les candidats pour le dépouillement ! »

Auparavant, la députée LFI Sarah Legrain avait publiquement fait savoir que le bloc macroniste avait officialisé son deal avec les troupes de Laurent Wauquiez : les bulletins qu’ils avaient fait éditer ne comportaient que quatre noms dont les deux candidats LDR. De son côté, le groupe Rassemblement national avait dévoilé son bulletin sur X, qui voulait contrecarrer l’alliance Attal-Wauquiez en rejetant leur deux candidats les plus en vue, mais en votant aussi pour les deux candidates LFI pour le Nouveau Front populaire.

Néanmoins, selon plusieurs sources, des bulletins édités par le RN comportait le nom de Thierry Breton, le commissaire européen, à la place du député LDR de l’Ain Xavier Breton. Une méprise d’amateurs.

19 h 09. Yaël Braun-Pivet annonce enfin le résultat du 1er tour pour les vice-présidences. Quatre députés sont élus avec plus de la moitié des suffrages exprimés :

Un second tour doit désigner encore deux vice-présidents parmi les RN Sébastien Chenu (171 voix) et Hélène Laporte (157 voix), Annie Genevard (LDR, 204 voix) et Roland Lescure (EPR, 204 voix).

Au cours de plusieurs rappels au règlement la droite et les macronistes ont dénoncé l’élection des deux vice-présidentes insoumises avec les voix du RN. C’est pourtant aussi le cas de Naïma Moutchou et Xavier Breton que présentaient de concert les macronistes et le groupe de Laurent Wauquiez.

Autour de 20 h. Le second tour de scrutin permet l’élection des deux derniers vice-présidents. Une partie de la gauche n’ayant pas pris part au scrutin, ces deux candidats ayant été élus, la majorité absolue nécessaire n’est plus que de 216 voix. Roland Lescure (EPR, 273 voix) et Annie Genevard (LDR, 257 voix) passent la barre. Ce qui n’est pas le cas des RN Sébastien Chenu (162 voix) et Hélène Laporte (148 voix) qui occupait cette fonction précédemment à la suite du vote des macronistes en leur faveur en 2022.

Le RN n’obtient cette fois aucune vice-présidence. À ce stade, le barrage républicain que réclamaient les groupes de gauche a fonctionné. Reste à voir ce qu’il en sera avec l’élection des questeurs. Marine Le Pen continue d’en réclamer un. Après une suspension de séance, les opérations de vote pour l’élection des trois questeurs reprendront à 21 h 30. La nuit risque d’être longue à l’Assemblée.


Élection des trois questeurs

À 21 h 32 les députés n’étaient visiblement pas tous rentrés de leur pause dîner quand la présidente de l’Assemblée nationale a donné les noms des quatre candidats aux trois postes de questeurs :

  • Bruno Bilde (RN)
  • Brigitte Klinkert (EPR)
  • Christine Pirès Beaune (PS)
  • Michèle Tabarot (LDR)

Rappelons que le poste a été promis à cette dernière dans l’accord passé entre Gabriel Attal et Laurent Wauquiez quand bien même le groupe du futur ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes vient d’engranger deux vice-présidences, ce qui lui assure une présence au bureau de l’Assemblée nationale sans rapport avec son nombre de députés.

22 h 51. Le dépouillement du premier tour permet l’élection de deux questeures : la socialiste Christine Pirès Beaune (460 voix sur 547 suffrages exprimés) et la macroniste Brigitte Klinkert (401 voix). Le RN est très loin avec 158 voix, quant à Michèle Tabarot (LDR) elle échoue à 13 voix de la majorité requise de 274 voix. Un second tour est nécessaire pour séparer ces deux-là.

23 h 56. Yaël Braun Pivet, enjouée, note que pour la première fois « trois femmes » seront les questeures de l’Assemblée nationale, puisque Michèle Tabarot, avec 251 voix (10 de moins qu’au premier tour), a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour de scrutin. À ces postes, moins connues que les vice-présidents, qui dirigent les débats dans l’hémicycle, elles sont en charge de la gestion administrative et financière de l’institution, fonction pour laquelle elles bénéficient de privilèges conséquents. « Nous avons pris les commandes », rigole la présidente de l’Assemblée. « Il était temps ! »

Le candidat du RN est à nouveau battu. Le parti de Marine Le Pen échoue une fois de plus à emporter un poste clef. Se consolera-t-il avec un poste de secrétaire ? Ou le cordon sanitaire qui s’est manifesté dans les élections des vice-présidences et des questeurs le tiendra-t-il à la porte du bureau ? La réponse viendra tard dans la nuit.


Élection des secrétaires

Il est déjà minuit moins deux quand Yaël Braun Pivet lance le dernier round. Soit l’élection des douze secrétaires du bureau. Seize candidatures ont été enregistrées :

  • Gabriel Amard (LFI)
  • Thibault Bazin (LDR)
  • Christophe Blanchet (Démocrates)
  • Blandine Brocard (Démocrates)
  • Inaki Echaniz (PS)
  • Philippe Gosselin (LDR)
  • Sandrine Josso (Démocrates)
  • Annaïg Le Meur (EPR)
  • Lise Magnier (Horizons)
  • Christophe Naegelen (LIOT)
  • Laurent Panifous (LIOT)
  • Stéphane Peu (GDR)
  • Sébastien Peytavie (Écologiste et social)
  • Eva Saas (Écologiste et social)
  • Sabrina Seibahi (Écologiste et social)
  • Bertrand Sorre (EPR)

L’extrême droite s’est retirée. Ses deux candidates, Edwige Diaz (RN) et Hanane Mansouri (À Droite !), ont préféré jeter l’éponge après l’échec des candidats que présentaient leurs groupes aux deux scrutins précédents. Le RN sera donc totalement absent du bureau de l’Assemblée et ne participera donc pas à l’organisation et la direction des débats. Le cordon sanitaire a totalement fonctionné. On peut aller se coucher.

Épilogue (au réveil)

L’élection des derniers secrétaires a été annoncée à 4 heures du matin. Au fil des heures des députés du bloc des droites sont partis se coucher. Le Nouveau Front populaire en a profité pour présenter au 3e tour quatre candidats supplémentaires, comme le règlement l’autorise. Trois d’entre eux vont ainsi être élus au bout de la nuit à la majorité relative.

Neuf des douze secrétaires sont issus des groupes de gauche :

Au final, avec 12 élus au bureau de l’Assemblée, le Nouveau Front populaire y est majoritaire.

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