Assemblée : la gauche reste aux finances, les deals entre droite, Macronie et RN continuent
La gauche gagne la présidence de la commission des finances et celle des affaires culturelles et de l’éducation. Les Macronistes se taillent la part du lion grâce à l’appui quasi-systématique des députés du Rassemblement national.
Troisième et dernier round. Après la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir et l’élection du bureau de l’Assemblée nationale, c’était au tour des présidences des commissions d’être votées, ce samedi 20 juillet au matin. Des scrutins moins médiatiques mais très stratégiques. Affaires sociales, affaires étrangères, développement durable, lois, affaires culturelles, affaires économiques, finances, défense… Les huit commissions permanentes examinent les projets et propositions de loi en lien avec leur sujet de prédilection.
La présidence d’une commission est synonyme de pouvoir. Autant dire que tous les groupes s’arrachent le moindre poste. Tractations, accords de circonstances… Depuis trois jours dans les salles du Palais-Bourbon, la marmite politicienne est en pleine ébullition.
Coutume républicaine
Sur la ligne de départ, Charles de Courson pour le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), Jean-Philippe Tanguy pour le Rassemblement national (RN), Éric Coquerel, député insoumis soutenu par le Nouveau Front populaire (NFP), et Véronique Louwagie, députée de la Droite républicaine. Cette dernière est défendue par les troupes macronistes en contrepartie du vote des députés de droite pour la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. C’était le deal conclu entre Gabriel Attal et Laurent Wauquiez.
La gauche place beaucoup d’espoir sur ce poste très tactique. Mais un élément peut tout faire capoter : le vote des députés macronistes. Le règlement de l’Assemblée exige que le poste de président de cette commission revienne à un député de l’opposition. Et la coutume républicaine veut que les députés appartenant à des groupes politiques se déclarant dans la majorité ne prennent pas part à cette élection – le Modem, Horizons et Ensemble pour la République (EPR) ont déclaré faire partie de la majorité, ce qui n’est pas le cas de la Droite républicaine, qui a toutefois négocié des postes avec les macronistes.
« Passage en force »
Juste avant le vote, certains députés macronistes sont ambigus sur la position de ces trois groupes. « Le fait de ne pas prendre part au vote est une règle qu’on avait dictée qui était conforme à l’esprit du règlement. Mais les choses partant un peu dans tous les sens… LR est un groupe d’opposition, donc ce sera bien un groupe d’opposition. Ça, c’est intangible », dit le député EPR Éric Woerth. « C’est un passage en force de plus », regrette Éric Coquerel.
La menace se concrétise quelques minutes plus tard. Les macronistes soutiennent en masse la candidate de la droite Véronique Louwagie. « La Macronie ne respecte pas le principe démocratique de base de l’Assemblée. Ce n’est pas à la majorité de choisir ‘son’ opposition », textote Danielle Simonnet, députée de Paris et membre du groupe Écologiste et social. Au premier tour, Véronique Louwagie recueille 27 voix, Éric Coquerel 25, Jean-Philippe Tanguy 18 et Charles de Courson 3. Au deuxième, le score est sensiblement identique. Mais Charles de Courson annonce se retirer.
Nous avons des accords avec Liot car nous avons la même vision sur la place de l’Assemblée nationale.
É. Coquerel
À droite, certains soupçonnent la gauche d’avoir signé un accord express : Charles de Courson se retirerait, ce qui permettrait à Éric Coquerel de bénéficier de trois voix supplémentaires, en l’échange du soutien du NFP si le doyen de l’hémicycle en années de mandat souhaite se présenter au poste de rapporteur général du budget. Un poste d’importance puisqu’il doit présenter aux députés les projets de loi de finances et faire la liaison avec le gouvernement. En clair, un ministre du Budget bis. « Nous avons des accords avec LIOT car nous avons la même vision sur la place de l’Assemblée nationale », estime Éric Coquerel.
Prime à l’ancienneté
Charles de Courson saisit l’opportunité. Il affronte donc Matthias Renault, député RN de la Somme, un ancien collaborateur du groupe depuis 2022 et ex-magistrat financier de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et Jean-René Cazeneuve, député macroniste et ex-rapporteur général du budget entre 2022 et 2024. Après le retrait de Matthias Renault, Jean-René Cazeneuve et Charles de Courson s’affrontent au troisième tour. Égalité parfaite. Mais le règlement de l’Assemblée nationale est clair : c’est le député le plus âgé qui l’emporte dans ces conditions.
À 72 ans, Charles de Courson devient donc rapporteur général du budget et prend la place de son cadet Jean-René Cazeneuve, âgé de 66 ans. « Charles de Courson a bafoué l’esprit de nos institutions, lâche Jean-René Cazeneuve. Ce qui fait le sel de notre institution, c’est qu’il y ait un dialogue au sein de la commission des finances entre l’opposition et la majorité. Et là vous allez avoir un dialogue entre l’opposition et l’opposition avec aucune possibilité de dialogue constructif vis-à-vis de Bercy. » La Macronie se sent volée.
Renvoi d’ascenseur
Autre salle, autre enjeu. Non loin de la commission des finances, celle des lois. Une commission importante puisqu’elle travaille sur les sujets constitutionnels, les droits fondamentaux et les libertés publiques. Le macroniste Florent Boudié, la socialiste Colette Capdevielle et le mariniste Philippe Schreck briguent la présidence. Le premier et la seconde sont au coude-à-coude au premier tour. Même chose au second. Les députés RN demandent alors une suspension de séance : Philippe Schreck se maintient mais, comme par magie, 10 des voix qu’il avait obtenues se reportent sur le candidat macroniste.
Ce deal honteux s’est fait devant nos yeux. Sans les voix du RN, Florent Boudié perdait.
B. Lucas
« Ce deal honteux s’est fait devant nos yeux. Sans les voix du RN, Florent Boudié perdait : nous étions à égalité au deuxième tour. Prêts à tout pour garder le pouvoir quitte à devoir supporter la honte et le déshonneur », lance Colette Capdevielle. « J’y vois une forme de renvoi d’ascenseur. Car sur la loi immigration, Florent Boudié (ancien rapporteur du projet de loi immigration en 2023, N.D.L.R)
a été l’artisan zélé de l’intégration d’un pan entier du programme de Marine Le Pen », analyse le député Génération.s Benjamin Lucas.
Butin
Dans la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, le groupe RN adopte la même stratégie. Alors qu’au deuxième tour, deux voix séparent l’écologiste Lisa Belluco de la macroniste Sandrine Le Feur, cette dernière l’emporte finalement au troisième tour. « Face à une écologiste d’extrême gauche, nous avons fait des choix », justifie Éric Ciotti, député et président du groupe À droite !, allié au RN. Pour la commission des affaires sociales, les troupes de Marine Le Pen préfèrent plutôt retirer leur candidat et Paul Christophe, député Horizons, remporte la présidence face au socialiste Arthur Delaporte.
Face à une écologiste d’extrême gauche, nous avons fait des choix.
Éric Ciotti
« Soit le RN se reporte sur des candidats macronistes, soit des candidats macronistes votent pour tenter de faire élire au bureau de la commission un candidat du Rassemblement national », dénonce Arthur Delaporte qui évoque le cas de Thomas Ménagé, député RN. Selon l’élu socialiste et porte-parole de son groupe à l’Assemblée, les députés macronistes auraient soutenu l’élection de Thomas Ménagé à un poste de vice-président de cette commission en échange du retrait du candidat RN.
Dernière surprise
Pour le reste, ce sont les macronistes et la droite qui se partagent le butin. Le député Ensemble pour la République Antoine Armand devient président des affaires économiques, l’élu du même groupe Jean-Michel Jacques prend la défense et le ministre démissionnaire chargé de l’Europe et élu Modem, Jean-Noël Barrot, est à la tête de la commission des affaires étrangères. La Droite républicaine remporte, en la personne du député Yannick Neuder, la fonction de rapporteur général du budget de la Sécurité sociale.
Nous allons utiliser ces commissions comme des espaces programmatiques pour travailler et porter nos propositions.
Le Rassemblement national et les ciottistes, malgré les combines, n’arrivent pas à ravir ces postes et se posent en victimes de ces jeux parlementaires. « C’est un hold-up démocratique qui exclut la représentation de 11 millions de Français puisque la coalition des droites se voit exclue de toutes représentations », déplore Éric Ciotti.
Mais il y a une dernière surprise : la gauche gagne la présidence de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. La députée socialiste Fatiha Keloua-Hachi bat d’une voix l’élu Modem Erwan Balanant et le RN Philippe Ballard. Une brèche s’ouvre après cette victoire à l’arrachée. « Nous allons utiliser ces commissions comme des espaces programmatiques pour travailler et porter nos propositions », annonce un député de gauche. Après trois jours de tambouille, le Nouveau Front populaire peut enfin souffler.