« Here », le mystère de la présence
Le Belge Bas Devos raconte le début d’une histoire d’amour de façon très originale.
dans l’hebdo N° 1818 Acheter ce numéro
Here / Bas Devos / 1 h 22.
Pour entrer dans certains films, il faudrait pouvoir se laver initialement de nos conditionnements de spectateurs. Ce serait adapté pour Here. En effet, le quatrième long-métrage du Belge Bas Devos obéit très peu aux codes narratifs traditionnels. On fait ainsi progressivement connaissance avec les personnages, et de façon originale. Stefan, ouvrier roumain en bâtiment : on le voit quitter son travail avec ses camarades, se réveiller avec difficulté chez lui tant il est fatigué, puis confectionner une soupe avec les légumes que contient son réfrigérateur, qu’il partagera avec tous ceux qu’il rencontrera ensuite. De même, Shuxiu, une jeune chercheuse d’origine chinoise, est d’abord une voix off qui raconte comment, un matin, les mots n’existant plus dans son esprit, elle se sentait en symbiose avec les choses.
On aura compris que Here ouvre avant tout des espaces-temps. Le premier tient au rythme du film lui-même. La façon dont le récit avance est ainsi liée aux nombreuses images de nature, en particulier celles de parcs citadins (le film se déroule à Bruxelles et à Vilvorde) et de leurs arbres aux feuilles d’un vert intense (c’est l’été). La caméra est continûment sensible à l’instant présent, qui emplit l’écran et vibre comme une onde. Un ami roumain de Stefan, garagiste, dit combien, pour lui, l’anesthésie générale qu’il a subie lors d’une opération du cœur, très différente du sommeil et des rêves qui l’accompagnent, a aboli le temps. Tandis que Shuxiu, bryologue, c’est-à-dire spécialiste des mousses, explique à Stefan que celles-ci « sont les plus anciennes plantes à avoir poussé sur terre ». Et elle ajoute : « Elles nous survivront. »
Économie de moyens
Malgré son économie de moyens, Here se déploie dans de multiples dimensions, souvent complémentaires : le microscopique et l’absolument grand, l’infini et le néant, la solitude et une rencontre. Celle de Shuxiu et de Stefan, qui a pour accroche non leurs (petites) personnes, mais un univers presque infraréel, celui des mousses « que l’on remarque à peine », et qui pourtant renvoie aussi à l’histoire de l’humanité et à sa possible finitude. Here prend le temps d’étonner et d’enchanter. On a rarement raconté la cristallisation d’un amour de cette belle manière.