Marcel Pagnol, un regain d’humanité

Pagnol pétainiste ? Cette accusation a longtemps prospéré, notamment à gauche. Par exemple, une recherche sur internet avec ces deux mots, « Pagnol pétainiste », donne pour première occurrence un article des années 1980 du Monde diplomatique au titre nuancé, « Tentations fascistes » (sic), et aux informations erronées et calomnieuses.

Une scène de La Fille du puisatier sert d’appui à ces dires. La plupart des personnages du film sont réunis devant un poste de radio, écoutant en silence le discours prononcé le 17 juin 1940 par le maréchal Pétain annonçant l’armistice. Ainsi isolée, l’image peut troubler. Mais que se passe-t-il ensuite ? On s’interroge sur la signification des morts de l’armée française défaite. Et un personnage de lancer : « Ils n’ont pas sauvé la France mais ils l’ont prouvé : les morts des batailles perdues sont les raisons de vivre des vaincus. » L’occupant ne s’y est pas trompé : il a interdit le film, jusqu’à ce que Pagnol cède et retire cette scène.

La Fille du puisatier, dont le tournage commença en mai 1940, fut interrompu puis reprit en août, Pagnol y intégrant donc des éléments de la déflagration historique que la France venait de vivre, fait partie des films qui ressortent en copie restaurée, avec la trilogie Marius (1931), Fanny (1932), César (1936) ; Angèle (1934) ; Regain (1937) ; Le Schpountz (1938) ; La Femme du boulanger (1938) et le moyen-métrage moins connu Jofroi (1933).

La condition des femmes

La Fille du puisatier, qui réunissait à l’écran pour la première et dernière fois dans des rôles de même importance Raimu et Fernandel, est l’un des sommets de ce programme. Parce que le film est aussi drôle que tragique ; parce que le profond humanisme qui en émane s’accompagne d’un regard acerbe sur le comportement de la bourgeoisie ; enfin, parce qu’il montre la violence que représente la domination masculine en matière sexuelle et ses conséquences funestes.

La condition des femmes est une constante chez Pagnol. Non que son cinéma développe une critique nourrie du patriarcat, mais d’Angèle à Marius, de Fanny à La Femme du boulanger, les femmes sont les victimes de la brutalité du désir d’hommes sans scrupule. La plupart d’entre elles se retrouvent mères célibataires, un état qui, à l’époque, équivalait à un stigmate déshonorant.

Le père du néoréalisme au cinéma, ce n’est pas moi, c’est toi. 

Rossellini à Pagnol

Regain (adapté de Giono, auteur de prédilection de Pagnol) offre aussi une place de choix à un personnage féminin, Arsule, interprétée par Orane Demazis, dont le talent et la présence à l’écran n’ont rien perdu de leur éclat (on la retrouve dans six des dix films). Arsule subit dans un premier temps la férule du rémouleur Gédémus (Fernandel). Mais elle sort du statut de victime pour devenir active et même déterminante auprès de son compagnon, Panturle, dans la renaissance du village de Haute-Provence où vit celui-ci et qui semblait promis à la déshérence.

Regain est aussi emblématique de la solidarité, de la générosité et de la bonté qui animent la plupart des personnages de Pagnol, qu’ils soient bistrotier sur le Vieux-Port ou paysan dans l’arrière-pays – de la même eau que ceux qu’a mis en scène, à peu près au même moment, Frank Capra outre-Atlantique, ou, quelques décennies plus tard, à Marseille également, Robert Guédiguian.

Plus moderne que folklorique

Après la ressortie l’an dernier des films de Sacha Guitry, c’est donc le tour de ceux de Pagnol – cinquante ans après sa mort. Deux cinéastes de la parole, ayant aussi mené une notable carrière au théâtre. On aurait tort cependant de penser qu’on a affaire à du théâtre filmé. « Pagnol n’est pas un auteur dramatique converti au cinéma, mais l’un des plus grands auteurs de films parlants », a écrit le critique et théoricien du cinéma André Bazin, le père spirituel de la Nouvelle Vague.

Et même si le cinéaste possédait ses propres studios, il n’hésitait pas à tourner en décors naturels. L’une des plus belles séquences se trouve dans Fanny, avec le travelling latéral qui suit Orane Demazis marchant dans Marseille comme une somnambule parce qu’elle vient d’apprendre qu’elle est enceinte. Rossellini avait confié à l’auteur de la trilogie : « Le père du néoréalisme au cinéma, ce n’est pas moi, c’est toi. » Pagnol est décidément bien plus moderne que folklorique.