« Matria » : Ramona sur tous les fronts

Álvaro Gago fait le portrait féministe d’une ouvrière courageuse.

Christophe Kantcheff  • 2 juillet 2024 abonnés
« Matria » : Ramona sur tous les fronts
María Vásquez donne à voir à la fois l’énergie folle et la fragilité de son personnage, son âpreté et sa féminité, son amour pour sa fille et ses rêves d’émancipation.
© Les Alchimistes

Matria / Álvaro Gago / 1 h 39.

Ramona est ouvrière dans une fabrique de conditionnement du poisson, dans la province de Galice, en Espagne. Ne s’en laissant jamais conter, elle se rebelle quand le nouveau propriétaire de l’usine annonce une baisse des salaires. Virée ! Elle court vers son second boulot, plus épisodique : nettoyer un bateau à son retour de pêche. Il va lui falloir vite trouver un nouveau travail. Elle décroche des heures d’aide à domicile chez un vieil homme récemment veuf.

Pour son premier long-métrage, Matria, Álvaro Gago met en scène une mère-courage. C’est en effet pour que sa fille continue ses études sans avoir à travailler que Ramona se démène ainsi. Contre son mari qui la maltraite, elle se défend aussi pied à pied. Mais toute cette énergie dépensée a un coût : le prix à payer est celui d’une certaine solitude, que Ramona compense avec ses copines au cours de parties de rigolade. Tandis qu’elle trouve auprès du veuf un peu de bonté.

Bien mieux qu’À plein temps (2021), le film d’Éric Gravel avec Laure Calamy, parce que plus libre à la fois dans sa forme et dans son intrigue, Matria fait davantage songer à la fougue d’un Ken Loach, n’excluant pas des pointes d’humour. Et comme le cinéaste britannique, Álvaro Gago a des comédiens exceptionnels, en l’occurrence l’interprète de Ramona : María Vásquez. Donnant à voir à la fois l’énergie folle et la fragilité de son personnage, son âpreté et sa féminité, son amour pour sa fille et ses rêves d’émancipation.

Regard féministe

La force du film trouve aussi sa source dans la façon dont le cinéaste considère Ramona. Il porte sur elle un regard féministe : elle n’a pas seulement en tête l’idée que sa fille doit s’élever socialement pour ne pas avoir à vivre son existence de lutte perpétuelle sur tous les fronts, elle aspire également à se donner de l’air, à prendre la tangente, à se libérer corps et âme.

Álvaro Gago réussit son entrée dans le cinéma espagnol, décidément bien vivant, après quelques courts-métrages (dont l’un déjà s’intitulait Matria, esquisse du film d’aujourd’hui). Si son histoire est universelle, il l’a inscrite dans la Galice désindustrialisée, avec ses teintes bleues du ciel et de la mer, des étendues qui appellent aussi à prendre le large.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes