Dans l’Oise, la difficile persuasion des électeurs du Rassemblement national
Une trentaine de personnes ont fait le déplacement, ce 2 juillet, pour essayer de convaincre les électeurs de la troisième circonscription de l’Oise de voter pour Amadou Ka, candidat LFI-NFP. Objectif : convaincre les électeurs macronistes de faire barrage et « tailler » dans l’électorat du RN.
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Barrage au RN : les macronistes joueront-ils le jeu à leur tour ? Face au bloc d’extrême droite et à l’effondrement macroniste, la gauche se voit en rempart républicainChez eux, c’est déjà gagné. Ils sont une trentaine, électeurs et militants de circonscriptions parisiennes déjà acquises au Nouveau Front populaire à s’être donné rendez-vous, sur les coups de 14 heures à la gare du Nord, Paris, direction Creil. Là-bas, dans la troisième circonscription de l’Oise, tout reste à jouer. Le candidat du NFP, Amadou Ka, est arrivé en deuxième position. Face à lui, Alexandre Sabatou, député sortant du Rassemblement national, compte 5 000 voix d’avance après le premier tour. Un retard important que les militants du jour espèrent combler avec une mobilisation massive durant l’entre-deux-tours.
Dans cette circonscription, la dualité entre ville et campagne est exacerbée. Si Amadou Ka a fait le plein de voix (67,3 %) à Creil, la ville dont il est originaire, il n’a convaincu que très peu d’électeurs dans les campagnes environnantes. « Aujourd’hui, on va s’attaquer à ces zones », souligne au groupe de militants Léo, un des organisateurs de ce « convoi de la victoire ». « Avant le premier tour, on a super bien mobilisé les quartiers populaires, on s’est concentré sur les villes, on n’a pas encore mis les pieds dans ces petits villages. C’est l’heure d’y aller », poursuit-il.
En quelques dizaines de minutes, devant la boutique Relay de la gare, les grands enjeux de la circonscription sont expliqués. Désert médical, fermeture de classes, la consigne est donnée : axer le discours sur ce que contient le programme du Nouveau Front populaire sur la question des services publics.
Cibles du jour : deux petites bourgades
Parmi la trentaine de personnes présentes, rares sont les militants aguerris. « Je vends des fruits et légumes. En ce moment, j’ai une période de chômage donc je fais tout pour que le RN ne passe pas », raconte Jérémie, la petite trentaine, qui milite seulement depuis le 10 juin, lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale. Au programme du jour, « envahir » deux petites bourgades à une quinzaine de kilomètres de Creil. Précy-sur-Oise, 3 200 âmes, et Boran-sur-Oise, un peu plus de 2 000. Là-bas, Amadou Ka ne dépasse pas 15 % des suffrages exprimés. Le RN frôle la barre des 50 %. « On essaie de ne pas trop s’éloigner, par mesure de sécurité », glisse un des organisateurs.
Aujourd’hui, les gens ont besoin de tranquillité, c’est leur première demande.
Christian
Plusieurs voitures nous attendent à la gare de Creil. Les militants plus habitués du porte-à-porte sont répartis avec les novices. Une moitié ira à Boran-sur-Oise, l’autre à Précy-sur-Oise. En quelques phrases, Magali, qui organise bénévolement la campagne, nous présente Amadou Ka. Un candidat « issu des quartiers populaires de Creil », de la société civile, éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse. Tout l’inverse, selon elle, du candidat du Rassemblement national, « un député fantôme ». « Il faut appuyer sur cet argument. Les gens, bien souvent, ne l’ont jamais vu. Il n’a jamais rien fait pour elles et eux. »
Nous sommes affectés à Précy-sur-Oise. Notre conducteur, Christian, 70 ans, nous fait une petite visite guidée. Cet ancien secrétaire général de l’union locale de la CGT, raconte, au fil des usines qui défilent, ces luttes passées et la désindustrialisation qui a frappé une partie de la région. « Aujourd’hui, les gens ont besoin de tranquillité, c’est leur première demande », assure-t-il.
Des maisons vidéosurveillées
Pourtant, en arrivant à Précy-sur-Oise, on se demande bien ce qui peut entraver la tranquillité de cette bourgade, visiblement assez aisée – au vu de la taille des maisons et du nombre de piscines – et d’une paisibilité que rien ne semble perturber. Mais, rapidement, les paroles de Christian se vérifient. Sur bon nombre de maisons, les panneaux « vidéosurveillance », « alarme », « attention chien méchant », fleurissent.
J’ai déjà fait mon choix ! Ce sera le Front national.
La quinzaine de militants se dispersent par groupe de deux ou trois. Nous en suivons un, avec Julie*, 28 ans, en thèse de sociologie dans une faculté francilienne et militante écologiste. « Mais jamais pour un parti politique », confie-t-elle. Pendant plus de trois heures, nous la suivons sonner porte après porte, maison après maison, pavillon après pavillon, avec une forme de résilience impressionnante.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Parce que ce serait un mensonge de dire que l’accueil, à Précy-sur-Oise, fut bon. Souvent, au son de « Nouveau Front populaire », les portes se referment sèchement. « J’ai déjà fait mon choix ! Ce sera le Front national », affirme, fièrement, un passant. « C’est pour qui ? », interroge une vieille dame qui préfère ouvrir une fenêtre à l’étage plutôt que la porte à laquelle nous venons de toquer. « Ah, vous ! Hors de question ! », dit-elle à l’évocation de qui nous sommes.
Un peu plus loin, nous croisons, devant un beau pavillon au jardin très soigneusement entretenu, un jeune homme qui ne doit avoir guère plus de 20 ans. En lavant sa voiture, il nous affirme être un des leaders locaux des jeunes avec Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour. « Ah, voilà les jeunes de la France insoumise, endoctrinés dans les universités parisiennes par l’islamo-gauchisme et le wokisme. » Joli bingo. On trace notre route, ce n’est pas ce genre de personnes que Julie est venue essayer de convaincre aujourd’hui.
Des mamans indécises à l’écoute
La cible, ce sont plutôt les « indécis », qui n’ont pas voté au premier tour ou pour le Rassemblement national par dépit… pour peu qu’il en existe vraiment ici. Dans les hauteurs de Précy, on tombe sur une jeune femme enceinte. Elle ne sait pas encore pour qui voter. Du moins c’est ce qu’elle nous dit. La discussion s’engage. Si elle souhaitait qu’une chose change, qu’est-ce que ce serait ? « Les aides sociales », répond-elle, du tac au tac. C’est à dire ? « Qu’il y en ait moins ! Aujourd’hui on gagne autant en ne foutant rien, que nous quand on bosse », assure-t-elle.
S’ensuit un échange d’une dizaine de minutes. « Les allocations ça permet d’aider des gens qui peuvent avoir des difficultés, un souci de santé. Et puis, pour que le travail paie mieux, le Nouveau Front populaire propose l’indexation des salaires sur l’inflation, une meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu », expliquent les militants.
La future maman écoute, attentive. Elle ne connaissait pas ces mesures. Elle prend le tract et nous remercie. Convaincue ? Impossible à dire. Peut-être. « Au moins, on a pu discuter avec elle ! ». Dans le centre-ville, ce n’est pas une future mais une toute nouvelle maman qui nous ouvre la porte. Elle non plus ne sait pas pour qui elle votera dimanche. « Moi, ma famille est de droite par tradition », glisse-t-elle. Son sujet premier de préoccupation ? « L’écologie. » Le terrain semble propice et la discussion s’avère plutôt ouverte et franche.
On savait très bien qu’avec le peu de temps qu’on a eu, on n’allait pas faire de miracles sur les territoires ruraux…
A. Ka
Vite, la jeune maman ne cache pas non plus qu’elle a l’impression que « les jeunes qui ne sont pas ouverts, sur les juifs, sur les LGBT, ce sont les musulmans ». Remettre en question cette idée et axer sur l’importance d’une école publique avec des moyens pour enseigner la tolérance et l’ouverture aux autres, voici l’axe choisi par les militants. Finalement, elle prendra, elle aussi, le tract, semblant plutôt convaincue. Mais ira-t-elle voter le 7 ?
Labourer le terrain, toujours
19 h 30, fin de l’opération. Ceux qui sont restés jusque-là, les plus courageux, débriefent rapidement devant l’église du village. Magali note qu’un militant du PS est venu donner un coup de main. Un fait notable, alors que les bisbilles entre militants locaux sont importantes, du fait du choix de ce candidat issu de la société civile qui a déplu fortement au maire de Creil et aux insoumis locaux, qui s’y voyaient déjà. Amadou Ka, le candidat, est aussi là. Il a également participé à ce grand porte-à-porte. « On savait très bien qu’avec le peu de temps qu’on a eu, on n’allait pas faire de miracles sur les territoires ruraux, explique-t-il, et maintenant, sur l’entre-deux-tours, on veut aller chercher ceux qui hésitent encore, notamment ici. »
En près de quatre heures, Précy-sur-Oise a été passé au peigne fin. Dans toutes les boîtes aux lettres, il y a désormais un tract pour Amadou Ka. De nombreuses portes ont été ouvertes, des conversations enclenchées. Les retours sont tous les mêmes : remarques racistes, stigmatisation. Mais, ici et là, quelques portes se sont ouvertes sur des sourires, des questions, parfois. Quelques personnes ont été convaincues. Combien ? 10, 20, 30 ? Personne ne sait vraiment. On pense déjà au lendemain. Un nouveau convoi venant de Paris est déjà prévu. Plusieurs dizaines de militants sont de nouveau attendus. Jusqu’au 5 juillet, 23 h 59, la stratégie ne change pas. Labourer le terrain, toujours. Seule manière de contrer la vague brune.
Face au RN, mobilisation générale ! , Contre le RN, le rempart républicain et "Ils ne passeront pas !"
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