De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan

Au cours d’une semaine de mobilisation contre les mégabassines, des milliers manifestants se sont rassemblés dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la terre et de Bassines Non Merci. Les 19 et 20 juillet, les militants ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire. Récit et photos.

Maxime Sirvins  • 22 juillet 2024
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De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan
© Maxime Sirvins

« Mais ils sont complètement malades », crie une jeune femme face à un mur de flamme. Vendredi 19 juillet, la marche contre les mégabassines à Migné-Auxances, dans la Vienne – dans le cadre d’une mobilisation de plusieurs jours à l’appel de Bassines Non Merci et des Soulèvements de la Terre –, est rapidement interrompue par un incendie déclenché par les gendarmes. Sous un soleil écrasant, les milliers de manifestants présents ont droit à une belle frayeur, quand trois grenades lacrymogènes calcinent un champ andainé.

« Dépêchez-vous ! Les flammes avancent ! », hurle un homme au visage masqué, alors que le cortège se retrouve bientôt coupé en deux par les flammes. Au-dessus, un hélicoptère de la gendarmerie crache un message équivalent. « Le feu progresse vers vous, rejoignez les zones vertes ! » En retour, les manifestants scandent « ACAB » (1) en levant leurs plus beaux majeurs en direction de l’appareil.

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« All cops are bastards ».

(Photo : Maxime Sirvins.)

La politique de la terre brûlée

Entraînés par une fanfare, les jeunes militants – certains déguisés, d’autres équipés de masques à gaz –, les agriculteurs, familles et syndicalistes présents, se regroupent pour reprendre la marche. Mais au bout de seulement quelques minutes, ébranlés par l’incendie, ils tombent de nouveau nez à nez avec des gendarmes au bout d’un chemin. La décision est rapidement prise : la manifestation est terminée et tout le monde est invité à rentrer dans le calme. « On ne peut pas prendre le risque de continuer, il faut se replier », explique Julien Le Guet, figure emblématique de la lutte contre les mégabassines. 

Au même moment, un autre groupe, en vélo, arrive à atteindre des mégabassines. Accompagné·e·s des Naturalistes des terres, les militants « ont utilisé des cerfs-volants chargés d’un colis surprise. » En lâchant des lentilles d’eau dans une bassine, ils espèrent que celles-ci, en proliférant dans l’eau stagnante, boucheront rapidement les pompes et tuyaux. Une victoire discrète face à l’interruption de la marche principale. 

« On abandonne déjà ? » (Photo : Maxime Sirvins.)

« On abandonne déjà ? » Pour certains militants, après une marche sous un soleil de plomb, c’est la douche froide et la décision d’interrompre la marche ne passe pas. « Ils savaient très bien qu’il y allait avoir les gendarmes et qu’on allait crever de chaud, râle un jeune se sentant trahi. Pourquoi ils ont fait la marche alors si c’est pour faire demi-tour si vite ? » Pour les organisateurs, il faut à tout prix éviter de reproduire le scénario de la marche de mars 2023 à Sainte-Soline, où 5000 grenades avaient été tirées en un peu plus d’une heure, provocant des dizaines de blessés graves. 

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La cible, une usine du semencier Cérience classée Seveso, filiale de la coopérative agricole Terrena, ne sera pas atteinte. Quelques minutes avant le départ de la marche, lors d’un pique-nique festif, l’organisation avait expliqué vouloir marcher « vers un site emblématique de l’agro-industrie » pour « tenter un geste symbolique d’expropriation. » Le groupe est considéré comme « un des principaux promoteurs des mégabassines dans le Poitou » selon les Soulèvements de la Terre.

3000 gendarmes et policiers

Le site, situé au nord de Poitiers, n’était pas le plan convoité au début. La veille, divers points de rassemblement avaient été fixés pour se rendre au petit matin dans la forêt de Saint-Sauvant, un village situé à environ quarante kilomètres au sud de Poitiers. Un projet de mégabassine doit y démarrer en septembre. Peu avant midi, le plan est abandonné face à la pression des forces de l’ordre et aux diverses interdictions de manifester. Il faut dire que le dispositif de la gendarmerie avait de quoi impressionner : pas moins de 20 escadrons de gendarmeries mobiles, 5 hélicoptères et plusieurs blindés de type Centaure. 3000 membres des forces de l’ordre ont été mobilisés en tout. 

(Photo : Maxime Sirvins.)

« Je me suis fait contrôler au moins quatre fois depuis ce matin », raconte un militant au regard fatigué. D’autres personnes expliquent s’être fait confisquer les sardines de leurs tentes, des vêtements noirs ou bouchons d’oreilles. Alors qu’une interdiction de transport d’essence était en cours, certains gendarmes sont allés jusqu’à renifler l’intérieur des gourdes. Avant la manifestation, alors que des militants quittaient le point de rendez-vous de Poitiers, les forces de l’ordre avaient bloqué pendant plus de deux heures le convoi. Dans les Deux-Sèvres, au village de l’eau installé à Melle, les militants ont décidé de rejoindre leurs voitures en cortège pédestre pour éviter les contrôles. En réponse, les gendarmes ont fait usage de plusieurs grenades lacrymogènes.

Village de l’eau

Ce village de l’eau verra passer environ 10 000 personnes, venues de France et de l’étranger. Mis en place depuis le 16 juillet à Melle dans les Deux-Sèvres, par Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre, le camp « se propose d’être un lieu de convivialité politique pour s’informer sur les combats » paysans, écologistes et sociaux et pour « échanger avec une foule de militant.e.s, de paysan.ne.s et de collectifs internationaux engagé.e.s en faveur de la défense des communs et de la justice sociale et climatique. » Sur place, plus de 120 organisations sont présentes et un large planning est proposé entre conférences, concerts et formations pendant six jours. 

(Photo : Maxime Sirvins.)
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Dans le village, le vendredi soir est festif malgré la « défaite » du jour. Celles et ceux désirant manifester savent bien que le lendemain, une nouvelle d’action est prévue à La Rochelle. Jusqu’à présent, les mobilisations contre les mégabassines se déroulaient exclusivement dans les zones rurales. Cette fois-ci, les organisateurs veulent attirer l’attention sur le terminal agro-industriel du port de La Pallice, par lequel sont exportées de grandes quantités de céréales. Il est perçu par les militants comme « une pierre angulaire du système agro-industriel destructeur. ». Les participants sont invités à ramener « des canoës, paddles, kayak et bateaux gonflables ». 

Un deuxième rassemblement massif

Il va y a voir énormément de contrôles donc, partez à l’avance et faite attention à vous.

Samedi 20 juillet, pour se rendre à La Rochelle, les gens commencent à quitter le village de l’eau dès cinq heures du matin alors que d’autres en sont même partis la veille. « Il va y a voir énormément de contrôles donc, partez à l’avance et faite attention à vous », a prévenu l’organisation. Elle ne s’est pas trompée. Que ce soit sur l’application Waze ou sur « Infotraflics », une carte prévue à l’occasion, les signalements des contrôles sont impressionnants. Pour faire les 100 km entre Melle et La Rochelle, Politis devra subir six contrôles et mettra deux fois plus de temps que prévu pour arriver à destination. « Ce n’est pas possible, ils font ça uniquement pour nous ralentir », s’agace une jeune militante écolo alors que des embouteillages se créent à chaque rond-point. 

À partir de 10 heures, des milliers de manifestants se regroupent dans le grand parc Charruyer de la ville, alors qu’une grosse centaine de personnes venues de l’île de Ré entament un blocage surprise de l’entreprise Soufflet sur le port. « En bloquant l’un des sites de Soufflet Négoce, nous bloquons ceux qui s’accaparent la valeur des céréales produites par les agriculteurs pour de la spéculation financière, ceux qui détruisent les revenus des paysan·nes pour faire grossir les leurs », expliquent les Soulèvements de la Terre.

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Cette fois-ci, la foule est massive. Pour preuve, l’organisation a prévu plus de 10 000 sandwichs qui seront tous distribués. Vers 14 h, deux cortèges s’élancent vers le port de La Pallice – l’un, familial, longera la côte, l’autre passera par les rues la ville. C’est le deuxième cortège que Politis va suivre. K-ways noirs, banderoles et boucliers, ici la détermination fait loi. Sur la route, les poubelles de verres sont pillées et les autres emportées pour servir de futures barricades. Les militants savent que l’affrontement est inévitable pour rejoindre le port. Arrivé à un rond-point, le cortège s’arrête. En face, un barrage de gendarmes mobiles. C’est l’heure. 

(Photos : Maxime Sirvins.)

« Ça charge ! »

Une barricade se monte à la va-vite et le bloc semble un peu perdu. Composé de personnes de toute la France et d’étrangers, le terrain n’est pas familier. « Ça charge ! » Le suspense est de courte durée quand les gendarmes se mettent à avancer tout en tirant des grenades lacrymogènes. « Ne courez pas et restez groupés ! », hurlent les militants. Dans la rue, relativement étroite, le bloc fait face et recul petit à petit face à l’avancée des forces de l’ordre, qui continue de tirer des grenades. Le repli tactique est en fait impossible. À l’arrière, les CRS chargent à grands coups de matraques. 

(Photo : Maxime Sirvins.)

Coincés, mais soudés, les militants font preuve d’une solidarité impressionnante. Alors que les boucliers et projectiles tiennent la ligne, les moins équipés, déterminés ou les plus effrayés, cherchent à fuir. Certains escaladent des murets, d’autres traversent des buissons à quatre pattes comme ce groupe d’Italiens qui surgit d’une très épaisse haie. « Je n’arrive plus à respirer », lâche difficilement un manifestant qui suffoque au milieu des médics.

Je n’arrive plus à respirer.

Après de longues minutes coincé dans les lacrymogènes, le cortège – où certains étouffent – arrive à s’extirper par une petite ruelle. La tension baisse légèrement et alors que le soleil assomme le groupe, certains essaient de se retrouver en hurlant les pseudonymes des camarades. Le bilan commence à se faire aussi. Alors qu’un homme se fait bander la tête en sang, des rumeurs de blessés graves se propagent. « Ils cherchent de la morphine au poste de secours, je crois », raconte un jeune homme. 

(Photo : Maxime Sirvins.)

Pour s’extirper de ce bourbier et continuer la lutte, décision est prise de rejoindre l’autre cortège qui revient du port. Poursuivis par les forces de l’ordre, il faudra de longues minutes au groupe pour retrouver les autres camarades, sous les cris et applaudissements. Le premier groupe a, lui, réussi sa mission. Arrivés sur une plage, quelques dizaines de militants se sont élancés vers le port avec des kayaks ou autres.

Le bouquet final

J’ai deux passions, la fanfare, la révolution, vive les blocages, les sabotages, les ZAD et les manifs sauvages.

Tout le monde décide de revenir au parc pour ensuite mettre fin à la journée de mobilisation. Mais la route est bloquée par des CRS et des gendarmes et un camion à eau. Un détour s’avère nécessaire. Après un moment de calme, la tension reprend après un tir de mortier d’artifice qui déclenche une pluie de grenades et une charge brutale. Le retour semble interminable pour la foule exténuée. La fin sera néanmoins d’une rare légèreté pour ce genre de manifestation. 

(Photo : Maxime Sirvins.)

De retour au parc, la foule s’avance vers la plage de la Concurrence, déjà bien remplie. Une centaine de manifestants laisse tomber les vêtements et se jette dans l’océan. Dans un moment de communion, le groupe chante et danse, alors que la fanfare les rejoint rapidement. « No Bassaran ! » ou « Et ils sont où les écoterroristes ? », les slogans s’enchaînent, la pression redescend et la légèreté prend le dessus. C’est sur cette belle note que les derniers manifestants opposés aux mégabassines rentrent chez eux ou au village de l’eau, qui pliera bagage le lendemain. Avec ce chant qui reste dans les oreilles : « J’ai deux passions, la fanfare, la révolution, vive les blocages, les sabotages, les ZAD et les manifs sauvages. »

(Photo : Maxime Sirvins.)
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