« Descente au paradis », la transfiguration du monde
L’exposition « Descente au paradis » met en relief la fécondité saisissante – dans la forme comme sur le fond – de la pratique artistique de Kader Attia, à la fois poétique et politique.
dans l’hebdo N° 1818 Acheter ce numéro
Descente au paradis / Kader Attia / jusqu’au 22 septembre, au Moco, Montpellier (34).
Accueillie par l’Hôtel des collections (site principal du MoCo, à Montpellier), l’exposition « Descente au paradis » propose une traversée de l’univers protéiforme de Kader Attia. S’inspirant de la manière dont la visite s’effectue au sein de ce musée (du premier étage au sous-sol), et se référant à La Divine Comédie de Dante, l’artiste français a imaginé ici – en dialogue étroit avec Numa Hambursin, directeur du MoCo – un parcours divisé en trois grandes parties : Purgatoire, Enfers et Paradis. Y figurent une quarantaine d’œuvres, certaines inédites, aux formes d’expression variées (photo, installation, sculpture, vidéo, collage…).
Très bien mis en espace, avec une stimulante mise en relation dialectique des œuvres, ce cheminement presque initiatique entraîne sur les pas d’un créateur qui tend à poétiser le réel, aussi éprouvant soit-il, en exprimant un rapport politique et/ou philosophique au monde. « Sur la base de la poésie, je porte beaucoup d’espoir pour l’humanité », précise Kader Attia dans l’entretien à lire au début du livret de l’exposition.
Réparation et blessure
Constituant une sorte de sas introductif, les premières salles présentent des œuvres qui témoignent de la pluralité de son langage artistique et révèlent ses grands axes thématiques. Apparaissent d’abord les photos lumineuses de la série « Rochers carrés », montrant sous divers angles une plage d’Alger hérissée d’imposants blocs de béton, avec la mer en arrière-plan et l’Europe en horizon lointain, nimbé de l’espoir d’une vie meilleure.
Se découvrent ensuite notamment des plats en terre cassés et reconstitués, sortes de sculptures-sutures, ainsi que des toiles striées d’une partie recousue très apparente, pareille à une cicatrice de tissu. Kader Attia creuse depuis longtemps les notions corrélées de réparation et de blessure. « La réparation est impossible à imaginer sans le préalable de la blessure. On ne peut pas penser réparation sans penser blessure. Panser blessure. » Signalons ici encore Oil and Sugar #2, une courte vidéo qui donne à voir un amas de morceaux de sucre blanc imbibé – et inexorablement démoli – par du pétrole. Ce mini-film catastrophe ouvre au max le champ de l’interprétation, faisant penser par exemple au désastre écologique engendré par l’avidité économique.
On accède ensuite au Purgatoire, où se répand d’entrée La Mer morte, installation qui se compose de vêtements aux diverses nuances de bleu éparpillés sur le sol, vestiges d’un naufrage fatal – une représentation frappante des tragédies migratoires contemporaines. Un peu plus loin se dresse un long grillage dans lequel sont encastrés par endroits des cailloux (On n’emprisonne pas les idées). « Des éléments très simples, une grille et des cailloux, créent de la poésie. Cette œuvre est aussi politique par sa symbolique, mais son message relève d’une dimension politique polysémique. » À côté, sur un mur, scintille une inscription au néon pointant avec une simplicité proprement lumineuse le péril diabolique au cœur de la démocratie (Demo(n)cracy).
Gueules cassées
Aux Enfers règnent presque sans répit la violence et la guerre, (trans) figurées via, entre autres, une série de sculptures en bois inspirées des « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale (Culture, Another Nature Repaired) et une nuée de prothèses de jambes et de bras suspendues au plafond (On Silence). Apportant tout de même in fine une forme d’apaisement, un orchestre mécanique constitué de bâtons de pluie, qui se mettent en mouvement et produisent du son ruisselant à intervalles réguliers, offre une transition douce avec le Paradis en sous-sol.
Dans la pénombre, celui-ci a pour élément central un diptyque vidéo sur grand écran (Pluvialité #1). Tourné au nord de la Thaïlande, notamment sur des sites religieux, le film – 20 minutes – évoque l’inépuisable (?) capacité de transformation de l’être humain et de la nature, symbolisée par la pluie. De cet espace final, où se trouvent également de superbes sculptures composées de copies de masques africains et d’éclats de miroirs (Mirrors and Masks), émane une sensation de profonde sérénité : un avant-goût de paradis ?