« Désormais tout commence »

Une mobilisation historique de la société civile a permis au Nouveau Front populaire de déjouer les pronostics le 7 juillet. Malgré cette première victoire, tous et toutes appellent à la vigilance et à la construction d’un vrai mouvement de fond pour contrer l’extrême droite.

Pierre Jequier-Zalc  • 10 juillet 2024
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« Désormais tout commence »
Rassemblement place de la République, à Paris, le 7 juillet 2024, au soir des résultats du second tout des élections législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

Le ouf a été immense. Au niveau du gouffre qui menaçait. En élisant 182 députés du Nouveau Front populaire (NFP) – plus 13 « divers gauche » – dimanche 7 juillet, les Français ont accordé à la gauche une majorité relative. Une victoire aussi réjouissante qu’inattendue qui doit beaucoup à une forte mobilisation de nombreux acteurs de la société civile. « C’est vraiment réjouissant que ça ait dépassé les partis », souligne Lumir Lapray, activiste au sein de collectifs citoyens qui ont activement participé à la campagne sur le terrain. « Donc, bien sûr, il faut savourer, mais aussi se placer dans une perspective de long terme. Et c’est peu dire qu’on n’a pas le vent dans le dos », poursuit-elle.

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Ce son de cloche est partagé par l’intégralité de nos interlocuteurs, qu’ils soient leaders de syndicat, d’association environnementale ou chercheurs. « Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher », assène Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa, qui fait partie des cinq syndicats à avoir explicitement appelé à faire barrage au RN.

Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher.

D. Corona

Tous s’accordent pour dire que la première chose à faire pour faire reculer l’extrême droite est, le plus rapidement possible, de mettre en œuvre les politiques sociales ambitieuses du NFP. « Notre rôle, justement, est de continuer à pousser pour que le NFP tienne ses engagements », explique l’économiste Julia Cagé, qui liste trois mesures sur lesquelles un futur gouvernement du NFP ne devra absolument pas tergiverser. « La hausse du Smic à 1 600 euros, l’abrogation de la réforme des retraites, la mise en place d’un ISF efficace. Sur ces sujets-là, il ne faudra pas couper la poire en deux. Nous serons là pour le leur rappeler », promet-elle.

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« Même avec un gouvernement du NFP, il y aura besoin de nos luttes sociales et écologiques, abonde Murielle Guilbert, codéléguée générale à l’Union syndicale Solidaires, à la fois pour appuyer ce qui se fait dans l’Hémicycle en montrant la légitimité des revendications sociales dans une assemblée où la gauche n’est pas majoritaire, et pour aller plus loin. » Elle rappelle ainsi que son organisation syndicale reste indépendante du NFP, et donc libre de toutes ses actions. Tout comme Greenpeace France qui le souligne, par la voix de son directeur général, Jean-François Julliard : « Dès le début, on a dit qu’on soutenait ce programme car c’est le plus ambitieux, mais ce n’est pas pour autant un chèque en blanc. Notre rôle sera d’être une vigie démocratique pour que les mesures soient réellement mises en œuvre. »

Reconquérir les électeurs du RN

Tous, forcément, ont en tête les dernières fois où la gauche a accédé au pouvoir. De l’attente que cela a créé, et de la déception qui a été engendrée par de trop nombreux renoncements et, pire, par l’application de réformes libérales. « Là, il faut montrer aux électeurs du RN qu’une vraie politique de gauche ambitieuse leur bénéficiera. En se donnant les moyens financiers de construire de nouveaux hôpitaux, de mieux couvrir le territoire de trains, en faisant la gratuité réelle de l’école, les électeurs RN reviendront vers la gauche », veut croire Julia Cagé.

La question de la reconquête des électeurs du Rassemblement national est en effet dans toutes les têtes. Car si la forte mobilisation populaire a évité le pire ce 7 juillet, le parti à la flamme a encore gagné plus de cinquante députés par rapport à 2022. S’installant, ainsi, toujours plus dans l’Hémicycle et sur le territoire. D’ailleurs, la polarisation entre territoires ruraux et urbains n’a jamais été aussi forte. De quoi questionner la stratégie à mener.

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« Il faut peut-être qu’on lutte contre l’extrême droite de manière un peu différente en étant plus ancrés dans un certain nombre de lieux et de territoires où nous sommes très peu présents aujourd’hui », s’interroge Jean-François Julliard, qui concède que son association est «essentiellement basée en région parisienne et dans les grandes villes ». « C’est une réalité, pas un choix. Il y a des choses à repenser là-dessus », souffle-t-il.

Combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ?

L. Lepray

Un travail de terrain qu’ont mené, ces trois dernières semaines, plusieurs milliers de militants qui ont passé leur journée et leur soirée à tracter, à faire du porte-à-porte ou du phoning dans les circonscriptions les plus incertaines. « On a gagné parce qu’on a outillé et organisé des gens », assure Lumir Lapray, qui craint que les partis politiques l’oublient un peu vite.

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« Il faut déjà qu’ils se rendent compte du travail qui a été effectué. Et, ensuite, ils doivent nous donner un mandat et des fonds pour faire ce travail de terrain, chronophage mais plus que jamais nécessaire », poursuit la jeune femme, particulièrement inquiète que se reproduise la même chose qu’après les législatives en 2022. « J’ai été tellement déçue par la Nupes. Rien n’a été fait sur le terrain, rien. Et combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ? Il faut que les partis s’en rendent comptent et se mettent à notre service comme on s’est mis, bénévolement, au leur ces dernières semaines. Parce que le but, c’est de gagner en 2027 ! »

Bouchées doubles

Dans le monde du travail aussi le chantier est immense, alors que les catégories populaires – ouvriers et employés – se sont massivement tournées vers le Rassemblement national. « Lorsqu’on a pris position contre le RN, on a eu des remontées qui montraient un fort risque de division au sein du monde du travail, y compris dans notre syndicat », raconte Murielle Guilbert, pour qui « un énorme travail nous attend ». « Il faut parler de la question sociale et de la répartition des richesses sans occulter la problématique du racisme », poursuit la leader de Solidaires, qui assure que son syndicat va mettre les bouchées doubles sur les formations sur l’antiracisme.

Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée.

CGT

Face à un monde du travail de plus en plus atomisé, le dur rôle des syndicats est, dans cette période, de réinstaurer des collectifs forts, vraie barrière contre le vote RN. Pour cela, les organisations attendent beaucoup des mesures du Nouveau Front populaire. Mais comptent aussi sur leur unité qui leur a permis, ces derniers mois, de revenir sur le devant de la scène. « Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et de retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT. Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie », écrit ainsi la CGT dans un communiqué publié au lendemain du second tour.

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Chez Solidaires, on confie aussi que le nombre d’adhésions est en forte hausse ces dernières semaines. « Plus, même, que lors de la réforme des retraites », glisse Murielle Guilbert. Face au danger de l’extrême droite, la société civile s’est donc largement mobilisée et outillée, permettant d’obtenir « un sursis ». Mais il appartient désormais au NFP de lui trouver un débouché politique dans les semaines, mois et années à venir. Urgemment. Sous peine de laisser l’extrême droite se rapprocher toujours plus du pouvoir.

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