Après des jours de négociations, le Nouveau Front populaire en proie à mille et un doutes
Coalition, Premier ministre, contrat de gouvernement… Socialistes, écologistes, communistes et insoumis tentent d’imaginer des voies de sortie pour accéder au pouvoir. Mais encore faut-il réussir à accorder ses violons.
Pression maximale. Le Nouveau Front populaire (NFP) continue de négocier mais aucun accord n’est prêt à être signé. Cela fait cinq jours que la gauche réunifiée doit échafauder une réponse au camp présidentiel qui concentre toutes ses attaques sur les socialistes, les écologistes, les communistes et les insoumis. À l’image de ces nombreux macronistes qui annoncent défendre une motion de censure si des représentants de La France insoumise (LFI), voire certains membres des Écologistes, sont nommés dans un gouvernement du NFP.
Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion.
T. Thiollet
Le 10 juillet, Emmanuel Macron en remet une couche. Après trois jours de silence, le Président publie une lettre aux Français dans laquelle il demande « à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». Une manière, une nouvelle fois, de sous-entendre que LFI ne ferait pas partie des forces politiques républicaines au même titre que le Rassemblement national. Et de faire un appel du pied aux socialistes.
Mais Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, ne cède pas. « J’ai fait le choix du rassemblement de la gauche et je n’en bougerai pas », répond-il sur France 2. Pour Jean-Luc Mélenchon, « Emmanuel Macron fait du ‘front républicain’ une alliance politique qui devrait produire un gouvernement ou une majorité au Parlement. Il ne peut en être question. Le soi-disant ‘front’ n’est pas une alliance politique ». Le NFP est au pied du mur. Il y a urgence : la coalition des gauches doit s’entendre.
« Ajuster ses violons »
Pour François Thiollet, membre de l’exécutif des Écologistes, « la force du NFP, c’est l’unité. Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion. À nous, au contraire, d’affirmer que nous sommes prêts à gouverner et solides pour le faire ». Mais toujours rien. Aucune proposition de chef de gouvernement, aucune communication officielle. La gauche rame. « Tout le monde doit ajuster ses violons parce qu’on donne le sentiment de ne pas pouvoir y arriver », lâche le sénateur socialiste du Val-d’Oise Rachid Temal.
Les réunions se multiplient, les visioconférences aussi. Les échanges bilatéraux continuent. Des réunions secrètes se tiennent dans le 10e arrondissement de Paris, parfois jusque très tard dans la nuit. Au cœur des négociations, le maire de Marseille, Benoît Payan, Pierre Jouvet et Olivier Faure pour les socialistes, l’eurodéputé David Cormand et Marine Tondelier pour les écologistes, Paul Vannier, Manuel Bompard, Clémence Guetté et Aurélie Trouvé pour les insoumis et, Fabien Roussel, Igor Zamichiei et Christian Picquet pour les communistes.
Mais personne n’arrive à s’entendre. Qu’est-ce qui coince ? Tout d’abord, la composition du gouvernement. Certains socialistes, comme Philippe Brun, défendent un gouvernement qui prend en compte les équilibres parlementaires. En clair, former un exécutif qui compte des socialistes, des figures centristes, des macronistes et des élus de droite.
Les insoumis sont fermement opposés à ce type de gouvernement d’union nationale. Les socialistes rentrent désormais dans le rang, même si certains envisagent d’attirer des soutiens venus de l’aile gauche de la Macronie – des ponts existent entre Raphaël Glucksmann et certains représentants de cette frange du camp présidentiel. « Nous souhaitons un gouvernement du Nouveau Front populaire qui mette en œuvre des mesures majoritaires comme la hausse du smic ou l’abrogation de la réforme des retraites, dit un négociateur PS. Là où il peut y avoir quelques nuances, c’est sur la façon de construire des compromis avec la Chambre. »
Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis.
R. Cardon
Deuxième point qui crée quelques débats : l’éventualité de construire des compromis avec le Parlement. Les insoumis veulent l’application pleine et entière du programme de rupture de ce contrat de législature du Nouveau Front populaire. Les communistes et les socialistes envisagent un gouvernement qui soit capable de discuter et de construire des compromis avec d’autres forces politiques, ces fameuses majorités texte par texte qu’Emmanuel Macron et ses exécutifs successifs n’ont jamais réussi à construire en situation de majorité relative.
Le désaccord est profond à gauche. « Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis. Il y a des propositions sur lesquelles les macronistes peuvent difficilement s’opposer comme les superprofits ou l’augmentation du smic. On se torture l’esprit avec les manœuvres, mais on peut accepter simplement le débat politique », estime le sénateur socialiste de la Somme, Rémi Cardon. Le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj répète une formule : « Un gouvernement minoritaire qui répond aux aspirations majoritaires. »
Bras de fer
Le dernier point, c’est le casting. La répartition des ministères est une question, mais ce n’est pas celle qui crée le plus de discussions. De nombreux noms circulent comme celui de Cécile Duflot, défendue par les Écologistes, ou Éric Coquerel pour être à la tête du ministère de l’Économie. Mais qui pour Matignon ? L’hypothèse de Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a circulé. Tout comme le nom de Clémence Guetté, une députée LFI qui compte beaucoup dans l’appareil insoumis puisqu’elle a dirigé le programme de Jean-Luc Mélenchon durant la présidentielle de 2022. « Dans n’importe quelle situation de stress et d’urgence, elle aura un cap programmatique clair », dit le député insoumis Hadrien Clouet.
Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste.
Le nom d’Olivier Faure fait aussi son chemin. L’option est évoquée durant le bureau national du parti le 8 juillet et l’idée est même soutenue par l’ex-Président qui fait son retour à l’Assemblée, François Hollande, selon Libération. Le 9 juillet, le premier secrétaire du PS se dit « prêt à assumer cette fonction ». Pour le secrétaire général du Parti socialiste et eurodéputé Pierre Jouvet, Faure est « le seul profil qui peut rassurer et être Premier ministre ». Le bras de fer s’installe avec les insoumis. « Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste », juge un cadre de gauche.
Le mouvement mélenchoniste estime que le groupe le plus important à l’Assemblée nationale doit proposer un nom pour la Primature. Le 11 juillet, les négociateurs proposent une liste de candidats potentiels : le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard, la coprésidente de l’institut La Boétie, Clémence Guetté, la présidente du groupe insoumis à la chambre basse, Mathilde Panot, et le triple candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Le fondateur du mouvement insoumis est omniprésent médiatiquement depuis la création du NFP.
Mais écologistes, communistes et socialistes jugent que le fondateur de La France insoumise est trop clivant, pas assez consensuel pour créer du consensus à l’Assemblée et faire adopter des textes. « Clémence Guetté, Mathilde Panot, Johanna Rolland, Clémentine Autain, Marine Tondelier… Nous avons un nombre de personnes de grande qualité qui feront un gouvernement solide. L’enjeu, ce ne sont pas les destins individuels, mais notre destin collectif en tant que nation », estime la présidente sortante du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, pressentie pour être la candidate du NFP à la présidence de l’Assemblée nationale.
Les Écologistes veulent rester dans une position de neutralité – ce qui a tendance à agacer les socialistes – et avancent un argumentaire : c’est la méthode de désignation du Premier ministre qui résoudra les conflits. Les verts parlent d’un vote entre parlementaires, une idée soutenue initialement par les socialistes. Mais le temps presse. Car les groupes sont en pleine discussion pour se constituer. Et les discussions patinent toujours. Les composantes du NFP doivent absolument se mettre d’accord.
L’option Huguette Bello
Ce 12 juillet en fin de matinée, un nom circule dans le petit monde politico-journalistique : Huguette Bello. La présidente du conseil régional de La Réunion – symboliquement candidate aux européennes sur la liste de La France insoumise menée par Manon Aubry – est inconnue du grand public, mais elle a un profil idéal, selon les communistes qui poussent cette option discutée dans un conseil national du parti organisé ce jour, d’après L’Humanité. « J’ai effectivement proposé la candidature d’Huguette Bello », explique Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, sur BFMTV.
Selon lui, Huguette Bello aurait les compétences pour construire une majorité et « discuter avec le Président ». Mais cette option ne ravit pas les socialistes. « Elle n’a pas voté le mariage pour tous quand elle était députée. Catherine Vautrin a été écartée pour ces raisons. Je n’imagine pas le NFP valider cette candidature », considère Luc Carvounas, ex-député PS et maire d’Alfortville (Val-de-Marne). Le premier acte des négociations vient de se clore. Mais la petite pièce de théâtre ne fait que commencer.
Et en attendant, Emmanuel Macron joue sa propre partition, laissant entendre qu’il pourrait construire une coalition anti-NFP pour ravir à la gauche la présidence de l’Assemblée : le nom de Yaël Braun-Pivet circule, la droite pourrait approuver et le Rassemblement national pourrait ne pas s’y opposer – l’ex présidente de l’Assemblée nationale s’étant engagée à attribuer des postes au RN, comme la précédente législature, ce que la gauche refuse catégoriquement.
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