Barrage au RN : les macronistes joueront-ils le jeu à leur tour ?

Élus et électeurs macronistes se retrouvent dans une position inédite : c’est à eux, cette fois, de faire barrage à l’extrême droite. Ils y auraient politiquement intérêt. Mais des années de diabolisation de la gauche et leurs intérêts économiques pourraient entraver leur mobilisation contre le RN.

Pierre Jequier-Zalc  • 1 juillet 2024
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Barrage au RN : les macronistes joueront-ils le jeu à leur tour ?
Gabriel Attal, lors de son allocution suite à l'annonce des premières estimations du 1er tour des élections législatives anticipées, le 30 juin 2024, à l'Hôtel de Matignon, Paris.
© Ludovic Marin / AFP

C’est la question posée aux électeurs macronistes, dont la réponse précipitera le pays dans l’abîme ou, de l’autre côté de la crête, lui ouvrira les portes d’un nouvel espoir, démocratique et social : dimanche prochain, que feront-ils ? Iront-ils faire barrage à la menace de l’extrême droite plus prégnante que jamais après sa victoire ce dimanche lors du premier tour des législatives ? Ou au contraire, laisseront-ils le péril brun prendre le pouvoir ?

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Ce lundi matin, beaucoup des réponses à ces questions restent en suspens. En effet, et à l’inverse des leaders du Nouveau Front Populaire, les têtes de gondole macronistes n’ont pas fait preuve d’une grande clarté à l’annonce des résultats sur leur consigne de vote en vue du second tour. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe a ainsi appelé à voter, quand il n’y a pas de candidat du camp présidentiel en position de l’emporter, pour « ceux qui de la gauche sociale et écologiste ont en commun l’attachement à la liberté et le respect de l’état de droit ». Cela en assurant, dans la phrase suivante, qu’« aucune voix ne doit se reporter sur les candidats RN et LFI ». Un « en même temps » très macroniste d’une dangerosité sans nom.

Stratégie délétère

En effet, dans plusieurs dizaines (plus de 70) de circonscriptions, le camp présidentiel arrive en troisième position, derrière le Nouveau Front populaire représenté bien souvent par La France insoumise. Le candidat macroniste se désistera-t-il pour laisser un espoir au candidat NFP de l’emporter ? Sans consigne claire, cela sera du cas par cas. Une stratégie délétère et très risquée pour le pays.

Beaucoup d’anciens députés macronistes détestent LFI autant voire plus que le RN.

É. Ollion

« La posture des élus de l’ancienne majorité présidentielle vis-à-vis du front républicain est paradoxale. Ils ont gagné deux fois des élus en l’invoquant, mais, déjà en 2022, lors des législatives, ils n’avaient pas voulu donner de consigne claire en cas de duel Nupes/RN », souligne Etienne Ollion, directeur de recherche en sociologie au CNRS, qui a travaillé sur les élus macronistes, novices en 2017. Le chercheur rappelle ainsi que, déjà, « la rhétorique LFI = RN  était apparue » à l’époque. Mais avec moins de dix triangulaires, l’enjeu était alors moins fort.

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Cette fois, cependant, avec près de 300 triangulaires, l’enjeu des consignes de vote et des désistements est énorme. Les projections des instituts de sondage, publiées dimanche soir, le montrent bien. Sans front républicain, les portes de Matignon s’ouvrent en grand pour Jordan Bardella. Or, sans consigne claire, ce sera donc aux candidats macronistes, aussi, de choisir de se désister ou non lorsqu’ils seront en troisième position dans une circonscription avec un candidat LFI-NFP. « Aujourd’hui, beaucoup d’anciens députés macronistes détestent LFI autant voire plus que le RN, juge Etienne Ollion. Cela résulte des échanges à l’Assemblée nationale qui, depuis des mois, sont très acrimonieux. Il y a aussi une part de relation interpersonnelle qui joue ».

Pour autant, certains ont, dès dimanche soir, montré le chemin. C’est, par exemple, le cas d’Albane Branlant, qui a annoncé qu’elle se désistait pour laisser un espoir à François Ruffin, dans la première circonscription de la Somme, de battre le Rassemblement national. « Je fais la différence entre les adversaires politiques et les ennemis de la République », a-t-elle déclaré, sans ambiguïté.

Diabolisation de LFI

Mais même malgré ces appels au vote, plusieurs facteurs laissent penser que les électeurs macronistes ne feront pas unanimement barrage dimanche prochain. En tête, la diabolisation croissante de La France insoumise, phénomène qui a connu son apogée au cours de cette campagne avec une instrumentalisation à outrance de l’antisémitisme. « À force d’appuyer sur cette rhétorique, cela infuse au sein de l’électorat », souligne Vincent Tiberj, professeur des universités, chercheur au Centre Émile Durkheim, spécialisé en sociologie électorale. Il rappelle ainsi que chez les macronistes, la parole du président de la République ou de Gabriel Attal « pèse beaucoup ».

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Or, pendant toute cette campagne, l’un comme l’autre ont passé leur temps à renvoyer dos-à-dos le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National. Le chef de l’État a même évoqué le risque d’une « guerre civile » si l’un de ces deux blocs arrivait au pouvoir. « Les électeurs fortement macronistes ont désormais pleinement intégré cette idée. Cela risque d’empêcher la constitution claire d’un front républicain », s’inquiète le politiste pour qui « une digue s’est brisée » avec cette « mise en équivalence des extrêmes ».

Déjà, en 2022, lors des législatives, la question du « barrage » s’était posée, ici et là, pour les électeurs d’Emmanuel Macron. Mais, avec très peu de triangulaires, et un risque presque nul de voire l’extrême-droite l’emporter, ceux-ci ne s’étaient pas massivement mobilisés contre l’extrême-droite. Avec Jordan Bardella aux portes de Matignon, pourrait-il en être autrement ?

Il est malheureusement possible qu’un certain nombre d’électeurs macronistes fassent le choix, non pas du RN mais de l’abstention.

J. Cagé

« Il est malheureusement possible qu’un certain nombre d’électeurs macronistes fassent le choix, non pas du RN je l’espère, mais en tous cas de l’abstention, car de fait, l’électorat macroniste étant également extrêmement favorisé du point de vue du revenu comme du patrimoine, il a bénéficié de la suppression de l’ISF par Emmanuel Macron et de la flat tax sur le capital, et devra donc payer davantage d’impôts en cas de victoire du NPF », s’inquiète Julia Cagé, économiste et co-auteur d’Une histoire du conflit politique (Seuil, 2023).

Pragmatisme froid

Pour autant, dans ce sombre tableau, un motif d’espoir subsiste. Celui-ci ne figure pas dans le vœux pieux que de nombreuses personnalités macronistes se rappelleraient de leur boussole républicaine. Mais plutôt, que dans un pragmatisme froid, celles-ci s’aperçoivent que voter pour le Nouveau Front Populaire est, pour eux, la seule chance de survivre politiquement.

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C’est d’ailleurs Gabriel Attal, le Premier ministre, qui a commencé à faire émerger cette petite musique. « Chacun l’a compris ce soir, le Nouveau Front Populaire n’aura pas de majorité absolue », a-t-il assuré sur le perron de Matignon avant de poursuivre : « L’enjeu est clair : priver l’extrême droite d’une majorité absolue en construisant une Assemblée où nous pèserons suffisamment pour bâtir, entre forces républicaines, des majorités de projets ».

Autrement dit : pour sauver le macronisme d’une mort pourtant certaine, mieux vaut une Assemblée nationale divisée sans majorité absolue qu’une cohabitation avec le RN. Si ce calcul politicien est loin d’être à la hauteur du moment, il pourrait toutefois être une planche de salut pour éviter un cataclysme, dimanche prochain.

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