Devant l’effritement macroniste et l’échec de l’extrême droite, la gauche se voit gouverner

Grâce à sa victoire aussi courte qu’imprévisible au second tour de ces législatives, le Nouveau Front populaire affiche de grandes ambitions. L’union des gauches doit désormais s’accorder pour former une majorité solide et construire un gouvernement.

Lucas Sarafian  • 8 juillet 2024
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Devant l’effritement macroniste et l’échec de l’extrême droite, la gauche se voit gouverner
Rassemblement place de la République, à Paris, le 7 juillet 2024, au soir des résultats du second tout des élections législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

En une semaine, le paysage politique a basculé. Pendant les cinq jours qui ont séparé le premier tour des législatives anticipées du second ce dimanche 7 juillet, tous les sondages plaçaient le Rassemblement national (RN) en tête. Avec une avance parfois très importante sur les autres forces politiques, selon les enquêtes d’opinion. Mais la soirée électorale a pris un tournant inattendu, imprévisible.

Dans les QG des partis et les écrans de télévision aux alentours de 20 heures, les premières estimations placent le Nouveau Front populaire (NFP) en tête, devant Ensemble pour la République – le nouveau nom de la coalition du camp présidentiel – et l’extrême droite. Avec 182 sièges, l’alliance des gauches et des écologistes déjoue tous les pronostics. Le NFP fait, par ailleurs, un meilleur résultat que la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) qui avait permis à 151 députés d’être élus il y a deux ans.

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Le RN, soutenu par des Républicains réunis autour d’Éric Ciotti, obtient 143 sièges, soit 54 élus de plus qu’en 2022. Ignorant sa défaite, Jordan Bardella, qui s’imaginait déjà à Matignon en cas de majorité absolue, critique les appels au front républicain et les désistements de candidats macronistes ou de gauche : « Le Rassemblement national incarne plus que jamais la seule alternance face au parti unique qui s’étend ce soir de Philippe Poutou à Édouard Philippe. »

Déconfiture

Si la coalition macroniste sauve la face en se plaçant deuxième de ce scrutin, elle recule nettement avec 168 sièges, c’est-à-dire 82 de moins par rapport à 2022. Et des figures importantes de la sphère présidentielle sont battues comme Olivier Véran, l’ancien porte-parole du gouvernement, Stanislas Guérini, l’actuel ministre de la Fonction publique, ou Sarah El Haïry, ministre déléguée à l’Enfance, la jeunesse et les familles. Signe ultime de cette déconfiture électorale : dans la cour de Matignon, Gabriel Attal annonce dans la soirée qu’il remettra sa démission ce lundi 8 juillet au matin même s’il indique qu’il « assumera ses fonctions aussi longtemps que le devoir l’exigera ». Quant à Emmanuel Macron, il attendra « la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires ».

Refonder un projet collectif pour notre pays et fédérer une majorité de Français.

O. Faure

Pour la gauche, c’est une victoire inespérée. Quelques minutes après avoir pris connaissance des résultats, socialistes, écologistes, insoumis et communistes partagent le même mot d’ordre : un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire devra être nommé et la gauche rassemblée pourra former un nouveau gouvernement. « Le président de la République a le pouvoir, le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner », dit le fondateur de la France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon. « La gauche progresse. Nous sommes en capacité de gouverner », d’après le secrétaire national du Parti communiste battu dès le premier tour dans le Pas-de-Calais, Fabien Roussel.

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Pour le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, « c’est le rôle du Nouveau Front populaire de refonder un projet collectif pour notre pays et fédérer une majorité de Français ». Selon la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, « il fallait faire le Nouveau Front populaire. Et non seulement nous l’avons fait, mais nous allons gouverner ».

Voir en grand

Ces discours ambitieux permettent de masquer le fait que la gauche a cédé du terrain dans les zones rurales. Les difficultés rencontrées par François Ruffin dans la Somme, finalement réélu (52,95 %), en sont la preuve. Comme la défaite de Sébastien Jumel, député PCF sortant de Seine-Maritime, ou celle de Valérie Rabault, vice-présidente PS de l’Assemblée nationale sortante, qui perd dans sa circonscription du Tarn-et-Garonne à cause notamment de ses faibles scores dans la ruralité. « L’extrême droite s’installe dans les terres populaires, l’extrême droite s’installe dans les terres ouvrières. Perdre les ouvriers, ce n’est pas seulement perdre des électeurs. Pour la gauche, c’est perdre son âme », prévient François Ruffin.

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Mais au fond, peu importe. Conscientes de leur victoire électorale, les gauches voient désormais les choses en grand. En très grand. Traduction : pas question d’accepter le moindre compromis dans de futures négociations, pas question de nouer une alliance avec le camp présidentiel. « Emmanuel Macron doit prendre conscience de cette élection. S’il ne choisit pas, c’est le chaos. Il faut qu’il respecte ce qu’ont dit les Français. Il y a une issue : appeler le Nouveau Front populaire pour gouverner. Nous avons tous les éléments pour le faire : il y a une alliance, nous avons un programme », affirme Francis Parny, membre de la coordination nationale de LFI.

Qui, dans les forces républicaines, est prêt à soutenir notre programme ? 

M. Tondelier

« Nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires qui viendraient trahir le vote des Français et prolonger les politiques macronistes », assure Olivier Faure. « Qui, dans les forces républicaines, est prêt à soutenir notre programme ? », questionne Marine Tondelier. Une manière de positionner le Nouveau Front populaire comme étant la nouvelle force motrice de la vie politique française.

Toute la semaine, les têtes pensantes du NFP ont imaginé l’hypothèse d’une coalition, sans penser que la gauche pouvait être le premier bloc politique au soir du 7 juillet. Des écologistes, des socialistes et François Ruffin imaginaient pouvoir travailler au sein d’un gouvernement avec des macronistes, des centristes voire même des figures issues de la droite autour de quelques mesures comme le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune, la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne, l’abrogation de la réforme des retraites et de la loi immigration. Ce n’est plus à l’ordre du jour. En clair, le prochain gouvernement devra suivre les lignes du contrat de législature de l’alliance des gauches.

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« Il n’y aura pas de tripatouillages, de compromissions. Emmanuel Macron avait demandé une clarification. Elle est là : le Nouveau Front populaire est arrivé en tête. C’est sur ce projet, ce programme et ces valeurs que le pays pourra gouverner dans les prochaines semaines », expose Sébastien Vincini, membre de la direction du PS et chargé des élections pour son parti. « En politique, tout est question de rapport de force. Quand on sort en tête, on est en position de force pour pouvoir avancer sur nos mesures et nos positions », avance Younous Omarjee, eurodéputé insoumis et proche de Jean-Luc Mélenchon.

Les chefs de file de la gauche assurent même que si le NFP prend les rênes du prochain gouvernement, des mesures d’urgence pourraient rapidement être appliquées par décret, comme l’augmentation du Smic à 1 600 euros net ou le blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants.

Attirer de nouvelles forces politiques

Mais au regard de la nouvelle composition de l’hémicycle, la gauche dispose d’une majorité très relative. Pas suffisant pour se mettre à l’abri d’une motion de censure. Alors que faire ? Une chose est sûre : il faudra attirer de nouvelles forces politiques. Selon un cadre de gauche, les directions des partis échangent très activement. « Peut-être même qu’Emmanuel Macron a déjà appelé un représentant du NFP pour être à la tête du gouvernement… », sourit Aurélien Saintoul, député LFI réélu des Hauts-de-Seine. Une réunion entre Olivier Faure, Manuel Bompard, Marine Tondelier et Fabien Roussel a eu lieu à 18 heures le dimanche 7 juillet. Une seconde s’est tenue très tard dans la nuit.

L’idée de l’organisation d’un congrès des parlementaires du NFP chemine dans toutes les composantes de l’union des gauches. Mais il faudra surtout répondre à la question du casting. Tout le monde ne s’accorde pas sur le mode de désignation du candidat à Matignon : les insoumis souhaitent toujours que le groupe le plus important en nombre d’élus à l’Assemblée puisse proposer un nom alors que les socialistes, les écolos et les communistes penchent plutôt pour un vote entre parlementaires. Une idée que le PS défend encore aujourd’hui puisqu’avec 59 députés, le parti à la rose se rapproche du nombre de sièges obtenus par LFI (74 députés) et peut se permettre de contester l’hégémonie qu’imposent les troupes mélenchonistes au reste de la gauche.

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« On n’est pas là pour valoriser sa petite boutique. C’est passer à côté du moment historique. Notre Premier ministre a un nom, c’est le programme », temporise Younous Omarjee. « La priorité est de discuter au sein du Nouveau Front populaire pour savoir comment on aborde les choses, comment on organise le Parlement à partir de la semaine prochaine », annonce Stéphane Troussel, le président socialiste de Seine-Saint-Denis et proche d’Olivier Faure.

Il faut que ça aille vite mais il faut aussi qu’on garde la tête froide.

F. Thiollet

« Il faut que ça aille vite mais il faut aussi qu’on garde la tête froide, explique François Thiollet, membre de l’exécutif des Écologistes. Plus ça va traîner, plus on va nous accuser de vouloir bloquer le pays. Mais on doit aussi être capable de mettre des lignes rouges et rester dans le cadre de notre ligne politique. Nous devons garder la tête froide tout en ne perdant pas de vue que nous sommes la première force politique à l’Assemblée. » Le défi est donc immense : la gauche a une nouvelle page d’histoire à écrire. Rien que ça.

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