En perdition, Emmanuel Macron retrouve sa gauche avant le deuxième tour

Le Président parle mais n’est plus écouté, à commencer par ses ministres qui divergent sur l’attitude à adopter face au RN. Dans les cabinets ministériels règnent une ambiance toxique. La macronie vit son crépuscule.

Nils Wilcke  • 2 juillet 2024
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En perdition, Emmanuel Macron retrouve sa gauche avant le deuxième tour
« Pas une voix ne doit aller à l'extrême droite, a dit Emmanuel Macron à ses ministres. Il faut se souvenir qu'en 2017 et 2022, en face, à gauche, tout le monde a porté ce message. Sans cela votre serviteur et vous ne serions pas là. »
© Bertrand Guay / AFP

La tentative d’ouverture d’Emmanuel Macron à gauche pour contrer l’extrême droite en vue du second tour des législatives suscite la réprobation de ses ministres. « Il ne faut pas se tromper de bataille (…). L’extrême droite peut accéder aux plus hautes fonctions, et personne d’autre », a déclaré avec aplomb le chef de l’État devant le gouvernement réuni à l’Élysée ce lundi 1er juillet. Pas une voix ne doit aller à l’extrême droite. Il faut se souvenir qu’en 2017 et 2022, en face, à gauche, tout le monde a porté ce message. Sans cela votre serviteur et vous ne serions pas là », poursuit le Président, dans un silence de mort.

Ce n’est plus une girouette, c’est un ventilateur.

Une déclaration qui fait bondir certains participants, qui se souviennent que le même fustigeait « le programme immigrationniste » du Nouveau Front populaire la veille du premier tour. « Ce n’est plus une girouette, c’est un ventilateur », s’exclame un participant après la réunion. Pendant que les porte-flingues de Renaissance relayent la bonne parole présidentielle dans les médias, affirmant qu’« il n’y a pas de divisions au sein de la majorité » et que le président a fait preuve « de clarté » contre toutes les évidences, le gouvernement confirme sa désunion dans le salon Murat du palais.

Divergences ministérielles à l’Élysée

Gabriel Attal prend la parole pour défendre un « front républicain », y compris avec le Nouveau Front populaire. « Le Premier ministre pense que faire résonner le souvenir du barrage anti-RN parlera davantage à la gauche », confie un participant. Il faut dire qu’un certain nombre de candidats macronistes peuvent remercier le PS, LFI ou les écolos pour leur désistement. En colère, Franck Riester critique ses collègues qui étalent leurs divisions dans la presse : « Certains devraient attendre avant de faire des commentaires, surtout quand ils ne sont pas candidats », grince le ministre délégué au Commerce extérieur, en ballotage défavorable face au RN en Seine-et-Marne. Il est soutenu par Stanislas Guérini, Patrice Vergriete, Sabrina Agresti-Roubache, Fadila Khattabi. Ces dernières, qui se sont désistées, « avaient les larmes aux yeux et des sanglots dans la voix », affirme un participant.

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Sollicité par Politis, Franck Riester confirme l’épisode mais refuse de commenter plus en avant : « Je suis concentré sur ma campagne, il faut empêcher l’extrême droite de l’emporter, c’est tout ce qui compte ». Premier visé, Bruno Le Maire. Le matin même, le locataire de Bercy s’est prononcé contre le désistement des candidats du camp présidentiel pour permettre aux candidats LFI du Nouveau Front populaire de battre l’extrême-droite avant d’en remettre une couche dans Le Figaro. Mais aussi Aurore Bergé, Christophe Béchu, Sarah El Haïry, Catherine Vautrin, tous partisans du « ni RN ni LFI » à l’image de LR, alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, comme ils l’ont répété au cours de cet échange.

Pour un homme de couleur comme moi, le RN est bien plus dangereux.

H. Berville

« Pour un homme de couleur comme moi, le RN est bien plus dangereux », déclare le secrétaire d’État Hervé Berville, seule personne noire au gouvernement, pour tenter de sensibiliser ses collègues au racisme qu’il subit en cette période. Il est rejoint par Fadila Khattabi, qui elle aussi témoigne d’une surenchère dans la parole raciste depuis la dissolution. En vain.

« Nos concitoyens juifs ont peur de l’antisémitisme de l’extrême gauche, on ne peut pas les abandonner », répond Aurore Bergé, elle aussi passée par toutes les nuances de la droite avant de rejoindre LREM en 2017. « Comme si le RN allait protéger les Juifs », s’étrangle le conseiller d’un ministre après la réunion, qui rappelle les profils antisémites de bon nombre de candidats du parti de Marine Le Pen. Faute d’accord, « chacun a campé sur ses positions ». « J’aurais bien plus à dire après le deuxième tour », nous fait savoir Franck Riester. Le groupe vit bien.

La fausse décontraction du Président

La colère gronde dans le camp présidentiel après le « coup de poker » raté d’Emmanuel Macron. « Il a fait tapis et il a tout perdu », commente l’un de ses proches, catastrophé par « l’énorme connerie » de son ancien champion. Envolée sa majorité relative, obtenue de haute lutte en 2022 avec les voix de la gauche, terminé son gouvernement avec son « petit frère » et « clone » Gabriel Attal, brisé, son plan de diviser les socialistes, les écolos, le PCF et LFI, redevenus la première force d’opposition à travers le Nouveau Front populaire.

Macron plane dans sa tenue de pilote en affichant cette apparente décontraction alors que l’avion s’est crashé.

Pire, les candidats du parti de Marine Le Pen ont obtenu plus de 9,3 millions de voix dimanche soir (1) contre 4,2 millions en 2022, permettant d’ores et déjà à 38 d’entre eux de faire leur entrée à l’Assemblée nationale. En face, seul le député Renaissance Pierre Cazeneuve a validé sa place dès dimanche dans les Hauts-de-Seine.

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Leurs alliés ciottistes ont recueillis, eux, plus de 1,2 million de voix.

La comparaison est terrible pour le président. Les images d’Emmanuel Macron, déambulant au Touquet ce dimanche – où il a voté –, en blouson d’aviateur en cuir avec des lunettes de soleil et une casquette ont creusé un peu plus le fossé grandissant avec ses fidèles. « Il plane dans sa tenue de pilote en affichant cette apparente décontraction alors que l’avion s’est crashé », observe un marcheur historique. D’autant que ses proches, qui le servent parfois depuis le premier quinquennat, s’irritent cette fois de devoir le suivre dans la station balnéaire, avec ce déplacement faussement improvisé parmi quelques habitants pour les besoins de sa communication.

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Les photos et la vidéo prise à cette occasion font le tour des boucles des cabinets ministériels et des cadres macronistes, suscitant la même incompréhension. L’impression d’absurde se poursuit le soir-même quand le président et ses conseillers se réjouissent des premières projections qui placent l’ancienne majorité présidentielle plus haut que prévu, avant d’être démenties une heure plus tard par une deuxième salve de sondages, qui confortent le RN comme première force politique du pays.

Entretiens d’embauche

« C’est terrifiant », textote à Politis un conseiller de l’exécutif. Dans la foulée, l’intervention de Gabriel Attal est déplacée du siège de Renaissance, rue du Rocher à Paris, à Matignon. « Une manière d’insister sur la gravité de la situation », déclare l’Élysée, devant la cinquantaine de journalistes médusés par ce manque d’anticipation.

Entre temps, le président a sévi contre son conseiller mémoire, Bruno Roger-Petit, accusé de tous les maux et surtout de s’être vanté d’avoir soufflé l’idée de la dissolution au patron. L’intéressé n’a pas été convié à la réunion dans le bureau présidentiel dimanche soir avec Richard Ferrand, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Thierry Solère ou encore Julien Denormandie, après avoir été privé de commémorations le 18 juin, comme nous l’avons appris , confirmant une information de La Lettre. « Les cloportes ont besoin d’ombre », ironise un bon connaisseur de l’Élysée qui a ses entrées, en référence aux propos chocs de Bruno Le Maire sur ces conseillers particuliers.

On se serait cru à des funérailles mais en vrai, c’est bien l’enterrement d’une époque.

L’ambiance est à peine moins toxique dans les cabinets des ministères dits régaliens (Intérieur, Armées, Justice, etc.) qui continuent de tourner normalement pour faire fonctionner la machine administrative. Ce n’est plus le cas des cabinets des ministères secondaires, déjà éprouvés par des vagues de départs dans la foulée des équipes de Prisca Thévenot, qui ont fui un management toxique. « C’est sûr qu’aux Anciens combattants, l’actualité n’est pas la même qu’à l’Intérieur », ironise le conseiller d’un éminent ministre.

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Ceux-là ont déjà refait leurs CV face à la perspective d’un changement de gouvernement, devenu inévitable après le second tour. Certains passent même des entretiens d’embauche depuis trois semaines. C’est dire si l’esprit de défaite imprégnait déjà les esprits. Problème, le marché est saturé : « Les conseillers partis en même temps que le gouvernement Borne lors du remaniement de février ne sont toujours pas recasés », affirme l’un d’eux qui a fait partie de la charrette des départs. Les profils les plus « prestigieux » (Bercy, l’Intérieur, etc.) sont les plus prisés des cabinets de conseil.

Pour les autres, « c’est plus compliqué », reconnaît l’un d’eux. Sans compter les deux mois de délais imposés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont la mission consiste à prévenir tout conflit d’intérêts en cas de reconversion dans le privé.

Une ambiance de fin de règne

Emmanuel Macron se tient enfin à l’écart de cette ambiance de fin de règne qu’il a lui-même provoquée. Le président « se prépare à tout », affirme l’un de ses interlocuteurs réguliers qui continue d’échanger avec lui. En apparence, le chef de l’État continue de convoquer ses ministres à des réunions comme celle de lundi et à s’intéresser aux législatives. Dans les faits, il semble se préparer à une cohabitation avec le RN, comme le relate Le Monde. En réalité, son crédit politique semble épuisé, comme l’a démontré sa réunion au sommet ce lundi.

Le Président a toujours plein de choses à dire mais plus personne ne veut l’écouter.

« Le Président a toujours plein de choses à dire mais plus personne ne veut l’écouter », regrette notre source. Signe de cette désaffection, Édouard Philippe multiplie les prises de parole assassines à l’égard de son ancien patron, l’accusant notamment d’avoir « tué la majorité ». « Édouard est chagrin parce qu’il s’est pris une gamelle », observe l’un de ses anciens soutiens.

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Lundi, les ministres se sont pressés pour remercier Gabriel Attal d’avoir « pris en charge la campagne, d’avoir su recréer une dynamique et de s’être donné corps et âme » dans ces élections, sans un mot pour le Président, selon un participant. Emmanuel Macron a serré les dents. Surtout, le Président a rejeté une fois de plus toute démission avant la fin de son mandat en 2027. Un scénario qui prend pourtant de la consistance, y compris dans le premier cercle du pouvoir, comme l’a révélé Politis. Sans gouvernement issu d’une majorité relative ou gouvernement de transition accepté par une majorité de députés, le Président devrait bien se résoudre à quitter le pouvoir pour éviter un blocage politique des institutions.

L’avenir, c’est ‘Gaby’ et Manu, c’est déjà du passé.

Fin de partie pour Macron et la Macronie ? « On se serait cru à des funérailles mais en vrai, c’est bien l’enterrement d’une époque », observe un conseiller, pour qui « l’avenir, c’est ‘Gaby’ et Manu, c’est déjà du passé ».

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