Face au bloc d’extrême droite et à l’effondrement macroniste, la gauche se voit en rempart républicain

Devant la domination du Rassemblement national dans le pays, le Nouveau Front populaire cède du terrain mais veut croire qu’il peut gagner le match des deux blocs suite à l’échec du camp présidentiel.

Lucas Sarafian  • 1 juillet 2024
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Face au bloc d’extrême droite et à l’effondrement macroniste, la gauche se voit en rempart républicain
Rassemblement de la gauche, place de la République, le 30 juin 2024.
© Maxime Sirvins

Le pays connaît un troublant vertige. « C’est une nouvelle France qui va naître le 8 juillet, c’est une nouvelle France. Quoi qu’il arrive… », confie Manon Aubry, eurodéputée et cheffe de file des élus insoumis au Parlement européen, aux alentours de 19 heures ce dimanche 30 juin. Elle ne croit pas si bien dire. Une heure plus tard, les premières estimations des législatives sont rendues publiques. Le score du Rassemblement national (RN) écrase tous les autres. Avec 33,1 % des suffrages sur tout le territoire national, l’extrême droite n’a jamais été aussi près d’accéder au pouvoir depuis la naissance de la Ve République.

« Les Français ont rendu un verdict sans appel et confirmé leur aspiration claire au changement,estime Jordan Bardella depuis le pavillon Wagram, dans le 17e arrondissement de Paris. Deux chemins s’offrent à la France. D’un côté, l’alliance du pire, celle du Nouveau Front populaire rassemblée derrière Jean-Luc Mélenchon qui conduirait le pays au désordre, à l’insurrection et à la ruine de notre économie. De l’autre, l’union nationale. Cette alliance inédite motivée par l’intérêt national est désormais l’unique rempart républicain et patriote. »

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Les renoncements programmatiques du RN, sa difficulté à clarifier sa position quant aux retraites et sa volonté de discriminer les binationaux concernant les postes liés à la sécurité ou à la défense n’ont pas enrayé la dynamique du parti. Ce dernier se place en tête dans 297 circonscriptions. Il fait élire 40 députés dès le premier tour et réussit à qualifier 398 candidats au second, dans le cadre de duels ou des plus de 300 triangulaires qui se profilent. Le parti double presque les 18,68 % obtenus au premier tour des législatives de 2022, un résultat précédant l’accession de 89 députés à l’Assemblée nationale. Selon les projections, le parti d’extrême droite raflerait entre 230 et 280 sièges à la Chambre basse le 7 juillet.

L’effacement du macronisme

Dans une France clairement dessinée en trois blocs, le camp d’Emmanuel Macron subit une lourde défaite. Avec 20 % des suffrages, la coalition présidentielle renommée « Ensemble pour la République » entre en phase d’effacement. Elle ne qualifie que 260 candidats au second tour. D’après les estimations, la coalition pourrait avoir entre 70 et 100 sièges.

Notre objectif est clair : empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue au second tour.

G. Attal

Mais Gabriel Attal ne se résigne pas. « Jamais dans notre démocratie l’Assemblée nationale n’a risqué d’être dominée par l’extrême droite. Notre objectif est clair : empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue au second tour, de dominer l’Assemblée nationale et donc de gouverner le pays avec le projet funeste qui est le sien », affirme le Premier ministre lors d’une déclaration d’environ 5 minutes dans la cour de Matignon aux alentours de 22 heures. Au passage, le chef du gouvernement appelle à construire « une Assemblée où nous pèserons suffisamment pour bâtir entre forces républicaines des majorités de projets et d’idées ». Au regard de l’échec électoral de son camp, cet appel n’a reçu aucune réponse pour le moment.

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Le pari d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée est donc perdu. Le camp présidentiel sera privé de majorité. Par voie de conséquence, des figures notables de la Macronie subissent aussi cette gifle politique. À Paris, le député sortant, ancien ministre et directeur de la campagne macroniste pour les européennes, Clément Beaune, est battu dès le premier tour par le socialiste Emmanuel Grégoire. Dans l’Ain, l’ancien ministre Damien Abad est lui aussi disqualifié. Dans l’Essonne, Marie Guévenoux, la ministre des Outre-mer, se place en troisième position derrière la candidate écologiste Julie Ozenne et le candidat RN Paul-Henri Merrien. Elle annonce son désistement dans la foulée. Tout comme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Ville, devancée dans les Bouches-du-Rhône par la candidate RN Monique Griseti et Pascaline Lécorché, représentante de Place publique.

Place de la République, le 30 juin 2024, après l’annonce du score du RN, en passe d’obtenir la majorité absolue dans une semaine. (Photo : Maxime Sirvins.)

L’actuel ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, est nettement distancé dans la capitale par l’écologiste Léa Balage El Mariky. En Côte-d’Or, la ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, est largement devancée par le candidat RN Thierry Coudert et le socialiste Pierre Pribetich. Dans l’Hérault, Patricia Mirallès, la secrétaire d’État chargée des Anciens Combattants, connaît la même situation. Comme une ultime preuve de l’échec politique du macronisme : l’entourage de Gabriel Attal a annoncé à l’AFP dans la soirée que l’exécutif compte suspendre la réforme de l’assurance-chômage qui devait être officialisée par la parution d’un décret le 1er juillet.

Bipolarisation

Dans ce paysage, les gauches tentent désormais de se poser en rempart. « Le bloc de gauche démontre qu’il est aujourd’hui la deuxième force du pays capable d’apporter une majorité lors du prochain tour s’il y a un plus large rassemblement et si le camp présidentiel s’exprime plus clairement », assure Sébastien Vincini, membre de la direction du Parti socialiste (PS). Avec 28 % des voix, le Nouveau Front populaire (NFP) fait élire 32 députés dès le premier tour et réalise un meilleur score que la dernière expérience d’union des gauches. En 2022, la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) recueillait 25,7 % des voix. Selon les projections, les gauches pourraient aujourd’hui obtenir entre 125 et 165 sièges à l’Assemblée.

Partout, on a vu des gens voter pour la première fois. Tout est possible en une semaine.

P. Vannier

Persuadés que la dissolution de la force macroniste réinstalle une bipolarisation du pays entre l’extrême droite et le NFP, certains esquissent la ligne stratégique que pourrait emprunter la gauche : jouer bloc contre bloc. « On a une certitude, c’est que Gabriel Attal ne sera plus Premier ministre. Il paye la stratégie politique d’Emmanuel Macron. Il y a donc une question : est-ce qu’on ira en pire avec l’extrême droite ou en mieux avec le Nouveau Front populaire ? » expose Manon Aubry. Paul Vannier, député La France insoumise (LFI) réélu dès le premier tour dans le Val-d’Oise, réfléchit en termes électoraux : « L’enjeu désormais, c’est d’amplifier la mobilisation. Partout, on a vu des gens voter pour la première fois. Tout est possible en une semaine. »

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Mais si la nouvelle unité des gauches a permis de créer une nouvelle dynamique, tout n’est pas rose. Le secrétaire national du Parti communiste (PCF), Fabien Roussel, perd sa circonscription dans le Pas-de-Calais face au candidat RN Guillaume Florquin. Une défaite emblématique pour la gauche qui cède du terrain à l’extrême droite dans de nombreuses zones rurales en France.

« Ce n’est plus le ‘ni-ni’, c’est le ‘ou-ou’. »

Au sein des composantes du NFP, on compte bien mettre la pression au camp macroniste pour faire un appel clair au barrage républicain. « Emmanuel Macron a choisi la dérive du renvoi de la gauche et de l’extrême droite dans un même champ hors républicain. Il n’est jamais trop tard pour revenir à la raison. Il faut qu’il arrête de jouer avec le pays », lance Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble. « C’est de la responsabilité même du président de la République et des dirigeants de la majorité présidentielle de prendre des décisions claires. Nous les appelons à la responsabilité. Dimanche, le choix sera entre l’extrême droite et le Nouveau Front populaire. Il faut que les démocrates, les républicains de ce pays et l’ensemble des forces progressistes appellent clairement à voter pour nous. Ce n’est plus le “ni-ni”, c’est le “ou-ou” », explique Pierre Jouvet, secrétaire général du PS et récemment élu au Parlement européen.

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Néanmoins pour le second tour, les macronistes ne se distinguent pas par leur clarté. Les errements du chef de l’État, qui n’a cessé de mettre un signe égal entre la gauche et l’extrême droite durant cette campagne, ont largement infusé dans leurs esprits. Dans un communiqué publié dans la soirée, le parti Renaissance certifie que les candidats de la majorité présidentielle en 3e position se désisteront « au profit des candidats en mesure de battre le Rassemblement national et avec qui nous partageons l’essentiel : les valeurs de la République ».

« Siamo tutti antifascisti ! » Dès l’annonce des résultats, les forces de gauche ont convergé vers la place de la République, rejoints ensuite par les différents responsables du Nouveau Front populaire. (Photos : Maxime Sirvins.)

Dans une déclaration écrite transmise à l’AFP, Emmanuel Macron indique que « face au Rassemblement national, l’heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour ». La majorité du camp macroniste reste fidèle à la vulgate récente : il serait impossible, selon eux, de distinguer un candidat insoumis d’un candidat du RN. Socialistes, communistes, écologistes et insoumis assurent quant à eux que leurs candidats arrivés en troisième position se désisteront systématiquement pour mettre en échec le candidat RN. Une position décidée par visioconférence entre les directions des partis dans l’après-midi du 30 juin.

C’est maintenant qu’on va voir s’ils le sont vraiment.

M. Tondelier

Rassemblés aux alentours de 23 heures, chefs de partis de gauche et figures importantes du Nouveau Front populaire s’expriment sur une scène installée place de la République, devant une foule d’environ 10 000 personnes. Tous ont appelé au respect du barrage républicain. Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, interpelle les chefs de partis centristes : « Ils se réclament de l’humanisme, ils se réclament de la démocratie, ils se réclament d’être des républicains. C’est maintenant qu’on va voir s’ils le sont vraiment. Qu’ils viennent, qu’ils nous aident à construire un nouveau front républicain autour de notre programme. »

Marine Tondelier et Olivier Faure, place de la République, ce 30 juin, à Paris. La gauche s’est rassemblée pour appeler à un barrage clair contre le RN. (Photos : Maxime Sirvins.)

Olivier Faure, premier secrétaire du PS et député sortant réélu dès le premier tour dans la Seine-et-Marne, s’adresse à ceux qui n’ont pas voté pour le Nouveau Front populaire : « De quel côté veulent-ils être ? Veulent-ils être de ceux qui sont les marchepieds de l’extrême droite ou de ceux qui redonnent force et courage à ceux qui veulent une France solidaire, écologique, antiraciste ? »

Vent de face

Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, est sur le même ton : « Le choix qui est devant nous cette semaine, c’est de savoir si on accepte que la France s’abîme encore davantage dans le racisme, le rejet de l’autre et la continuité des politiques économiques d’Emmanuel Macron, ou si on tourne la page du macronisme, si on chasse l’extrême droite et si on change tout pour le pouvoir d’achat, pour la transition écologique, contre le racisme, pour le développement de nos services publics. » Pour Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste – L’Anticapitaliste et deux fois candidat de la Ligue communiste révolutionnaire à la présidentielle, « il faut que demain matin, on se transforme en contre-chaînes d’information en continu pour qu’on ait la victoire ». L’heure est donc à la mobilisation générale.

Nous y sommes : c’est eux ou nous. Il n’y a rien au milieu.

J-L. Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon, comme tout le mouvement insoumis, prophétise depuis 2017 l’effondrement du pouvoir macroniste. Le triple candidat à la présidentielle voit dans cette élection la réalisation de ce rêve politique : « Nous avons construit cette grande force, il n’y a plus dans ce pays d’échappatoire à un choix fondamental. Nous y sommes : c’est eux ou nous. Il n’y a rien au milieu. » Mais entre l’effritement du barrage républicain, l’entreprise de diabolisation de la gauche et le renforcement du socle électoral du RN, le Nouveau Front populaire a le vent de face. Et il souffle fort. Très fort.

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