« Macron s’épanouit dans le chaos mais il joue avec le feu »

Le maintien de Gabriel Attal à Matignon est une situation inédite qui pose un réel problème politique et démocratique. À gauche, le Président est attaqué sur ses accommodements avec la Constitution et son refus de reconnaître le résultat des urnes.

Nils Wilcke  • 12 juillet 2024
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« Macron s’épanouit dans le chaos mais il joue avec le feu »
Emmanuel Macron au sommet de l'OTAN, à Washington DC, le 11 juillet 2024.
© Brendan SMIALOWSKI / AFP

Emmanuel Macron est-il en train de tordre la Constitution ? Le président a refusé la démission de Gabriel Attal et de son gouvernement après la défaite du camp présidentiel aux élections législatives, lui demandant de rester « temporairement » au pouvoir. Pire, dans une « lettre aux Français » publiée mercredi dans la presse régionale, Macron estime que « personne ne l’a emporté » et appelle les partis politiques « se reconnaissant dans les institutions républicaines » à se regrouper pour former un gouvernement. Et ce, alors que le Nouveau Front populaire (NFP) l’a emporté en sièges face aux autres partis.

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La missive balaie le départ de Gabriel Attal à court terme, en dépit de la tradition républicaine qui veut qu’un gouvernement ayant perdu les élections se contente d’expédier les affaires courantes. « En l’état, le locataire de Matignon dispose de la plénitude de ses pouvoirs, ce qui ne serait pas le cas d’un gouvernement démissionnaire », confirme le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier à Politis (1). Une situation inédite qui pose un réel problème politique et démocratique : « Tout se passe comme si Emmanuel Macron ignorait le résultat des élections », selon ce juriste chevronné.

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Article mis à jour le 12 juillet 2024.

Étrange fièvre législative

En conséquence, les ministres sont pris d’une étrange fièvre législative. L’embouteillage de textes se mesure à la lecture quotidienne du Journal officiel (JO). Les 6 et 7 juillet, au second tour des législatives, Gabriel Attal promeut cinq projets industriels « d’intérêt national majeur » dont une usine d’extraction du lithium très controversée dans l’Allier, ce qui permet aux industriels concernés de bénéficier de dérogations environnementales.

Le 9 juillet, la ministre du Travail Catherine Vautrin prend un décret qui permet aux vignerons de suspendre le repos hebdomadaire de leurs équipes durant les vendanges. Un nouveau coup de canif au droit du travail saisonnier dénoncé par la Confédération paysanne, malgré six morts recensés par la section CGT du ministère du Travail en 2023 parmi ces travailleurs particulièrement exposés aux risques climatiques.

On est habitué aux coups de force de ce gouvernement mais là, on a l’impression qu’il piétine le résultat des urnes.

Le 10 juillet, c’est la ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet qui fait part de son intention de publier le décret de mise en œuvre des très contestées réformes de la formation des enseignants et les groupes de niveaux « dans les jours qui viennent ». Fureur de l’intersyndical qui claque la porte des négociations rue de Grenelle le jour même. « On est habitué aux coups de force de ce gouvernement mais là, on a l’impression qu’il piétine le résultat des urnes », confie un syndicaliste à Politis. Dernière annonce en date, Bruno Le Maire a adressé jeudi « un courrier de notification à tous les ministères de leur plafond de dépenses » pour 2024 qui « va marquer une réduction de 5 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale », écrit le ministre dans Le Figaro.

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Une situation qui fait hurler la gauche, arrivée en tête des élections. Sur ce sujet elle parle d’une même voix quand bien même les négociations pour désigner un Premier ministre issu du Nouveau Front populaire patinent. « Unique dans le monde démocratique : le président refuse de reconnaître le résultat des urnes, déclare Jean-Luc Mélenchon. C’est le retour du droit de veto royal sur le suffrage universel. Il prétend donner du temps pour former une autre coalition par magouilles après les élections ! »

On ne peut pas perdre et gagner en même temps.

M. Tondelier

Même position pour le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel et son homologue des Écologistes, Marine Tondelier, pour qui le « déni » du chef de l’État « abîme le pays et la démocratie » : « Ça fait sept ans qu’on nous sert le ‘en même temps’ à toutes les sauces. Mais on ne peut pas perdre et gagner en même temps (…) Emmanuel Macron a décidé seul de cette dissolution. Qu’il tire maintenant les conséquences de son résultat ». Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a même écarté ce mercredi l’option de couper les ponts avec LFI, parti avec lequel Emmanuel Macron avait exclu de gouverner dès le 3 juillet.

Le texte et l’esprit du texte

Côté exécutif, on tempère ces critiques : « Tous les gouvernements tentent de faire passer leurs textes dans ce type de période, explique un conseiller ministériel à Politis. Mais c’est vrai que dans ce contexte, cette pratique peut susciter plus de critiques que d’habitude ». C’est peu de le dire.

Jusqu’à quand Emmanuel Macron peut-il maintenir Gabriel Attal à Matignon sachant que dès la première minute où il aura été démis, ses pouvoirs seront réduits aux affaires courantes, c’est-à-dire « avec des moyens d’action très limités », comme l’indique Jean-Philippe Derosier ? « Théoriquement, il n’y a pas de limite fixée par la Constitution, selon le constitutionnaliste. Mais il y a le texte et l’esprit du texte. Le président fait face à un rejet démocratique de son gouvernement. Or, la Constitution dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple. Emmanuel Macron est devenu minoritaire et Gabriel Attal n’a plus la légitimité démocratique et politique pour gouverner ».

Il crève de trouille, pour lui, c’est la fin du jeu si la gauche prend Matignon

En apparence, le locataire de l’Élysée se montre serein face aux critiques. Mais en coulisses, le Château s’agite et convoque la crème des juristes pour tenter de légitimer ces accommodements avec la Constitution, selon nos informations. « Emmanuel Macron s’épanouit dans le chaos, qui lui permet de conserver le pouvoir mais il joue avec le feu. Il crée un dangereux précédent dont pourrait s’inspirer l’un de ses successeurs », s’inquiète l’un de ses interlocuteurs réguliers, qui pense à une victoire potentielle de Marine Le Pen en 2027.

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« C’est du pur Macron, c’est un dirigeant autoritaire, pas un démocrate », explique l’un de ses anciens conseillers qui l’a suivi en 2017. Outre les tendances autoritaires du président, il y a aussi la volonté de briser l’alliance à gauche mais aussi la peur de voir arriver le NFP au pouvoir. « Il crève de trouille, pour lui, c’est la fin du jeu si la gauche prend Matignon », ricane un conseiller ministériel. Il suffit de parcourir les mesures prévues dans le « contrat de législature » signé par les partis de gauche. Abrogation de sa réforme des retraites, smic à 1 600 euros, suppression du choc des savoirs, blocage du prix des biens de première nécessité…

« Il a flairé l’odeur du sang »

« La gauche veut détricoter son œuvre. Pour lui c’est une déclaration de guerre, il a flairé l’odeur du sang », explique l’un des proches du président à Politis. Preuve de cette panique qui les saisit, les Macronistes sortent les arguments les plus absurdes envers le NFP. « C’est un ensemble de partis sous l’emprise d’un seul homme, Jean-Luc Mélenchon », affirme Prisca Thévenot sur BFMTV jeudi matin. « On parle bien du parti dont les membres sont tellement inféodés à Emmanuel Macron qu’ils se font appeler les Macronistes ? », sourit un député socialiste.

Emmanuel Macron déçoit chaque jour un peu plus et le pire, c’est qu’on voit qu’il n’a pas de plan.

En attendant, les ministres n’en peuvent plus de rester en poste. Tandis que Gabriel Attal devrait élu président du groupe Renaissance à l’Assemblée alors qu’il est toujours à Matignon, Agnès Pannier-Runnacher pose tout sourire à Arras avec une écharpe de députée lors d’une commémoration ce 11 juillet. Ce qui la place dans une zone grise vis-à-vis de la Constitution, qui pose une incompatibilité entre des responsabilités ministérielles et un mandat parlementaire. « C’est très limite mais de toute façon, au point où on est, soupire une conseillère ministérielle. Emmanuel Macron déçoit chaque jour un peu plus et le pire, c’est qu’on voit qu’il n’a pas de plan en fait .» (2)

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Article mis à jour le 12 juillet 2024.

« Ce n’est pas un acte formel pour la députée comme un vote à l’Assemblée, elle revêt les habits de parlementaires qui lui ont été remis après son élection, tempère Jean-Philippe Derosier. Par contre, lors de l’installation de la nouvelle législature le 18 juillet, ministre ou député, il faudra choisir. »

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Le président s’est en effet fixé l’échéance du 18 juillet, et la nomination du futur, ou de la future président(e) de l’Assemblée nationale, selon Le Parisien. Car le chef de l’État fait face à une échéance incontournable : si le gouvernement est toujours en place à cette date, les 17 ministres élus ou réélus députés ne pourront pas participer aux travaux de l’Assemblée nationale et notamment à l’élection de son président. Or, ce rendez-vous est crucial pour le président qui attend de voir si une majorité à gauche se dégagera pour faire élire l’un des siens au perchoir.

Au NFP, la pression s’accentue pour désigner un nouveau Premier ministre. Ce matin, Marine Tondelier qualifie Emmanuel Macron de « gaulois réfractaire » sur BFMTV. La gauche a tout intérêt à se regrouper pour lui faire entendre raison.

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