Les ambitions démesurées du RN pour le SNU, « machine à créer de bons petits Français »

Depuis la création du SNU en 2018, le parti d’extrême droite a toujours défendu ce dispositif décrié qu’il préférerait voir remplacé en un véritable retour du service militaire.

Hugo Boursier  • 2 juillet 2024
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Les ambitions démesurées du RN pour le SNU, « machine à créer de bons petits Français »
Un village SNU, à Versailles, en avril 2023.
© Lily Chavance.

Déception. C’est le sentiment qui traverse les cadres du Front national, le 27 juin 2018, quand Emmanuel Macron esquisse enfin les grandes lignes du service national universel (SNU) après un an d’hésitation. Quelques mois plus tôt, le parti d’extrême droite avait salué les premières présentations du dispositif, dont la durée s’imaginait à l’époque sur trois mois. « Une mesure de bon sens », avait commenté l’actuel président du RN, Jordan Bardella, alors porte-parole. Mais au début de l’été, lorsque le gouvernement réduit finalement la voilure du SNU à un mois – aujourd’hui, il dure 12 jours – c’est la colère parmi les rangs frontistes.

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais, souffle : ce SNU « ne rime à rien ». « L’idée d’un service national est une bonne idée, mais il faut au moins 3 mois », préconise-t-elle. Le but de ces trois mois ? « Apprendre à nos jeunes tout ce qu’on veut leur apprendre : l’amour de la nation, le mélange des classes sociales, le patriotisme, éventuellement la maîtrise des armes. »

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Le parti s’empresse de publier une déclaration officielle. Le lendemain, un communiqué est mis en ligne : « Comme toujours avec le gouvernement, la présentation du nouveau service national universel laisse sur sa faim. Ce qui aurait pu être au départ une bonne idée est une fois encore totalement dévoyé », se lamente le RN.

La missive s’achève sur ce que les Le Pen ont toujours défendu : le rétablissement d’un service national obligatoire. Le détail est donné juste après : il serait « d’une durée impliquant une véritable rupture avec le quotidien, encadré militairement pour un véritable apprentissage de la rigueur, centré sur la transmission des valeurs et de l’amour de la France et une véritable sensibilisation à l’esprit de défense et à l’engagement pour la nation. »

« Un embryon de service national »

Après une courte expérimentation, le SNU connaît des débuts difficiles dû à la crise sanitaire. Ce n’est qu’à partir de 2022 que le gouvernement se met en branle pour en vanter les mérites. Mais il n’est pas le seul. Le Rassemblement national est devenu un formidable allié des macronistes dans la défense du dispositif. Une attitude que le RN n’ose pas trop affirmer devant les caméras ou sur les plateaux télé. Il ne faut pas trop apparaître comme les lèche-bottes de la majorité. Mais dans les commissions, bien moins exposées médiatiquement, les langues se délient.

Nous avons là un embryon de service national qu’il faudrait étendre à l’ensemble des jeunes.

R. Chudeau

C’est le cas de ce mardi 27 septembre 2022, dans la commission de la défense nationale et des forces armées. Alors que le SNU est présenté par Sarah El Haïry, alors secrétaire d’État chargée du dispositif – et actuelle candidate en Loire-Atlantique, derrière le NFP, un élu du RN prend la parole. « Sur le papier et à vous entendre, le SNU est un beau projet », estime le député RN de Moselle, Laurent Jacobelli. L’actuel porte-parole du RN regrette que les rangs de volontaires ne soient pas plus fournis. Il considère que le SNU devrait être « plus attractif, plus patriote ». Car « quand l’autorité de l’État est remise en cause, quand beaucoup [de jeunes] ne connaissent ni nos valeurs républicaines ni l’histoire de notre pays, le SNU peut-être une formidable machine à créer de bons petits Français », imagine-t-il.

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Un mois plus tard, c’est au tour de Roger Chudeau de dresser les louanges du SNU. C’est ce député du Loir-et-Cher qui a défrayé la chronique, jeudi 27 juin, en affirmant que les ministres d’un potentiel gouvernement Bardella ne pouvaient détenir la binationalité. En octobre 2022, l’élu est déjà perçu comme le Monsieur Éducation du RN. En commission des affaires culturelles et de l’éducation, il affiche une adhésion totale au SNU. « Le SNU est une très bonne chose », démarre-t-il son intervention. « Nous avons là un embryon de service national qu’il faudrait étendre à l’ensemble des jeunes », poursuit-il, avant de proposer de prélever 30 millions d’euros du budget des JO pour le réinjecter dans le SNU.

Bis repetita le 3 mai 2023, à nouveau en commission de la défense nationale et des forces armées. Cette fois-ci, c’est au tour de Frédéric Boccaletti de défendre le SNU. Le proche de Jean-Marie Le Pen, et ancien gérant d’une librairie qualifiée de négationniste, va même plus loin. Il veut que le SNU prépare à l’entrée dans les armées. « [Le SNU] pourrait également susciter des vocations pour un engagement dans la réserve ou dans l’armée régulière. Qu’attendons-nous pour proposer à notre jeunesse engagée volontaire ce qu’elle attend, c’est-à-dire une coloration plus militaire et des séjours plus longs ? », interroge-t-il.

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Les révélations de malaises à foison, de punitions collectives, de racisme, de harcèlements et d’agressions sexuelles sont loin de déranger le Rassemblement national. Bien au contraire.

Obligatoire pour les adolescents

Quelques mois plus tard, cette défense acharnée finit par s’inviter dans l’Hémicycle. Alors que le projet de loi de finance est débattu en séance plénière, les députés Julien Odoul et Roger Chudeau s’associent pour tenter de renforcer le SNU. Le premier va même dans le sens d’Emmanuel Macron, qui expliquait quelques mois plus tôt, après les révoltes suite à la mort de Nahel Merzouk, que le SNU pouvait être un outil pour « reciviliser » les quartiers populaires. « Nous tenons à rappeler que le SNU relève d’une belle idée. Belle, parce qu’elle répond à des besoins criants, comme les dernières émeutes l’ont montré », argue Julien Odoul.

Les deux élus se rejoignent dans plusieurs amendements pour augmenter le budget du SNU. Roger Chudeau regrette d’ailleurs que l’augmentation prévue par le gouvernement ne soit que de 20 millions d’euros, fixant le montant alloué au dispositif à 160 millions d’euros. « C’est ridicule ! », peste-t-il. Un peu plus tôt, Julien Odoul proposait lui de transformer le SNU « en un service ouvert également aux majeurs et de rendre, à terme, obligatoire pour les adolescents et les jeunes adultes ». L’élu dessine alors les contours du retour du service militaire que le RN a toujours défendu.

Nous tenons à rappeler que le SNU relève d’une belle idée. Belle, parce qu’elle répond à des besoins criants.

J. Odoul

Défendu par les cadors du RN depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le retour du service militaire obligatoire pour les jeunes avait été détaillé deux ans avant les élections présidentielles de 2017 par Marine Le Pen. La mesure était d’ailleurs présente dans son programme. Au cours d’une conférence de presse organisée un mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, en 2015, la patronne du FN proposait un service de trois mois « pour relancer l’assimilation. » Le premier mois serait consacré à une « formation militaire citoyenne théorique et pratique ». Puis, les deux mois suivant, au sein de services de sécurité.

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Autre précision, et elle est de taille. Marine Le Pen avait précisé, à l’époque, qu’un « certificat d’exécution du service à la nation » pourrait « être rendu nécessaire pour l’obtention du RSA, de l’APL, et autres prestations sociales ». La « machine à créer de bons petits Français », dont parlait Laurent Jacobelli, tourne au carburant raciste de la préférence nationale. Sera-t-elle lancée si l’extrême droite obtient une majorité à l’issue du second tour des législatives, dimanche ? Contacté, le Rassemblement national n’a pas répondu à nos questions.

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