Vendanges : « Le gouvernement a fait un cadeau aux employeurs avant de partir »
Deux jours après le second tour des législatives, bien que défait dans les urnes, le gouvernement a signé un décret autorisant la suspension du repos hebdomadaire durant les vendanges. Une décision qui inquiète Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT Champagne.
C’est une mesure, choquante sur le fond, comme sur la forme. Défait dans les urnes, le gouvernement continue de signer des décrets. Et certains d’entre eux ne sont pas de la simple gestion des affaires courantes. Ainsi, le 9 juillet, Gabriel Attal a pris un décret autorisant la suspension du repos hebdomadaire durant la période des vendanges. Une décision antisociale pour des travailleurs saisonniers – bien souvent étrangers – déjà extrêmement précarisés. Une mesure dangereuse, surtout, alors que l’été dernier, quatre personnes sont mortes au travail durant cette période dans le vignoble champenois, du fait, notamment, d’une chaleur caniculaire. Une dangerosité que souligne Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT Champagne.
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez vu qu’un décret autorisant la suppression du jour de repos hebdomadaire avait été signé par Gabriel Attal, ce mercredi 9 juillet ?
Philippe Cothenet : On a appris la nouvelle hier (jeudi 10 juillet, N.D.L.R.). On n’a jamais été consultés sur un tel décret. Mais ça ne m’étonne pas tant que cela. Comme d’habitude, c’est à l’avantage de l’employeur. Auparavant, cet assouplissement devait être demandé auprès de la direction régionale du travail et il fallait justifier de « circonstances exceptionnelles ». Or les vendanges, ça arrive chaque année. Donc ce n’est pas vraiment exceptionnel. Il arrivait régulièrement que les demandes de dérogations soient refusées. Avec ce décret, cette obligation disparaît, c’est beaucoup plus light. Il faut juste « aviser » l’agent de contrôle. Point barre. Malgré tout, cela entérine une pratique qui existait déjà. En Champagne, plus de 1 000 sociétés prestataires participent aux vendanges. Et beaucoup d’entre elles ne sont pas très connues pour défendre le droit des travailleurs saisonniers.
Pourquoi cela ne vous étonne pas ?
Parce que ce n’est que la suite de tout un tas de règles qui ne vont ni dans le sens de meilleures conditions de travail ni d’une meilleure sécurité. Il y a déjà des dérogations au temps de travail énorme, jusqu’à 66 heures pour la cueillette et 72 heures au niveau des centres de pressurages. L’année dernière il y a eu quatre morts du fait des mauvaises conditions de travail et pourtant cela n’empêche pas qu’on continue de déverrouiller les normes sociales.
Les prestataires se font énormément d’argent sur la misère humaine.
Comment l’expliquez-vous ?
Le néolibéralisme. Tout simplement. En Champagne, 120 000 personnes sont employées, plus de 100 000 d’entre elles sont des saisonniers qui travaillent sur les 35 000 hectares de vignobles sur une quinzaine de jours. Depuis 40 ans, tout est fait pour que le coût de ce travail baisse. Récemment, encore, avec le fait de nous passer en métier « en tension ». Et cela fait des années qu’on a laissé des sociétés de prestations – qui, parfois, se créent, juste pour la période des vendanges – s’installer pour amener de la main-d’œuvre étrangère, venant de l’Est de l’Europe et de plus en plus d’Afrique de l’Ouest, qu’elles exploitent. Ces gens-là n’iront jamais, ou presque, aux prud’hommes. Ils sont payés à la tâche, au nombre de kilos cueillis, quelques dizaines d’euros par jour. Et cela, forcément, dégrade leur condition de travail. Aujourd’hui, les prestataires se font énormément d’argent sur la misère humaine.
En effet, le champagne est connu pour brasser beaucoup d’argent…
Oui, on est à 6,3 milliards de chiffre d’affaire l’année passée, dont deux tiers générés par le vignoble champenois ! Je ne connais pas beaucoup de secteurs aussi petits qui génèrent autant d’argent. Mais on a affaire à des esprits mercantiles. Dans les grands crus, le raisin se négocie entre 8 et 12 euros le kilo. C’est le plus cher du monde. Et, en parallèle, on est dans une précarisation des salariés, c’est un non-sens !
Je pensais qu’ils ne pourraient plus rien faire, mais ils ont réussi à glisser ça.
Vous avez évoqué les quatre morts qu’il y eu l’été dernier. Une enquête pour traite d’êtres humains est toujours en cours au parquet de Châlons-en-Champagne. Craignez-vous que de telles situations se répètent cet été ?
Aucune leçon n’a été tirée. On aurait pu – même dû ! – faire des décrets qui responsabilisent les donneurs d’ordre qui sont en haut de la pyramide, mettre en place des sanctions – comme le déclassement des récoltes. On a aussi demandé qu’un cahier des charges soit écrit. Mais rien n’est fait, tout simplement. La seule réponse apportée est ce nouveau décret qui risque d’aggraver encore la situation.
Pour terminer, ce décret a été pris juste après la défaite du gouvernement et de sa majorité lors des élections législatives. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis très surpris. Je pensais qu’ils ne pourraient plus rien faire, mais ils ont réussi à glisser ça. Comme quoi, tout est volonté politique, et visiblement, ils ont le courage pour aider les employeurs. Sans doute ont-ils eu peur de ne pas pouvoir le faire plus tard donc ils ont profité de cette petite fenêtre. On soupçonne la ministre du Travail, Catherine Vautrin, d’en être à l’origine. Mais on ne peut pas le prouver. En effet, elle vient Champagne (avant d’être ministre, elle était présidente du Grand Reims, N.D.L.R.) et ce décret, qui concerne la récolte manuelle, est vraiment adressé, en grande partie, à la Champagne. Donc c’est un petit cadeau aux employeurs avant de devoir partir.
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