En plein divorce avec LFI, François Ruffin garde son cap
Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.
Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14 heures, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacées. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.
Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie.
Christophe
À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.
Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.
Le mépris
Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.
« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ses sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »
Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement
Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier d’« opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.
15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’Agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».
Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.
« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »
Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute-puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.
Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain.
F. Ruffin
Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ses joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.
François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. C’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte-à-porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »
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