« Kamala Harris pourrait bénéficier des faiblesses de Donald Trump »

Alexis Buisson est l’auteur de L’Héritière (L’Archipel, 2023), biographie de Kamala Harris. Notre correspondant à New York livre son regard sur la campagne présidentielle et sur la candidate démocrate.

Tristan Dereuddre  • 26 juillet 2024 abonné·es
« Kamala Harris pourrait bénéficier des faiblesses de Donald Trump »
© Brendan SMIALOWSKI / AFP

L’Héritière, Alexis Buisson, L’Archipel, 2023, 240 pages.

Après le renoncement de Joe Biden dans la course à la présidence, peut-on imaginer que Kamala Harris ne soit pas la candidate démocrate pour l’élection présidentielle ?*

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Interview réalisée avant que Kamala Harris ne soit désignée la candidate des Démocrates.

Alexis Buisson : On n’est jamais sûr à 100 %, mais le risque est très faible. Les 24 heures qui ont suivi le retrait de Joe Biden montrent que le parti fait bloc derrière elle, dans son ensemble : des élus progressistes, d’autres plus modérés, hispaniques, noirs mais aussi des ténors comme Bill Clinton ou Nancy Pelosi (1) lui ont apporté leur soutien. Obama attend toujours que le candidat soit investi, c’était déjà le cas en 2020. En plus de ce bloc, elle aurait atteint le nombre de délégués requis pour remporter l’investiture du parti démocrate. Et à ce stade, aucun adversaire sérieux ne s’est dégagé.

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Présidente de la Chambre des représentants des États-Unis de 2007 à 2011 et de 2019 à 2023.

Son expérience politique lui donne-t-elle l’envergure d’une présidente ?

On n’est jamais vraiment prêt à exercer cette fonction. Quand elle accède à la vice-présidence en 2020, son passé de procureure ne lui offrait que très peu d’expérience en politique nationale et internationale – malgré un passage de quelques années au Sénat. Mais au cours des 4 dernières années, elle a vraiment gagné en assurance et en expérience dans l’ombre de Joe Biden. Elle a porté la voix des États-Unis à l’étranger, rencontré des centaines de leaders internationaux, promu les politiques du gouvernement Biden dans le pays à travers des déplacements ciblés – par exemple, sur le développement de l’internet à haut débit ou sur l’avortement. Tout cela lui a permis d’appréhender le monde et le pays à travers le prisme de la Maison Blanche.

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Lors de son accession à la vice-présidence en 2020, Kamala Harris a bénéficié d’une forte exposition médiatique. Comment expliquer son « invisibilisation » ensuite au cours du mandat de Joe Biden ?

Elle est effectivement arrivée dans ce rôle avec énormément d’attentes sur ses épaules. Elle était vue comme une vice-présidente historique, la première femme de couleur à occuper ce poste. Son invisibilisation s’explique par deux facteurs. D’abord le poste de vice-président en lui-même, très proche du pouvoir, mais dont sa seule fonction écrite dans la Constitution est de prendre la suite du Président s’il devenait incapable de gouverner. Le vice-président doit s’effacer face au président et promouvoir ses politiques. C’est le rôle de « super conseiller » qui, par la force des choses, le rend invisible.

Elle a vraiment envie d’insister sur le fait que Donald Trump est un condamné.

Ensuite, c’est la première fois depuis le début des années 2000 qu’un vice-président a moins d’expérience de Washington que le président. Quand on regarde la présidence de George Bush, son vice-président Dick Cheney avait beaucoup plus d’expérience de Washington, grâce à son passé de gouverneur et sa connaissance pointue des institutions. C’est le même schéma pour les couples Obama- Biden et Trump-Pence. Mais ici, c’est précisément l’inverse : Kamala Harris n’a que très peu d’expérience de Washington, où elle a été sénatrice quelques années, là où Joe Biden a passé des décennies au Sénat et jouit d’une très grande expérience internationale. Je pense que cette configuration explique le fait qu’elle ait été en retrait.

Dans un sondage Reuters / Ipsos paru hier matin, Kamala Harris devance Donald Trump de 2 points (44 % d’intentions de vote contre 42 %). Peut-elle battre le candidat des Républicains ?

Il faut surtout se concentrer sur les sondages des « swing states », ceux qui sont susceptibles de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Mais ces derniers ont tendance à ne pas être très précis. De plus, Kamala Harris n’a pas vraiment commencé à faire campagne. Il est encore très tôt pour tirer des conclusions.

À mon avis, ce serait une erreur de ne faire qu’une campagne anti-Trump.

Quelle stratégie de campagne va-t-elle adopter ?

D’après ses premières déclarations, on dirait qu’elle a vraiment envie d’insister sur le fait que Donald Trump est un condamné. Elle met en avant son passé de procureure, qui lui avait fait défaut lors de la primaire en 2019. Mais ce qui était une faiblesse il y a cinq ans est un atout face à son adversaire Républicain, qui est condamné. Elle va aussi continuer la stratégie de Joe Biden, c’est-à-dire insister sur le fait que le parti Républicain a basculé vers la droite et s’est radicalisé sur certaines questions comme l’avortement, qui est aujourd’hui le cheval de bataille de Kamala Harris. À mon avis, ce serait une erreur de ne faire qu’une campagne anti-Trump. La plupart des Américains sont pessimistes sur l’avenir du pays. L’inflation est très difficile à vivre pour les ménages les plus pauvres. Kamala Harris doit aussi exprimer une vision d’avenir qui permet de redonner de la confiance et de l’espoir à cette population.

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Le racisme et le sexisme sont deux réalités qui empoisonnent la société américaine. Une femme métisse peut-elle être élue par les Américains ?

Il y a quand même une évolution sur ces sujets avec une plus grande ouverture. Cela s’explique en partie parce que la société américaine évolue, que la part des Blancs se réduit, et qu’il y a moins de ségrégation et plus de mélanges notamment au sein des jeunes. C’était très clair au moment des Black Lives Matter, où il y avait énormément de jeunes d’horizons sociaux différents qui sont descendus dans la rue. Les mentalités évoluent, et la chance de Kamala Harris est d’être en face de Donald Trump, considéré comme extrême, accusé de viol et condamné par la justice. La candidate démocrate pourrait bénéficier des faiblesses de son adversaire.

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