« Macron refuse de prendre acte du résultat des urnes »
En pleine négociation pour former un gouvernement, Clémence Guetté et Cyrielle Chatelain ont accepté, en exclusivité, d’échanger pour Politis. Coalition, premières mesures… Elles nous exposent leur vision d’un pouvoir qu’elles comptent bien prendre, ensemble.
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63 % des Français favorables à une nouvelle Constitution À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble La constituante : un défi politique, une nécessité démocratique « On est peut-être à l’aube d’une révision constitutionnelle majeure »Cyrielle Chatelain est présidente du groupe parlementaire des Écologistes depuis 2022. Elle vient d’être réélue députée de la deuxième circonscription de l’Isère. Elle a participé à la rédaction du contrat législature du Nouveau Front populaire. Clémence Guetté est députée insoumise du Val-de-Marne et coprésidente de l’Institut La Boétie. Elle a dirigé le programme de Jean-Luc Mélenchon en 2022 après avoir été secrétaire générale du groupe parlementaire LFI entre 2017 et 2022.
Comment analysez-vous les résultats du 7 juillet ?
Cyrielle Chatelain : Il y a une demande de rupture claire par rapport aux politiques ultralibérales menées par Emmanuel Macron. Le second message envoyé par ces résultats, c’est une mobilisation massive pour faire front républicain. Il y avait deux possibilités : un projet antirépublicain représenté par le Rassemblement national (RN) et un projet républicain, le nôtre. Le message est limpide : le RN ne doit ni s’installer ni gouverner nos institutions.
Il y a une forte nécessité de faire revivre la démocratie parlementaire.
C.G.
Clémence Guetté : Je partage le constat que nous nous retrouvons dans cette situation parce que la Macronie a été totalement défaite aux européennes, que le RN est arrivé en tête et qu’il y a eu, ensuite, une forme de sursaut dans le pays. Pendant ma campagne, tous les jours des gens venaient me voir, apeurés à l’idée de voir l’extrême droite accéder au pouvoir par les urnes pour la première fois de notre histoire. Cette peur a ensuite laissé place à la prise de conscience et à la lucidité populaire. Les gens ont très bien compris que le programme du RN est un programme raciste. Les sorties de Jordan Bardella sur les binationaux ont fortement heurté, et les Français ont une autre idée de ce qu’est leur pays. Ils ont envie de continuer à vivre ensemble, mais mieux.
Ensuite, l’arnaque sociale de l’extrême droite a été démasquée pendant cette campagne. Jordan Bardella a effacé au fil des jours des mesures sociales, en plus de prouver son incapacité à expliquer le financement de son programme qui aurait pu être une catastrophe sur le plan économique. Désormais, on peut le dire : cela n’arrivera pas. Tous les sondages donnaient le RN avec une majorité avant le second tour des législatives, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. C’est une bonne leçon pour les conditions du débat démocratique. Le résultat est là, c’est le Nouveau Front populaire (NFP) qui est arrivé en tête. Mais aujourd’hui, Emmanuel Macron refuse de prendre acte du résultat des urnes.
Justement, depuis les résultats, Emmanuel Macron n’a appelé aucun chef de parti du Nouveau Front populaire. Comment comptez-vous faire pour le faire céder ?
C. G. : Dans quelle démocratie le président de la République convoque des élections pour solder une crise politique sans tenir compte du résultat des urnes ? C’est une situation brutale. Nous devons en sortir. Nous allons continuer à mettre la pression parce qu’Emmanuel Macron doit reconnaître la situation démocratique dans laquelle nous sommes, et parce que nous sommes prêts à gouverner. Nous avons un programme et une équipe puissante. Le Nouveau Front populaire est une coalition de partis et un élan citoyen inédit alliant des syndicats et des associations. Il faut absolument que cela perdure. Cette pression citoyenne doit se maintenir pour obtenir qu’Emmanuel Macron acte que nous sommes en tête. Nous sommes dans une situation anormale permise par la Ve République. Il y a une attente populaire et le NFP est la seule force politique capable d’y répondre. Il y a une forte nécessité de faire revivre la démocratie parlementaire.
C. C. Je partage mot pour mot ce qui a été dit. Nous avons un projet. Il est chiffré et organisé de manière temporelle. Il faut donc un gouvernement solide qui mettra en œuvre les idées majoritaires de ce pays.
En situation de majorité relative, comment gouverner sans brutaliser le Parlement ?
C. C. Il faut sortir de la culture française d’une politique verticale et présidentialisée autour d’un homme qui décide. Il est indispensable de sortir de cette logique. C’est pour cela que nous sommes favorables à une VIe République, car il faut revitaliser le Parlement. Quand la gauche gouvernera, la représentation nationale redeviendra le cœur de la démocratie. À partir de là, notre gouvernement devra être cohérent : il devra présenter des projets qui, parce qu’ils ont une adhésion populaire, auront une majorité à l’Assemblée nationale. La réforme des retraites a été adoptée contre l’avis des syndicats, contre l’opinion des Français et contre le Parlement. Je ne vois pas un parlementaire expliquer à ses électeurs qu’il se positionne contre l’avis des Français. C’est impossible.
Seriez-vous d’accord pour dire que vous n’utiliserez pas le 49.3 si vous êtes amenées à gouverner ?
C. C. L’abrogation du 49.3 est dans notre programme.
C. G. Nous nous sommes trop habitués à ce que l’Assemblée soit la chambre d’enregistrement des désirs du Président. L’Hémicycle est un lieu où, théoriquement, le gouvernement arrive avec un texte et les parlementaires peuvent amender, modifier et voter. Nous trouverons des chemins, ce que les macronistes ont oublié pendant sept ans. Ils n’ont fait que passer comme des bulldozers sur les parlementaires. L’exemple de la séquence des retraites est emblématique de cette habitude de passer en force. Le sujet des superprofits et des superdividendes en est un autre. Des propositions émanaient d’un large nombre de groupes parlementaires. Au sein de la commission des Finances, même le Modem avait soutenu certaines propositions de partage des richesses. Il est temps de sortir du dogmatisme et d’agir pour l’intérêt des Français.
Si vous accédez au gouvernement, quelles seront vos priorités ?
C. G. Nous avons un contrat de législature. Les 15 premiers jours, nous prendrons des mesures d’urgence par décrets ou par circulaires pour changer la vie des gens. Tout est prêt. Le pouvoir d’achat est l’une de nos priorités : il faut que les Français puissent respirer dès cet été. Nous mettrons en œuvre le Smic à 1 600 euros net, nous abrogerons la réforme des retraites, nous bloquerons les prix des biens de première nécessité. Nous allons aussi revenir sur le plan « choc des savoirs » de Gabriel Attal qui organise un tri social des élèves. Ensuite, nous défendrons des grandes lois pour répondre aux besoins populaires, ce qui nous ramène au renforcement des services publics.
Un texte portera sur l’école puisque l’Éducation nationale a été abîmée : nous voulons notamment atteindre 19 élèves par classe et nous revaloriserons le salaire des enseignants. Un second texte portera sur la reconstruction de notre hôpital public : il lui faut davantage de moyens pour que plus personne ne meure sur un brancard en 2024 dans une puissance comme la France. Ensuite, nous organiserons, concomitamment à l’ouverture d’une session parlementaire, des conférences sociales sur les salaires, l’emploi et la qualification professionnelle ou une autre sur l’hôpital public pour associer les syndicats. Car il s’agit aussi de sortir de la logique d’Emmanuel Macron qui est celle de la brutalisation des corps intermédiaires et du Parlement.
En clair, on met en place une autre politique économique qui répartit mieux les richesses.
C.C.
C. C. Oui, le pouvoir d’achat et l’école sont des urgences. Nous stopperons le plan « choc des savoirs » même si Nicole Belloubet continue de vouloir mettre en place des groupes de niveau (sur FranceInfo le 9 juillet, N.D.L.R.). Mais cette ministre n’a plus de légitimité pour prendre ce type de décision. Nous avons parlé de gratuité progressive de l’école, notamment pour les cantines et les fournitures. C’est un objectif qui peut être atteint d’ici à la prochaine rentrée scolaire en lien avec les collectivités locales. Ensuite, l’autre urgence est environnementale. Il faut arrêter les projets climaticides comme les mégabassines ou les constructions d’infrastructures autoroutières qui sont passéistes et nous entraînent dans un modèle qui ne vise pas à lutter contre le changement climatique.
Si nous nous projetons dans un temps plus long, nous présenterons un budget qui nous permettra de redonner des moyens aux services publics et de mieux répartir les richesses en annulant un certain nombre de baisses d’impôts qui ont coûté très cher au pays. En clair, on met en place une autre politique économique qui répartit mieux les richesses. Dans le courant de l’année, nous défendrons également une grande loi sur la planification écologique.
Une fenêtre de l’histoire s’est ouverte et nous devons nous y engouffrer.
C.G.
Qui incarnera demain le Nouveau Front populaire ?
C. C. Nous avons une très grande responsabilité. Nous ne pouvons pas échouer. Quelque chose nous dépasse et nous n’aurons pas de deuxième chance. Nous devons être rigoureux. Composer un gouvernement du Nouveau Front populaire est bien plus facile que de construire un gouvernement macroniste. Le camp présidentiel ne compte plus de talents ! Clémence Guetté, Mathilde Panot, Johanna Rolland, Clémentine Autain, Marine Tondelier… Nous avons un nombre de personnes de grande qualité qui feront un gouvernement solide. L’enjeu, ce ne sont pas les destins individuels, mais notre destin collectif en tant que nation. Les décisions que nous prendrons seront déterminantes pour l’histoire de notre pays.
C. G. Nous avons énormément de personnes capables, qui ont pris l’habitude de travailler ensemble depuis la création de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), comme c’est le cas des présidentes de groupe Cyrielle Chatelain, pour les écologistes, et Mathilde Panot, pour La France insoumise. Il y a une tentation médiatique d’accélérer le processus. Nous, nous prenons le temps de discuter en se respectant les uns et les autres. De plus, il ne faut pas exclure des personnes, il faut plutôt les additionner pour former une équipe. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous priver de Jean-Luc Mélenchon. Ce serait une erreur de se priver de son expérience. La focalisation sur une personne n’a pas lieu d’être dans un moment aussi important que celui que nous vivons. Nous avons des nuances, il faut les respecter. Nous avons besoin d’avoir une culture collective et d’en faire une force. Car nous avons une responsabilité monumentale : une fenêtre de l’histoire s’est ouverte et nous devons nous y engouffrer.
Estimez-vous que le NFP pourrait accepter d’intégrer un gouvernement dans le cadre d’une coalition avec d’autres forces politiques ? Si oui, lesquelles ?
C. G. Nous sommes plutôt sur la même longueur d’onde. Pour nous, les Insoumis, il y a un contrat de législature. Et c’est d’ailleurs comme ça que nous l’avons appelé.
C. C. Tout à fait, on en a même discuté ! Ça a été un choix assumé.
C. G. Et un contrat, ça engage les personnes qui le passent ensemble devant les Français qui ont choisi de nous accorder leur confiance. Ce contrat de législature, nous l’avons conçu comme un tout, c’est-à-dire séquencé dans le temps et à l’équilibre entre recettes et dépenses avec une logique macroéconomique vertueuse. Il ne peut pas être saucissonné. La coalition est celle du Nouveau Front populaire. Ensuite, la démocratie parlementaire vivra et nous avancerons comme cela.
Notre travail est désormais de recoudre et de réparer une société qu’Emmanuel Macron et sa politique ont disloquée.
C.C.
C. C. Je suis d’accord et notre échange aujourd’hui le démontre. Le président de la République voulait clarifier. La clarification a eu lieu. C’est le Nouveau Front populaire. Nous avons un projet cohérent et donc nous devons former un gouvernement cohérent.
Le RN a été moins fort qu’attendu, cependant, il continue de gagner des sièges et des voix, année après année. Que faut-il faire, selon vous, pour faire refluer le vote RN d’ici 2 027 ?
C. C. On a eu un front républicain d’une ampleur massive qui envoie un message extrêmement clair : les valeurs portées par le Rassemblement national sont antinomiques avec la République française. À partir de ce constat, ils ne doivent pas pouvoir accéder à des postes dirigeants au sein de l’Assemblée nationale. Le front républicain qui a existé dans les urnes doit aussi exister dans l’Hémicycle. Pour nous, il ne doit y avoir aucun dirigeant du RN aux postes à responsabilité, et notamment au bureau de l’Assemblée nationale.
Emmanuel Macron a été élu en 2017, et plus encore en 2022, comme barrage au RN. Sauf qu’il a fait une politique qui a été un accélérateur : elle a augmenté les inégalités et fait exploser la pauvreté. Surtout, il a repris les mots et les idées du Rassemblement national. Il a même poussé pour qu’il y ait la loi immigration. Il dissout au moment où le RN est en dynamique. Cela montre son échec, mais surtout, pour moi, c’est une honte. Un président qui devait incarner le barrage et le calme crée le désordre et le risque de l’accession de l’extrême droite au pouvoir. Cette dissolution a libéré une grande violence. Une violence raciste, une violence antisémite, une violence contre les militants de gauche. Ces violences, il va falloir s’y attaquer. Notre première mission était de faire refluer le RN dans les urnes, notre travail est désormais de recoudre et de réparer une société qu’Emmanuel Macron et sa politique ont disloquée.
C. G. Pour compléter, je ne parle pas de front républicain, je parle de front populaire. C’est ce que nous avons vraiment réussi à faire. Une ambiguïté persistante dans le rapport au Rassemblement national est à chercher du côté de la Macronie. C’était affligeant de voir des voix à ce point dissonantes en leur sein, sur leur rapport à notre égard et sur leur rapport au RN. C’est le fameux « ni ni ». Sur le fond, l’extrême-droitisation de la société est passée par l’accompagnement à plusieurs niveaux. L’accompagnement politique de la Macronie comme avec la loi immigration, ou l’accompagnement médiatique avec la lente mais profonde banalisation du RN. Il doit donc y avoir une rupture claire et nette que nous devons continuer à affirmer. Nous avons un projet antiraciste, féministe et de justice sociale. C’est un coup d’arrêt à cet accompagnement. L’ambiguïté politique ne permet qu’au RN de croître.
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