Pauvreté : « Tous les indicateurs sont mauvais »

La précarité progresse en France, comme en témoignent les dernières données publiées par l’Insee. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, tire la sonnette d’alarme.

Maxime Sirvins  • 12 juillet 2024
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Pauvreté : « Tous les indicateurs sont mauvais »
Une distribution alimentaire aux Restos du coeur, à Paris, en novembre 2023.
© Maxime Sirvins

En France, la précarité gagne du terrain, selon les derniers chiffres de l’Insee. Deux indices publiés le 11 juillet 2024, concernant le taux de pauvreté et les privations, montrent « des tendances qui sont forcément inquiétantes », selon Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Aujourd’hui, 14,4 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et le nombre de Français contraints de renoncer à leurs besoins essentiels a doublé en l’espace de dix ans. Manuel Domergue attend des mesures fortes de la part de la nouvelle Assemblée nationale.

Deux études de l’Insee viennent d’être publiées, l’une sur le taux de pauvreté, l’autre sur la privation matérielle. Qu’est-ce qui ressort selon vous déjà de ces deux rapports ?

On observe une aggravation de la situation. Bien que cette détérioration ne soit pas spectaculaire, elle s’inscrit dans une tendance à l’exacerbation depuis quelques années. Le taux de pauvreté de 2022 confirme l’augmentation marquée de 2021, où plus de 500 000 personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté.

Concernant les privations matérielles, une hausse inquiétante est également notée. Le taux de privation matérielle et sociale atteint un niveau record depuis l’apparition de cet indicateur, s’élevant à 13,6 % en 2023. Cela est indéniablement préoccupant. Cette augmentation se concentre particulièrement sur les secteurs les plus touchés par l’inflation en 2022, à savoir l’alimentation et le chauffage. Cela confirme la dégradation de la situation pour les ménages les plus précaires.

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Pour le chauffage, la tendance est très claire. Le baromètre du médiateur national de l’énergie montre une forte hausse depuis 2021. La proportion des foyers ayant souffert du froid est passée de 14 % à 26 % en trois ans. De même, le taux de privation de chauffage, auparavant stable entre 5 et 6 % pendant une décennie, a bondi à 10 % en 2022 puis à 12 % aujourd’hui. Ces tendances sont forcément préoccupantes. Cependant, on aurait pu craindre une situation encore pire en termes de taux de pauvreté. En 2022, qui était une année électorale, quelques avances sur des prestations sociales ont été accordées, ce qui a permis de limiter les dégâts.

Sur le terrain, avez-vous constaté une évolution en 2023 et 2024 avec la Fondation Abbé Pierre ?

Oui. Il devient de plus en plus difficile d’accéder à un logement. Il y a de moins en moins de logements locatifs disponibles et le taux de rotation dans le parc HLM a également diminué. On a, par ailleurs, atteint un record d’expulsions locatives l’année dernière, ce qui rend la situation encore plus difficile. Le nombre de ménages en attente d’un logement social a fortement augmenté, atteignant 2,6 millions en 2023. Cela représente une énième dégradation de la situation.

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Les personnes les plus précaires n’ont même plus accès à l’hébergement d’urgence, et cette situation continue de se détériorer en 2023, y compris pour les enfants. Nous ne voyons pas de solution à court terme. Tous les indicateurs sont négatifs, ce qui est très inquiétant. Par ailleurs, la fin progressive du bouclier tarifaire et la hausse continue des prix de l’énergie en 2023 auront certainement des répercussions négatives. À cela s’ajoutent les réformes de l’assurance chômage, bien que la dernière ait été suspendue. Il n’y a pas beaucoup d’éléments qui incitent à l’optimisme.

Avec les élections législatives, on a vu que le pouvoir d’achat était au centre des préoccupations. À quoi on peut s’attendre de la part des différentes forces politiques ? Que peut-on espérer ?

Du côté du Rassemblement national, il n’y a pas grand-chose à attendre. Les propositions avancées sont très mauvaises. Par exemple, baisser la TVA sur l’énergie est une mesure extrêmement coûteuse, difficilement réalisable, et qui bénéficiera surtout aux plus riches. Le programme du RN, s’il en existe un, est délétère. En supprimant les prestations sociales des étrangers, il ne fera qu’accroître la pauvreté, et la très grande pauvreté explosera. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire.

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Nous espérons plutôt des mesures ciblées, comme un chèque énergie élargi à plus de personnes. Il doit aussi être augmenté, car il est gelé depuis 2019, ce qui est aberrant. Il faut aussi renforcer les services publics et l’accompagnement social. On observe une crise dans le secteur des travailleurs sociaux, un métier qui n’attire pas en raison de sa difficulté. Pourtant, nous savons bien que pour sortir de la pauvreté, des moyens humains sont également nécessaires.

Nous espérons que des compromis se noueront dans la lutte contre la pauvreté à l’Assemblée.

Du côté du Nouveau Front populaire, il y a davantage de bon sens, notamment pour le logement et les APL (aide personnalisée au logement). La construction de logements sociaux doit en effet être relancée, car le coût du loyer considérablement les ménages à bas revenus. Cependant, pour mettre en œuvre ces mesures, il faut une majorité. Nous espérons que des compromis se noueront dans la lutte contre la pauvreté à l’Assemblée. Cela nécessite des accords sur quelques points entre Ensemble et le NFP, ce que nous espérons voir.

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