Valérie Damidot : « L’ennemi de la justice sociale, c’est le riche, pas le migrant »

Connue pour ses marouflages, moins pour ses engagements à gauche, l’emblématique animatrice de « D&CO » ne mâche pas ses mots contre les inégalités, les dérives d’Emmanuel Macron, l’éloignement des élus. Rencontre avec celle qui a fait le choix à la rentrée de revenir sur le service public.

Pauline Migevant  et  Hugo Boursier  • 24 juillet 2024 abonné·es
Valérie Damidot : « L’ennemi de la justice sociale, c’est le riche, pas le migrant »
"Je vote pour que le gouvernement ressemble aux valeurs que je porte : le partage des richesses, la justice sociale et pour que tout le monde puisse vivre dignement." À Paris, le 22 juillet 2024.
© Maxime Sirvins

Valérie Damidot est née en 1965. Elle a été saisonnière avant d’entrer dans le monde de la télé comme chroniqueuse à TF1, puis animatrice de l’emblématique émission « D&CO » sur M6, de 2006 à 2015. Téléfilms, seule-en-scène, un jeu interactif sur France Bleu à la rentrée : elle enchaîne les formats comme elle martèle ses engagements, marqués à gauche, ou ses prises de parole contre les violences conjugales.

Après être passée de M6 à TF1, vous démarrez à la rentrée une émission sur France Bleu. Quel sens donnez-vous au service public ?

Valérie Damidot : J’ai envie de dire : « Travaillons pour le service public avant qu’il n’existe plus ! » De nombreux médias donnent l’impression de ne plus être libres. Je pense, entre autres, aux polémiques concernant BFM [et le coup de communication orchestré avec l’équipe de Nicolas Sarkozy contre Mediapart, NDLR]. Certaines chaînes se rapprochent de plus en plus d’une forme de propagande.

À quoi va ressembler votre nouveau programme ?

On va faire jouer les auditeurs au quotidien et, en fin de semaine, il y aura la finale. En vérité, le jeu est un prétexte. L’idée, c’est de faire parler les gens de leur quotidien. C’est une tranche – entre 12 heures et 13 heures – où les auditeurs sont censés être en voiture pour rentrer déjeuner ou au bureau en pause. Donc on est là pour essayer de les détendre et les divertir. Il y aura aussi des chroniqueurs humoristes qui viendront tous les jours.

Sur Twitter, je me prends des seaux de merde par l’extrême droite, mais, franchement, je m’en bats la race.

« D&CO » a été une émission extrêmement populaire. Sur M6 ou sur d’autres chaînes, il y avait aussi des programmes comme « Super Nanny » ou « Pascal le grand frère » qui ont pu être critiqués pour leur moralisme à l’égard des classes populaires. Qu’en pensez-vous ?

Avec l’expérience, des personnes ont pu dire que « Pascal le grand frère » les a aidés. « Super Nanny », je trouvais que c’était une façon d’aider les parents à mettre des choses en place. C’est un fait : il y a des parents qui galèrent. Dans « C’est du propre ! », les mecs appelaient les deux présentatrices pour qu’elles viennent nettoyer leur baraque. Là, on peut se dire que c’était aussi une façon d’aider, mais en beaucoup plus voyeuriste et trash.

« Il n’y a pas tant d’individus haineux dans notre pays. Les gens veulent juste vivre ensemble et être entendus. » (Photo : Maxime Sirvins.)

De fait, il n’y a pas d’émissions pour recadrer les enfants des classes aisées…

Quand tu es d’une famille privilégiée, tu n’as pas besoin de la télé pour régler tes problèmes. C’est le bordel chez toi ? Appelle un homme ou une femme de ménage. Ton fils a des soucis de comportement ? Il peut aller chez le psy. Il y a moins ce filtre chez les classes populaires parce qu’elles savent moins vers qui se tourner, et tout coûte cher. C’est comme pour « D&CO » : je n’aurais jamais fait cette émission dans des manoirs ou des apparts gigantesques, parce que les propriétaires n’avaient tout simplement pas besoin de moi. Et ce n’était pas le but de l’émission. Après, peut-être que Pascal le grand frère aurait pu être utile dans les familles bourgeoises [rires].

« TPMP », l’émission de Cyril Hanouna, est souvent présentée comme un programme fait pour les classes populaires. Qu’en pensez-vous ?

Ça va beaucoup trop loin. C’est une arène où tout et n’importe quoi peut être dit, sans aucune contradiction. Les théories complotistes y sont monnaie courante. Je ne pense pas que ce soit une émission qui puisse aider les gens.

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Vous a-t-on déjà proposé d’y être chroniqueuse ?

Au début, quand c’était surtout une émission de critique de médias, on m’a approchée. Mais je sais à quel point c’est dur de monter des émissions, donc je n’aurais jamais pu avoir ce rôle de juge qui décide si tel programme est bon ou pas. Jamais je n’aurais pu être chroniqueuse chez « TPMP ». Ça ne me ressemble pas du tout.

Y a-t-il une place pour une télé indépendante, comme le réclame Le Média ?

S’il y a encore de bonnes enquêtes dans le service public avec Élise Lucet, ou parfois chez M6, les trois quarts des médias appartiennent à des milliardaires. Il y aura toujours une presse aux ordres des personnes qui la nourrissent. La vraie presse indépendante, c’est vous, Politis, Les Jours, StreetPress, Mediapart. Il n’y a pas au-dessus de vous des gens qui ont intérêt à ce que vous ne fassiez pas telle ou telle enquête. On a pu voir aussi l’intérêt du service public dans ce qu’a proposé France 3 face au Rassemblement national pendant les élections législatives. Mais de l’autre côté, il y a aussi une Nathalie Saint-Cricq qui insiste auprès des présentateurs en plein direct pour qu’ils enfoncent Jean-Luc Mélenchon.

On se demande comment ces gens, comme Pascal Praud, peuvent encore être considérés comme journalistes.

On se demande comment ces gens, comme Pascal Praud, peuvent encore être considérés comme journalistes. Tout est une question de respect des règles. C’est comme pour la Constitution avec Emmanuel Macron. Quand on voit que l’élection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale a été permise par le vote des ministres encore en place, alors que c’est contre nos institutions ! Ce n’est pas ce genre de séquence qui va calmer la colère de la population. Parce que, de l’autre côté, on n’a jamais été aussi endettés, et 9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Ils sont peu, les animateurs télé, à prendre position politiquement. Vous l’a-t-on déjà reproché ?

Jamais. Même sur M6. Sur Twitter, je me prends des seaux de merde par l’extrême droite, mais, franchement, je m’en bats la race. Je ne suis pas qu’une animatrice télé : je suis une citoyenne, je paie mes impôts, je vote. Je vote pour que le gouvernement ressemble aux valeurs que je porte : le partage des richesses, la justice sociale et pour que tout le monde puisse vivre dignement. Pas seulement vivoter. La politique m’a toujours intéressée, j’ai à cœur que les gens puissent se sentir bien dans mon pays. On dit toujours qu’il faut s’inspirer de l’Allemagne. Et pourquoi pas de l’Espagne ou de l’Angleterre, qui ont pu augmenter les salaires ? Et puis je suis un électron libre : si j’ai signé un contrat chez France Bleu, il n’y a pas marqué dessus que je dois fermer ma gueule en dehors de l’antenne.

« Essayons de nous marrer avant la noyade. Il faut qu’on arrête de trouver des ennemis à abattre. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Y a-t-il eu des événements ou des rencontres qui ont été des tournants dans votre politisation ?

Mes parents, je dirais. J’ai grandi à Argenteuil, dans un milieu plutôt tranquille. Je n’ai manqué de rien. J’ai toujours appris à partager avec tout le monde. Mes parents n’étaient pas spécialement militants ou partisans, mais je sais qu’ils votaient à gauche. Ils m’ont transmis des valeurs de partage. Ma mère donnait des cours de soutien aux gosses le samedi et le soir parfois. J’ai toujours trouvé normal que ceux qui gagnaient le plus payent plus d’impôts. Les gens à Matignon ne se rendent pas compte de la vie des gens. De la vraie vie des gens. Il n’y a pas tant d’individus haineux dans notre pays. Les gens veulent juste vivre ensemble et être entendus. Quand tu regardes CNews, tu as l’impression qu’il y a des agressions partout, cette peur de l’autre est savamment entretenue.

La place des femmes dans la société est encore malmenée. Il est nécessaire d’être féministe.

À quel moment le féminisme est-il apparu dans votre vie ?

Quand j’ai commencé à me prendre des claques dans la gueule, je me suis dit que c’était de ma faute. Je ne savais pas ce qu’étaient les violences conjugales. Je pensais que j’avais mal fait un truc. J’ai voulu agir pour que ça ne se reproduise pas. Et puis j’ai rencontré un flic qui m’a dit que ce n’était pas normal d’arriver dans cet état-là. Il m’a dit que ce n’était pas ma faute. En lui parlant, je me suis rendu compte que je n’avais rien fait et que, même si j’avais fait quelque chose, je n’avais pas mérité ça. Après, je suis allée chez le psy. Et je me suis barrée. Féministe, est-ce que je l’ai toujours été ? J’ai toujours défendu la veuve et l’orphelin. Mais, après cette expérience, je me suis dit que, si j’avais eu un tel mécanisme d’autoculpabilisation, c’est que je ne devais pas être la seule à l’avoir. Donc il faut aider les femmes. Il faut plus de centres d’accueil pour les femmes battues. De manière plus générale, la place des femmes dans la société est encore malmenée, être féministe est nécessaire pour les aider.

Est-ce que le fait d’avoir parlé des violences conjugales que vous avez subies a changé votre rapport au public ?

Juste après l’émission de Marc-Olivier Fogiel [« T’empêches tout le monde de dormir », en 2007], j’ai reçu des centaines de messages de femmes qui m’ont dit merci. La femme [dont était inspiré le film Darling sur les violences conjugales] avait peur de témoigner à la télé. Marc-Olivier m’a demandé de lui parler avant l’émission. Puis il a choisi de balancer l’info sur ma propre histoire sur le plateau, donc je lui ai répondu. Mais, au départ, je l’ai fait pour aider cette femme. Je n’ai pas honte de raconter ce qui m’est arrivé : si cela peut aider des femmes, je le fais volontiers.

Sur le même sujet : Emmanuel Macron, tout sauf « inattaquable » sur les violences sexistes et sexuelles

Mais il y a un problème : quand des femmes témoignent, il y a toujours ce truc de « c’est pour faire le buzz ». Mais mon gars, quel buzz ? C’est horrible de dire qu’on a été violée, agressée ou harcelée ! Il faut beaucoup de courage. Quand le président de la République dit que Depardieu fait rayonner la France : bah non, en fait ! C’est un gros porc qui se croit tout permis. Cette minimisation des faits est insupportable. Toucher le cul d’une meuf ou d’un mec sans son consentement, ce n’est pas possible. Tant qu’il y aura ce réflexe-là, ça ne va pas avancer. Il faut écouter et surtout croire les victimes.

Les classes populaires votent de plus en plus pour le Rassemblement national malgré les mesures antisociales qu’il prône. Pensez-vous que la gauche réussisse à reconquérir cet électorat ?

Je ne sais pas. Je l’espère. Les gens sont dans le désespoir depuis trop longtemps et pensent qu’ils ont été abandonnés. La dédiabolisation du RN laisse penser que ce sont eux les plus proches des classes populaires, je ne sais pas si elles peuvent encore croire aux mesures de gauche. Ça va être dur de les ramener dans la justice sociale. Là, on a eu chaud aux législatives. Mais on va se retaper le même gouvernement. Macron a dissous l’Assemblée pour laisser Bardella à Matignon afin de prouver que l’extrême droite ne saurait pas gouverner.

« Macron a dissous l’Assemblée pour laisser Bardella à Matignon afin de prouver que l’extrême droite ne saurait pas gouverner. C’est la même chose que se piquer la main avec un clou, laisser la plaie saigner et dire : ‘Je suis vacciné contre le tétanos, il ne m’arrivera rien.’ Quelle idée débile ! » (Photo : Maxime Sirvins.)

C’est la même chose que se piquer la main avec un clou, laisser la plaie saigner et dire : « Je suis vacciné contre le tétanos, il ne m’arrivera rien. » Quelle idée débile ! Ce sont des paris à la con. Ça fait tellement d’années qu’on minimise la montée de l’extrême droite que revenir vers les électeurs en disant : bon, on vous a laissés tomber et aujourd’hui on va s’occuper de vous. Bon courage. On fait voter les Français, on les mobilise, et au bout du compte rien ne change.

Vous expliquez être d’un naturel optimiste, mais semblez inquiète pour la suite. Quels sont vos espoirs ?

J’espère que d’ici à trois ans, des abstentionnistes vont se mobiliser et comprendre que le RN ne va pas les sauver. J’essaie d’être optimiste parce que sinon il y a de quoi se pendre en haut d’un clocher. Mais je crois qu’on est dans une crise démocratique et républicaine inédite, avec un mépris des lois par les plus grands. D’habitude, je suis plutôt positive, mais là, je suis inquiète. Vraiment. On avance vers un horizon dans lequel le RN dirige la France. Près de dix millions de Français ont voté pour ce parti aux législatives, ne l’oublions pas.

Sur le même sujet : À gauche, face au RN, une nécessaire remise en question stratégique

Ça va faire des déçus de plus si la gauche ne réussit pas à gouverner et à améliorer le quotidien des Français. Ils sont à un moment de leur histoire où le marasme est tel que des électeurs se mettent à voter pour celui pour qui ils n’ont jamais voté. Ça fait trop longtemps que les Français ne sont pas entendus et que le président n’en a rien à foutre. Quand il prend la parole, c’est pour nous engueuler comme des gosses. Quand tu es malheureux, c’est soit la révolution dans la rue, soit une autre forme de révolution, en mettant l’extrême droite au pouvoir.

Les riches ne sont pas plus riches : ils sont devenus extra-riches. Ce sont eux, les ennemis de la justice sociale. Pas les migrants.

C’est pour ça que je suis contente de faire une émission où on va rire. Essayons de nous marrer avant la noyade. Il faut qu’on arrête de trouver des ennemis à abattre. Celui qui nous a endettés, c’est Bruno Le Maire, pas l’immigration. La fraude sociale est beaucoup moins importante que l’évasion fiscale. Il faut remettre les choses à leur place. Les riches ne sont pas plus riches : ils sont devenus extra-riches. Ce sont eux, les ennemis de la justice sociale. Pas les migrants.

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