Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable

Alors que le Nouveau Front populaire a soulevé une espérance chez de nombreuses organisations du mouvement social, les dernières tergiversations quant au nom du Premier ministre ont jeté un froid. Et questionnent la possibilité d’un accompagnement d’un gouvernement de gauche par une mobilisation populaire.

Pierre Jequier-Zalc  • 16 juillet 2024
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Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable
Rassemblement place de la République, à Paris, le 27 juin, avant le second tour des législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

« Ne nous faisons pas voler notre victoire ! ». Voici comment se conclut, trois jours après la victoire relative du Nouveau Front populaire au second tour des législatives, un tract de la CGT Cheminot. La puissante fédération appelle à des rassemblements partout en France devant les préfectures et l’Assemblée nationale le 18 juillet, jour de la rentrée parlementaire.

Huit jours plus tard, l’identité du voleur présumé n’est pas forcément celle qui était attendue. Alors que tous les regards étaient braqués sur Emmanuel Macron, qui essayait de ne pas reconnaître sa défaite par tous les subterfuges possibles, les dernières tergiversations des partis de la gauche ont permis de les en détourner. Et le spectacle qui se déroule sous nos yeux, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, est à des années-lumière de ce qu’exigerait l’importance du moment.

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Mais voilà. Aussitôt élus, les chefs des quatre partis du Nouveau Front populaire ont oublié les trois semaines de campagne où la mobilisation citoyenne et populaire leur a permis cette victoire. Pourtant, à la suite de la constitution en vitesse du NFP, la participation de syndicats, d’associations, de chercheurs était largement mise en avant. « Nous réussirons si nous savons sortir de nos murs. Le NFP ne se limite pas à quelques partis, il est, il doit être le débouché politique de la société en mouvement », écrivait, par exemple, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste avant le premier tour.

Moi j’en ai rien à faire de qui va être Premier ministre.

S. Binet

Une « société en mouvement » qui est désormais figée face à un niveau d’indécence que seuls des politiciens égocentriques peuvent atteindre. Car il faut le réaffirmer. Si le Nouveau Front populaire a levé une telle espérance et une telle mobilisation, c’est pour deux raisons principales : en premier, le danger de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. En second, pour un programme de rupture vis-à-vis de sept années de macronisme qui ont durablement abîmé l’État social.

Crispation et ébullition

C’est d’ailleurs ce programme, et les nombreuses mesures sociales qu’il comporte, qui ont, par exemple, poussé la CGT à sortir de son habituelle indépendance pour soutenir le NFP. « Moi j’en ai rien à faire de qui va être Premier ministre. Ce qui est important c’est de savoir quelles sont les politiques qui vont être menées », rappelait ainsi, quatre jours après le second tour, la secrétaire générale de la confédération, Sophie Binet, sur LCP.

Au même moment, l’activiste Lumir Lapray, à l’origine de nombreuses initiatives citoyennes durant la campagne nous confiait sa crainte que cette mobilisation populaire soit trop vite oubliée. « Je préfère être vigilante. Il ne faut pas qu’ils oublient le travail qu’on a effectué. Désormais on les regarde », confiait la trentenaire qui exhortait les partis de gauche : « Soyez à la hauteur de ce qu’on a fait collectivement ! ». Une semaine plus tard, c’est peu dire qu’elle ne semble pas avoir été entendue. Et comment, alors, interpréter le fait qu’il aura suffi de trois jours pour se mettre d’accord sur un programme ambitieux et de buter, pendant près de deux semaines, sur un simple nom de Premier ministre ?

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Face à tant de crispations, les boucles militantes – dont de nombreuses créées durant la campagne – sont en ébullition. « En ne faisant rien, on montre clairement que nous placer en tête aura apporté zéro changement concret », se lamente, par exemple, Tim*. La question d’une éventuelle mobilisation populaire et massive devient, elle, plus improbable de jour en jour.

*

Prénom modifié.

En effet, au soir du second tour, le souvenir des grèves massives de 1936 après la victoire du Front populaire a largement été ravivé par plusieurs leaders de gauche. « Le Nouveau Front populaire est une coalition de partis et un élan citoyen inédit alliant des syndicats et des associations. Il faut absolument que cela perdure. Cette pression citoyenne doit se maintenir », soulignait, par exemple, la députée insoumise Clémence Guetté, dans Politis.

« Majorité populaire »

L’argument est alors simple : sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, le NFP aura besoin de s’appuyer sur une « majorité populaire ». « Notre gouvernement devra présenter des projets qui, parce qu’ils ont une adhésion populaire, auront une majorité à l’Assemblée nationale. La réforme des retraites a été adoptée contre l’avis des syndicats, contre l’opinion des Français et contre le Parlement. Je ne vois pas un parlementaire expliquer à ses électeurs qu’il se positionne contre l’avis des Français », abondait la présidente du groupe écologiste dans l’hémicycle, Cyrielle Châtelain.

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À cet appel, la société civile y avait répondu favorablement, se disant largement prête à porter ces revendications. « Notre rôle, justement, est de continuer à pousser pour que le NFP tienne ses engagements », expliquait alors l’économiste Julia Cagé. Mais aujourd’hui, les fractures partisanes reprennent le dessus. Et une telle mobilisation s’éloigne aux fils des heures qui passent, et des querelles politiciennes exposées sur la place publique.

Ainsi, certains militants ont essayé de se mobiliser pour mettre la pression sur les négociations, notamment auprès du Parti socialiste après la proposition du nom d’Huguette Bello par le Parti communiste. Sans succès, et en se faisant rabrouer vivement par Luc Broussy, secrétaire national du PS, cité par Mediapart, qui parle de « saccage », et d’« actes d’intimidation », demandant même à Huguette Bello de « condamner [ces] méthodes de voyous ». Ambiance.

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Dans ce contexte, en pleine période de vacances d’été, et à quelques jours des Jeux olympiques et paralympiques, la mobilisation du 18 juillet risque de ne pas être aussi massive qu’espérée. Et cela, même si d’autres organisations comme Attac ont appelé à la rejoindre. Comment vouloir mettre la pression sur le président de la République si le NFP n’est même pas capable de s’entendre sur un nom à proposer ?

Cartes rebattues

Il faudra donc, certainement, attendre la rentrée. Pour quoi ? Dur à dire tant le contexte politique est flou et mouvant. Une chose, toutefois, reste d’actualité : l’intersyndicale. Si toutes les organisations syndicales n’ont pas soutenu le NFP, elles ont rappelé, la semaine passée, dans un communiqué commun – hormis la CFTC –, leur attachement à de nombreuses revendications partagées.

Il faut mettre fin à la précarité, au sentiment de déclassement.

Intersyndicale

« Il faut mettre fin à la précarité, au sentiment de déclassement et répondre aux attentes en manière de pouvoir d’achat et d’augmentation des salaires, du point d’indice, des minima sociaux et des pensions », écrivent les sept syndicats qui concluent en assurant « rester en contact étroit afin de prendre toutes les initiatives nécessaires pour gagner enfin des améliorations qui changent concrètement le quotidien dans les conditions de vie et de travail des travailleuses et des travailleurs. »

Avant la dissolution inattendue de l’Assemblée nationale, l’intersyndicale travaillait à la construction d’un important mouvement social à l’automne, notamment en prévision de la loi Travail programmée par Gabriel Attal. Désormais, les cartes sont rebattues et le flou persiste. Mais ces derniers jours nous ont toutefois montré que cette unité syndicale devrait continuer à être nécessaire pour pousser bon nombre de revendications sociales. Et cela, peu importe la couleur du futur gouvernement.

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Parti pris et Politique

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