Loi immigration : « Ces décrets fragilisent des personnes déjà en situation de vulnérabilité »
Marie-Christine Vergiat, ex vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), critique sévèrement la publication de plusieurs décrets relatifs à la « loi Darmanin » votée en décembre, la veille de la démission du gouvernement.
Le lundi 15 juillet, six nouveaux décrets d’application de la loi immigration ont été publiés au Journal officiel, sept mois après son adoption controversée. Une publication intervenue la veille de la démission – acceptée cette fois –, du gouvernement Attal, resté malgré tout en place pour gérer les « affaires courantes ». Marie-Christine Vergiat, ex vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), livre ses impressions sur une situation qu’elle juge « inadmissible ».
Quel impact ces décrets d’application vont avoir sur les personnes immigrées ?
Marie-Christine Vergiat : Les décrets qui ont été signés sont parmi les pires de ce qu’on avait décrié dans le cadre de la loi immigration. Ils vont fragiliser de nombreuses personnes, déjà en situation de vulnérabilité. Un des décrets concerne les possibilités de refus de la cessation matérielle d’asile : si on leur supprime ces conditions matérielles, essentielles, de quoi vont-ils vivre ? Un autre concerne les fameux « principes républicains ». Ce sont des principes très généraux, que l’on peut interpréter un peu comme on veut, avec comme conséquence la délivrance du titre de séjour. Autrement dit, le refus du renouvellement – voire le retrait – de ce titre en cas de manquement caractérisé à ces principes.
On voit bien qui est visé par ces décrets : les personnes de confession musulmane, mais plus largement les populations racisées. Il y a aussi la multiplication des pointages quotidiens pour les personnes assignées à résidence. L’objectif est d’empêcher toute vie personnelle digne pour les personnes concernées. Elles ne peuvent pas travailler, elles sont séparées de leurs familles en raison de l’éloignement du lieu de pointage… Plus on multiplie ces obligations, plus on rend la vie impossible aux personnes concernées.
Ces dispositions sont racistes, xénophobes, et islamophobes.
Enfin, ces décrets sont aussi dangereux parce qu’ils vont multiplier les OQTF, sinon les expulsions. Un des décrets oblige les préfets à prendre des OQTF contre les déboutés du droit d’asile, dans les 15 jours qui suivent la fin de leur droit. On expulse des gens avant qu’ils aient pu faire valoir leurs droits, et qui n’auraient pas dû être expulsés. Les OQTF sont multipliées à tour de bras alors que des personnes n’auraient jamais dû recevoir ces procédures. La France est le pays de l’Union européenne qui en délivre le plus alors qu’on se situe dans la moyenne au niveau des personnes expulsées.
Ces décrets cherchent-ils à pointer du doigt des boucs émissaires ?
Ces dispositions sont racistes, xénophobes, et islamophobes. On veut toujours pointer du doigt les mêmes catégories de personnes, en faisant des généralités sur les étrangers et les immigrés. Derrière, on ne regarde pas le fait qu’il y a des tas de situations humaines très différentes. On montre du doigt les gens à qui on ne donne aucune chance de s’intégrer. Quand on donne cette chance d’intégration, comme on l’a fait avec les Ukrainiens par exemple, les personnes s’intègrent sans difficulté si on leur donne les bons outils : la possibilité d’avoir un toit, d’avoir un travail, d’accéder à la langue… Les bases d’un accueil digne. Ces décrets sont ciblés sur les demandeurs d’asile, a priori ceux qui ont le plus besoin de protection. Cette situation est inadmissible.
Y a-t-il une forme de précipitation dans la publication de ces décrets d’application, la veille de la démission du gouvernement ?
On a un gouvernement en sursis qui multiplie les décrets d’application, la veille de sa démission. Le ministre de l’Intérieur est désormais cantonné aux affaires courantes, mais il publie six décrets qui concernent des mesures particulièrement décriées de la loi immigration. Le gouvernement a été mis en minorité et devrait faire attention. La confiance des Français n’existe plus. Il devrait faire profil bas par rapport à un certain nombre de mesures.
Il n’y pas de lien entre délinquance et étrangers, mais entre délinquance et situation sociale.
Dans un tweet publié cette semaine, Gérald Darmanin explique que « 2 500 étrangers délinquants ont été expulsés au premier semestre 2024, soit une hausse de 28 % ». Le ministre établit un lien entre immigration et délinquance…
C’est particulièrement malhonnête de sa part parce que c’est faux. Toutes celles et ceux qui travaillent sur ce sujet comme Désinfox-Migrations montrent qu’il n’y pas de lien entre délinquance et étrangers, mais entre délinquance et situation sociale. Avec de telles affirmations, on pousse les Français à croire que les étrangers sont plus criminels. Or, à situation sociale comparable, c’est exactement la même chose ! On sait, en revanche, que les policiers font plus de contrôle sur des délits qui concernent plus les étrangers : vente à la sauvette, conduite sans permis. Il faut ajouter à cela le fait qu’il existe plus de contrôles au faciès, plus de comparutions immédiates, donc des situations où les gens sont jugés dans des dispositions qui ne sont pas tout à fait celles du droit commun.
On sait aussi que les juges ont la main plus lourde et condamne plus facilement. Tout cela explique pour beaucoup la différence entre les deux. Dans les exemples diffamatoires qu’on nous donne, il y a souvent le viol des femmes et l’idée selon laquelle les étrangers seraient plus à même de commettre ces actes. Mais le lien le plus immédiat entre un violeur et la personne violée, dans une immense majorité des cas, c’est le conjoint, l’ex-conjoint, ou un proche de la victime. Ce n’est en aucun cas une question de nationalité, et ça fait partie des arguments qui visent à montrer du doigt les étrangers pour en faire des boucs émissaires.
On espère une décision rapidement conforme aux élections.
Emmanuel Macron semble éprouver quelques difficultés à reconnaître le résultat des élections législatives. Quelle est la position de la LDH sur ce refus de rendre le pouvoir ?
On espère une décision rapidement conforme aux élections. Je ne pense pas que ce soit à la LDH de s’exprimer en la matière. Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait un gouvernement qui soit capable de mettre en œuvre ce qui a été exprimé à la fois par le vote des Français, mais aussi par la société civile, particulièrement dans l’entre-deux tours. La LDH a participé à des initiatives qui amenaient sur la table un certain nombre de propositions.
Une nouvelle fosse commune a été découverte dans le désert entre la Libye et la Tunisie. Quelle responsabilité faut-il incomber à l’Europe dans ces drames ?
Tant que l’Union européenne et ses États membres – en particulier l’Italie – continueront de financer les soi-disant garde-côtes libyens, ils auront une responsabilité. Quand on sait qu’ils ramènent à terre des personnes pour les remettre directement dans des camps où les femmes sont torturées, vendues, violées… Ce n’est pas admissible. Un des décrets inscrits au Journal officiel concerne d’ailleurs l’Europe avec le site France Visas, qui permet de délivrer des visas en ligne. Ce modèle facilite des échanges de données entre les différents pays européens, on parle de « frontières intelligentes ». C’est en réalité une multiplication du fichage des personnes, et ça va permettre d’expulser des personnes des pays européens dès lors qu’elles auront été signalées par ces systèmes d’information.