Macron, Attal, Darmanin : la guerre des trois aura bien lieu

L’affaiblissement d’Emmanuel Macron après la dissolution ratée fait les affaires de Gabriel Attal et de Gérald Darmanin, impatients de prendre le pouvoir.

Nils Wilcke  • 23 juillet 2024 abonné·es
Macron, Attal, Darmanin : la guerre des trois aura bien lieu
Emmanuel Macron lors d'une réunion avec les élus de Mayotte, aux côtés du Premier ministre Gabriel Attal et du ministre de l’Intérieur et de l'Outre-mer Gérald Darmanin, à l'Élysée le 17 mai 2024.
© Ludovic Marin / Pool / AFP

La scène se passe samedi dernier à l’Assemblée. Ce 20 juillet, il est aux alentours de 4 heures du matin quand l’ancienne majorité présidentielle réalise enfin qu’elle est devenue minoritaire à l’Assemblée. Déjà défaits dans les urnes aux législatives, les Macronistes prennent la mesure de leur perte de crédit politique. Il aura fallu pour cela le vote pour désigner le restant du bureau, sorte d’organe décisionnaire et disciplinaire de la chambre basse.

Du perchoir, Yaël Braun-Pivet, amère, ne peut que constater ce qui semblait impensable quelques semaines auparavant : la gauche, majoritaire au sein du Bureau de l’Assemblée, va désormais pouvoir imposer sa loi au sein de l’hémicycle. Un coupable est tout désigné, il s’appelle Gabriel Attal.

Sur le même sujet : La gauche remporte la bataille du bureau de l’Assemblée

Le Premier ministre, qui s’est empressé de se faire élire président du groupe macroniste à l’Assemblée dans la foulée de la dissolution, a brillé par son manque de « considération » pour les autres groupes de l’ancienne majorité. « Quand on doit voter, c’est mieux d’être là », grince le président du groupe Modem Marc Fesneau, toujours ministre (démissionnaire) dans le même gouvernement et dont la formation n’a plus aucun représentant dans les instances du Palais Bourbon. « Gaby » n’a pas rencontré ses alliés, notamment le groupe Horizons, depuis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir, selon nos informations.

Sur le même sujet : À l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet sauvée par Laurent Wauquiez

Gérald Darmanin soigne ses SMS

Ce jour-là, la présidente de l’Assemblée se tourne ostensiblement vers Gérald Darmanin pour lui faire la bise et une accolade appuyée, le tout enveloppé dans un immense sourire. Le geste, pas anodin, est un peu passé sous les radars avec la victoire du Nouveau Front populaire dans l’Hémicycle. Il montre pourtant la nouvelle proximité entre les deux élus. « Yaël soupçonne Gabriel d’avoir voulu lui barrer la route pour la présidence alors que le ministre de l’Intérieur sortant l’a favorisée en faisant jouer son réseau à droite », souligne une source parlementaire, qui a visionné la scène le lendemain.

Le Premier ministre s’est, il est vrai, davantage préoccupé de son « émancipation » et de sa propre élection à la tête de ce qu’il reste du groupe macroniste, lui qui se voit volontiers en leader de la majorité sortante. Immédiatement, Gérald Darmanin a envoyé un SMS ciselé à tous les députés du groupe : « L’unité de notre groupe est très importante mais l’unité (comme la vie de couple) ne se décrète pas : elle se construit. » Un message à double-sens, qui met en garde Gabriel Attal contre toute tentative d’hégémonie sur le parti, avec en filigrane une référence discrète pour les initiés au couple formé par Gabriel Attal avec Stéphane Séjourné jusqu’à leur rupture en 2022. Perfide.

Entre Macron, Attal et Darmanin, on se croirait à la primaire de la droite en 2016…

J.-B. Gaillot-Renucci

Mais l’ambitieux ministre de l’Intérieur va plus loin : « L’élection à la tête du groupe Renaissance ne règle ni la ligne politique, ni le fonctionnement du parti », écrit-il encore. Traduction : Darmanin se présente comme un politicien aux idées tranchées et connues de tous, en opposition à Gabriel Attal, dont le positionnement est encore considéré comme flou, à l’image de son clone, Emmanuel Macron.

Le temps est venu du « chacun pour soi »

« Gaby vient du PS tendance DSK, les socdem », rappelle Jean-Bernard Gaillot-Renucci, ex-responsable de la droite avec Macron en 2017. « Ce qui se rejoue ici, c’est le principal échec du président : le dépassement des clivages qu’il avait promis aux Français avec son élection n’a jamais eu lieu. Entre Macron, Attal et Darmanin, on se croirait à la primaire de la droite en 2016 avec Juppé, Bruno Le Maire et Sarkozy », observe non sans ironie ce conseiller politique.

Le ministre de l’Intérieur ne cache rien de ses ambitions tout comme le Premier ministre chargé des affaires courantes. La dissolution ratée d’Emmanuel Macron aiguise leur appétit. « Jupiter tenait ce petit monde sous la menace de sa foudre, maintenant que son autorité est affaiblie, c’est chacun pour soi », soupire un député de l’ex-majorité. En attendant, les peaux de banane sont quasi quotidiennes entre les deux camps.

Sur le même sujet : « Macron s’épanouit dans le chaos mais il joue avec le feu »

Gaby, c’est l’école Alsacienne et Sciences Po Paris, tendance rive gauche, il a été choyé et protégé toute sa vie

Un soutien de Darmanin

Un jour, Gérald Darmanin fait part de son irritation face aux propos de Gabriel Attal affirmant que si « tout (le) sépare de La France insoumise, elle n’est pas en situation d’avoir une majorité absolue contrairement à l’extrême droite ». C’était sur France Inter le 3 juillet, avant le second tour des législatives. « Évidemment, comme il est très intelligent, il a dit ça sur Inter », ajoute le ministre de l’Intérieur, selon L’Express. Ce mardi, c’est la une du JDD avec une photo avantageuse de Gérald Darmanin, mis à la même taille que le judoka Teddy Rinner, qui fait pourtant 2,04 mètres, aux moyens d’un montage, qui suscite les ricanements « de Macronistes », relate L’Opinion, autrement dit, l’entourage de Gabriel Attal.

Les soutiens du locataire de la place Beauvau s’étouffent en découvrant le Premier Ministre dépeint en « loup solitaire en train de constituer sa meute » dans Libération. « Gaby, c’est l’école Alsacienne et Sciences Po Paris, tendance rive gauche, il a été choyé et protégé toute sa vie », se moque l’un d’eux. Comprendre, contrairement à Gérald Darmanin, qui ne rate pas une occasion de rappeler la profession de sa mère, femme de ménage, et sa force de travail, quitte à en faire des tonnes. Au gouvernement, tout le monde sait que Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire d’Emmanuel Macron, a coaché Gabriel Attal pour son entrée en fonction avec le soutien de Brigitte Macron, son épouse.

La guerre de position se joue aussi sur les nominations, certainement le pouvoir le plus important du Président. Gérald Darmanin aurait « bloqué les nominations de préfets proposées par Emmanuel Macron », titre la Lettre la semaine dernière. Ce qui fait bondir l’Élysée, qui crie à la fake news. « C’est une chaîne (de nominations, N.D.L.R.) qui n’était pas mûre », tempère l’Intérieur, soucieux de calmer le jeu avec le château. Le mercato des ambassadeurs au Quai n’est-il pas lui aussi à l’arrêt ?

Macron se sent menacé

Mais les tensions sont bien réelles et un tel blocage est rarissime dans le petit monde bordé du mercato préfectoral, ce que confirme un membre de ce cercle très restreint de la République : « Il peut y avoir des débats voire des engueulades sur certains profils mais en général, la liste est réglée en amont. Clairement, le président se sent menacé par Darmanin et Attal et tente de faire preuve d’autorité. »

Sur le même sujet : « Macron refuse de prendre acte du résultat des urnes »

Las, Emmanuel Macron ne peut que constater que le jeu des « ambitions prématurées » bat son plein, malgré son rappel à l’ordre aux intéressés. « Le Président est fatigué par la séquence de la dissolution, il a du mal à penser correctement et le reconnaît lui-même en privé », affirment des sources concordantes dans son entourage. Le chef de l’État jette ses dernières forces dans les Jeux olympiques de Paris et se projette dans l’espoir d’un gouvernement de coalition de droite avec Laurent Wauquiez d’ici à la rentrée.

Ensemble mais seuls. C’est la nouvelle tentative d’escroquerie de la Macronie.

Depuis, Gabriel Attal et Gérald Darmanin ont été filmés côte à côte à Nice le 18 juillet, sur les lieux d’un incendie criminel qui a fait sept victimes, suscitant une grande émotion dans le pays. L’une des rares images de deux hommes que tout sépare et dont la bataille pour le pouvoir constituera sans doute l’un des duels qui animera l’ancienne majorité moribonde dans les prochains mois. Pour preuve, le nouveau nom du groupe présidentiel, rebaptisé dans l’urgence « Ensemble », comme pour conjurer le sort.

Est-ce le nom du groupe parlementaire, du parti, du regroupement des trois formations (Horizons, Modem, et Renaissance) ? Même les journalistes s’y perdent. « Ensemble mais seuls, ironise un ancien pilier de la campagne d’Emmanuel Macron. C’est la nouvelle tentative d’escroquerie de la Macronie. »

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous