Malgré la courte majorité du NFP, la Macronie rêve surtout de s’allier avec la droite
Le camp présidentiel tient à son idée de coalition des sociaux-démocrates jusqu’aux gaullistes. Mais la gauche même la plus modérée est très loin d’être prête à la manœuvre. Contrainte, la Macronie ne cesse de donner des gages à la droite sur le fond comme sur la forme.
Tout est permis pour ne pas respecter les équilibres politiques du pays. Emmanuel Macron et les siens en font presque une règle d’or. Admettre que le Nouveau Front populaire (NFP) se place en première position des législatives des 30 juin et 7 juillet ? Hors de question. Nommer Lucie Castets, candidate désignée par la gauche, à Matignon ? Pas au programme. La gauche ne cesse de crier au « déni de démocratie ». Peu importe. En Macronie, on ne dévie pas de sa ligne. Jamais. Le plan du chef de l’État est simple : le grand bloc central qu’il est censé représenter doit dicter sa feuille de route jusqu’à la prochaine présidentielle en 2027.
Le 23 juillet, interrogé sur France 2 depuis la terrasse du Musée de l’homme, Emmanuel Macron campe sur sa position : une nouvelle coalition doit se construire en réunissant le camp présidentiel – le Modem, Renaissance et Horizons – et des forces politiques qu’il estime être « modérées », c’est-à-dire tout ce qui n’est pas la France insoumise et le Rassemblement national.
Il appelle ainsi les députés du Parti socialiste et ceux du groupe de la Droite républicaine (nouveau nom du groupe des Républicains à l’Assemblée), désormais présidé par Laurent Wauquiez, député de la Haute-Loire et futur ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Je leur enjoins de travailler ensemble. C’est ce que les Français veulent et je suis le garant de cela. Et donc, je leur demande de travailler ensemble durant cet été », explique Emmanuel Macron.
Proximité idéologique avec la droite
Nous avons besoin d’alliés, donc on se tourne vers LR.
É. Woerth
Mais pour le moment, les macronistes ne semblent regarder qu’à droite. Le 18 juillet, Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire et président du groupe Ensemble pour la République (EPR), deale directement avec Laurent Wauquiez une répartition des postes clefs à l’Assemblée nationale : la droite soutient Yaël Braun-Pivet au poste de présidente de l’hémicycle en échange des votes macronistes en faveur de la droite pour sept autres postes, dont deux vice-présidences, une questure, la présidence de la commission des finances, la fonction de rapporteur général du projet de loi de financement de la Sécurité sociale et deux secrétaires du bureau.
« Compte tenu du contexte politique, il est normal de vouloir chercher à construire un accord entre les groupes qui expriment aussi une proximité idéologique. Soit on considère que la France est bloquée, soit on essaie de progresser sur la sécurité, la santé, l’école… Pour cela, nous avons besoin d’alliés, donc on se tourne vers LR », estime alors Éric Woerth, député Renaissance de l’Oise et transfuge des Républicains. « Ce n’est pas un accord en catimini, c’est assumé. J’ai dit dès le début qu’on ferait tout pour bloquer la France insoumise », justifie Laurent Wauquiez quelques jours plus tard. Le pari est plutôt réussi : la Droite républicaine remporte deux vice-présidences, une questure et le poste de rapporteur général de la commission des Affaires sociales. Le début d’un accord est là.
La liste de courses de Laurent Wauquiez…
De son côté, la Droite républicaine concocte pendant quinze jours un « pacte législatif ». Le président Laurent Wauquiez a demandé aux députés de son groupe de lui faire remonter des idées qui pourraient être défendues en propositions de loi.
« On a une situation de crise avec un pays qui ne peut pas attendre, qui ne peut pas se payer le luxe d’un blocage avec des mois et des mois que nous passerions à ne rien faire. Le pays ne peut pas attendre parce que les Français le mesurent quotidiennement dans leurs vies. Tous les signaux de la dégradation accélérée de l’État de la France sont là : en termes de pouvoir d’achat, de finances publiques, de sécurité, d’immigration, de fonctionnement des services publics, développe Wauquiez, le 22 juillet à l’Assemblée. L’objectif pour nous était de trouver des solutions, d’enfin mettre du positif sur la table dans le prolongement de ces élections, des propositions communes qui puissent permettre d’avancer. »
Une loi sur le logement se donne pour objectif de mettre fin au ‘droit au HLM à vie’.
La liste de courses est longue et… radicale. Un paquet de 13 propositions de loi censées restaurer l’autorité de l’État et lutter contre les « dérives de l’assistanat ». Parmi elles, un texte consacré à la justice des mineurs, allongeant la durée des détentions provisoires, créant des courtes peines dans des établissements dédiés, et autorisant les comparutions immédiates pour les mineurs (Gabriel Attal, alors Premier ministre non démissionnaire, s’était dit favorable en mai à la comparution immédiate pour les mineurs dès 16 ans).
Une loi sur le logement se donne pour objectif de mettre fin au « droit au HLM à vie ». La proposition de loi concernant l’immigration plaide pour le conditionnement de l’accès aux aides sociales à une durée de présence minimale, le remplacement de l’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale d’urgence, la réinstauration du délit de séjour irrégulier, ou l’exclusion des personnes visées par OQTF du droit à l’hébergement d’urgence. À droite toute.
La macronie est séduite
Dans la foulée, certains cadres du camp présidentiel se réjouissent de ces propositions, voyant en elles la perspective de sortir de la crise. Et peu importe si elles ne répondent plus du tout à la marque « ni droite, ni gauche » du macronisme. « Quelle est la coalition qui aurait du sens, qui offrirait de la stabilité et de la cohérence politique ? » se demande Aurore Bergé, la ministre déléguée démissionnaire chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, le 24 juillet sur la chaîne de Vincent Bolloré, CNews. Elle plaide pour un accord entre les trois blocs de l’ancienne majorité présidentielle et de la droite de gouvernement : « La droite propose un pacte législatif. Honnêtement, je ne vois pas d’irritants dans ce pacte législatif. Il y a des lignes rouges qu’ils posent, on pose les mêmes. »
Xavier Bertrand est un homme politique avec une très grande compétence.
Gérald Darmanin
« Je suis très heureux, ça me rend très optimiste de voir qu’il y a notamment à droite – j’espère qu’il y en aura à gauche dans un second temps – des appels du pied et des propositions de fond qui ont été mis sur la table. Ce sont des bonnes premières bases pour travailler sur cette coalition », affirme Paul Midy, sur BFMTV le 16 juillet. Dans un message envoyé aux députés Ensemble pour la République le 16 juillet, Gérald Darmanin, actuel ministre démissionnaire de l’Intérieur, aurait salué l’initiative de la droite et jugerait les idées défendues par les troupes de Laurent Wauquiez « très intéressantes ».
Dans les couloirs du Palais Bourbon, un nom circule : Xavier Bertrand. Le président Les Républicains de la région Hauts-de-France pourrait être le candidat idéal d’un gouvernement mêlant des figures de droite et des macronistes. Pour Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État démissionnaire chargée de la Ville, « c’est un grand républicain parmi les Républicains et un grand président de région », le 30 juillet sur CNews. La veille sur France 2, Gérald Darmanin considère que son ami est « un homme politique avec une très grande compétence ».
L’« aile gauche » renâcle
Toutefois, les louanges ne sont pas partagées par toute la Macronie. « Une majorité de députés sous la bannière Ensemble pour la République avec qui j’ai échangé ne veulent pas d’une coalition exclusive avec LR. Pour une raison de fond d’abord : le pacte législatif proposé par Laurent Wauquiez est un programme très à droite qui ne correspond pas au point d’équilibre d’Ensemble », estime l’eurodéputé Renew Pascal Canfin dans Le Monde le 29 juillet. Comprendre : l’aile gauche du camp présidentiel ne serait pas prête à participer à un accord avec la droite uniquement.
Officiellement, la Macronie rêve toujours de construire une coalition allant des sociaux-démocrates aux gaullistes. Depuis le 17 juillet, le nouveau patron des députés EPR, Gabriel Attal, et les deux vice-présidents du groupe, Marc Ferracci et Stéphanie Rist, phosphorent sur l’élaboration d’un « pacte d’action », sorte d’agenda législatif censé mettre d’accord le bloc central, la droite et le PS.
Discutées le 30 juillet au matin par les députés du groupe réunis en visioconférence, ce document de cinq pages comprenant une quarantaine de propositions donne quelques gages à la gauche comme la mise en place d’une commission transpartisane sur l’avenir de nos institutions, l’organisation d’une conférence sociale sur les salaires et le partage de la valeur, la mise en place d’un nouvel index mesurant l’égalité femmes-hommes dans le milieu professionnel, ou la création d’un congé de naissance.
Mais surtout, il donne des signes d’ouverture vers la droite. Attal, Ferracci et Rist promettent de nouvelles mesures visant à réduire la délinquance des mineurs, un « plan laïcité » à l’école et dans les services publics, le renforcement de la lutte contre les fraudes aux aides publiques, l’application « rapide des mesures de la loi immigration », la réduction des normes administratives et une réforme de l’assurance-chômage qui respecterait « le principe consistant à faire varier la durée d’indemnisation en fonction de la situation du marché du travail ». Convaincre la gauche avec un tel programme semble inconcevable.
La drague infructueuse des députés PS
La Macronie n’en continue pas moins de cibler certains députés socialistes qui, selon eux, pourraient se désolidariser plus facilement de la ligne du Nouveau Front populaire. « Certains membres de Renaissance appellent des députés socialistes. Oui, il y a des contacts, raconte un collaborateur du groupe socialiste. Une petite organisation s’est mise en ordre de marche. »
C’est plutôt à nous de tendre la main à ce qu’il reste de progressistes et de réformistes au sein du bloc central.
R. Eskenazi (PS)
D’après La Lettre A, Julien Denormandie, ex-ministre du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, est impliqué dans cette équipe. Tout comme, selon Mediapart, Patrice Vergriete, ministre démissionnaire du Logement, et Christophe Borgel, ancien député socialiste et fin spécialiste de la carte électorale. Ce dernier dément néanmoins à Politis et se dit « en retrait de la vie politique depuis 2017 ».
Pour le moment, la tâche est peu concluante. « La position commune est de ne pas donner suite », assure le collaborateur socialiste cité plus haut. « Nous n’irons pas chercher des postes de ministres qui feront l’inverse de ce sur quoi nous avons été élus. L’ensemble de la coalition est d’accord sur ce sujet. C’est plutôt à nous de tendre la main à ce qu’il reste de progressistes et de réformistes au sein du bloc central », confirme Romain Eskenazi, député PS du Val-d’Oise. « Le groupe est en phase, abonde le député PS de la Côte-d’Or Pierre Pribetich. Les macronistes de gauche n’ont aucune identification par rapport au reste de la Macronie. Pour le moment ce qui se prépare, c’est une coalition entre macronistes et Laurent Wauquiez avec la droite en soutien à ce gouvernement mais sans participation. »
Notre démarche est résolument positive.
L. Wauquiez
« Une coalition avec la droite est certainement le plus probable compte tenu de l’intransigeance affichée par la gauche social-démocrate », avance Martin Garagnon, porte-parole d’EPR, qui assure toutefois que la Macronie veut tendre la main à toutes les forces politiques « en dehors des extrêmes » et continuer à proposer des discussions « y compris sur la base de certains points de programme du NFP ». Le macroniste cite notamment une récente déclaration de Gérald Darmanin qui, dans l’hebdomadaire de Vincent Bolloré Le Journal du dimanche le 20 juillet, estime que l’augmentation du Smic « défendue par la gauche n’est pas un mauvais débat ». Une position non retenue par le document législatif d’EPR qui propose uniquement de « revoir les cotisations et les exonérations sociales pour rapprocher le salaire net du brut et inciter aux augmentations salariales ».
De son côté, la droite tente de calmer le tempo. Il n’est pas question de se vendre trop vite. « Ce n’est pas une coalition gouvernementale. Et ça ne sera pas une coalition gouvernementale. Notre démarche est résolument positive mais je veux aussi couper court à toute forme de fantasmes ou d’agitations. Nous sommes indépendants et nous le resterons », promet Laurent Wauquiez. Former une nouvelle coalition ressemble à une mission quasi impossible.