Derrière la fragile unité des gauches, le spectre de 2027

Au cœur des négociations comme en dehors, la question de la prochaine présidentielle traverse les esprits du Nouveau Front populaire.

Lucas Sarafian  • 17 juillet 2024 abonnés
Derrière la fragile unité des gauches, le spectre de 2027
Affiche de rue pour le Nouveau Front populaire à Paris, juin 2024.
© Guillaume Deleurence

C’est peut-être le premier à le dire tout haut. Le 12 juillet, Jean-Luc Mélenchon donne une conférence au 87, rue du Faubourg-Saint-Denis, dans le 10e arrondissement de Paris. Au siège du Parti ouvrier indépendant (POI), le parti d’extrême gauche tendance trotskiste lambertiste, une formation héritière de l’Organisation communiste internationale (OCI). Le fondateur de La France insoumise en a été, un temps, adhérent dans les années 1970. Cinq jours après le résultat du second tour des législatives, le triple candidat à la présidentielle disserte sur la mise en mouvement de « milliers de gens » grâce à la mobilisation insoumise contre le génocide à Gaza, sur le moment politique enclenché par la dissolution, sur ces trois blocs qui composent l’Assemblée nationale.

Parmi cette foule de militants, la jeune garde mélenchoniste est assise au premier rang : les députés Aurélien Le Coq, Sarah Legrain, Antoine Léaument, Arnaud Le Gall, Nadège Abomangoli, Jérôme Legavre et la candidate défaite dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis face au « frondeur » Alexis Corbière, Sabrina Ali Benali. Jean-Luc Mélenchon est en terrain conquis, se sentant donc assez libre pour régler quelques comptes avec François Hollande dépeint en « fantôme revenant d’on ne sait où », Raphaël Glucksmann ou ces « indécrottables » frondeurs insoumis « qui n’acceptent jamais aucune décision ».

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Assez libre aussi pour tracer une nouvelle fracture stratégique entre son mouvement et l’autre composante plus « modérée » du Nouveau Front populaire (NFP), les Écologistes et le Parti socialiste. « Nous n’avons pas un seul jour imaginé que nous allions faire glisser des secteurs acquis à Macron pour les faire revenir à gauche, comme le centre-gauche de notre pays le pense. Pas un jour, pas une heure, pas une minute », expose-t-il.

« Nouvelle France »

Jean-Luc Mélenchon met ensuite les pieds dans le plat : la prochaine présidentielle de 2027. Il tente alors d’ouvrir un chemin : la « nouvelle France », un imaginaire politique désignant la jeunesse, les populations racisées et féminines. Pour lui, cette « « nouvelle France », c’est celle qui refuse absolument d’être à nouveau la France réactionnaire, colonialiste, c’est celle qui veut être anticoloniale, antiraciste, féministe ». Et selon Mélenchon, « c’est l’hégémonie politique de cette ‘nouvelle France’ que nous allons appeler à la conquête du pouvoir parce que nous en connaissons la date et le moyen : c’est 2027, c’est l’élection présidentielle ». Omniprésent médiatiquement même s’il est en dehors des discussions du NFP, le tribun insoumis maintient ainsi une ambiguïté sur ses propres ambitions.

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Du côté des frondeurs insoumis, Clémentine Autain et François Ruffin, qui s’organisaient en vue d’apparaître aux yeux de tous avant la dissolution comme des candidats possibles, prennent désormais une plus grande distance avec l’appareil mélenchoniste. Ils siègent désormais avec le groupe Les Écologistes, rebaptisté Écologiste et Social. La députée de Seine-Saint-Denis lance également une association baptisée « L’Après », « l’association pour une République écologique et sociale », avec Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet et Hendrik Davi.

Nous ne sommes pas là pour se confronter à d’autres, nous sommes là pour enrichir.

A. Corbière

Officiellement, cet « espace d’incubation », cette « maison commune », permettrait de « contribuer à ce que le Nouveau Front populaire puisse grandir dans le pays », selon les mots de Clémentine Autain. D’après l’un des membres fondateurs, des contacts ont déjà lieu avec les autres formations du NFP et des événements pourraient être organisés dès cet été. Une façon de préparer un affrontement inévitable ? « Nous ne sommes pas là pour se confronter à d’autres, nous sommes là pour enrichir », relativise Alexis Corbière. S’ils ne souhaitent donc pas entrer en confrontation directe avec le mouvement insoumis, leur association commence néanmoins à accumuler les soutiens venus d’élus locaux de gauche de toute la France.

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Durant les négociations au cœur du NFP, le bras de fer quasi permanent entre socialistes et insoumis représente bien plus que des désaccords portant sur des questions de casting. « Chaque acteur du Nouveau Front populaire commence déjà à jouer sa propre partition », commente un cadre de gauche. Les postes en discussion, comme la présidence de l’Assemblée nationale, Matignon ou certains ministères, sont autant d’espaces stratégiques pour ceux qui les occuperont. Certains estiment que les insoumis, ne souhaitant pas dévier de la ligne « tout le programme, rien que le programme », chercheraient à provoquer la rupture de l’union des gauches pour pousser le PS et les verts dans les bras macronistes et, ainsi, permettre de revendiquer sans contestation l’hégémonie à gauche. La course de petits chevaux ne fait que commencer.

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