À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble

Au second tour des législatives, le Rassemblement national, bien qu’en forte progression, a été défait, le macronisme rejeté et le Nouveau Front populaire est devenu la première force politique à l’Assemblée. Mais la gauche doit-elle prendre le risque de gouverner sans capacité d’agir ?

Pierre Jacquemain  • 9 juillet 2024
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À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble
Rassemblement de la gauche, place de la République, le 30 juin 2024, au soir du 1er tour des législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

Ça n’est pas assez dit, ou sans doute pas assez franchement. Alors osons-le, affirmons-le : la gauche et les écologistes ont sauvé, une fois encore, la France de l’extrême droite.  C’est bien la mobilisation de leur électorat qui a permis de mettre en échec le « plan Matignon » imaginé par Jordan Bardella, qui espérait obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Plus de 70 % des électeurs de gauche n’ont pas hésité à mettre un bulletin de droite, macroniste compris, dans l’urne. Le bloc central n’est pas en reste, mais dans une bien moindre mesure.

La défaite du Rassemblement national et des amis d’Éric Ciotti aurait pu être plus large si certains centristes, macronistes et républicains n’avaient pas tergiversé et sombré dans un irresponsable « ni-ni », ni LFI ni RN. Car seuls 43 % des électeurs d’Ensemble ont voté pour LFI et 54 % pour les autres candidats du Nouveau Front populaire. Le maintien dans de nombreuses circonscriptions de leur candidat arrivé en troisième position a permis de faire élire des députés RN. Une tache indélébile.

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Il y a trois leçons à retenir du scrutin du 7 juillet. D’abord, l’immense majorité des électeurs ont mis en échec la volonté de l’extrême droite de prendre le pouvoir, même si – et ça n’est pas un fait anodin – elle double presque le nombre de ses députés. Ensuite, à trois reprises – aux européennes puis aux deux tours des élections législatives –, les Français ont rejeté massivement le projet macroniste et condamné son bilan. Enfin, la gauche est arrivée en tête avec près de 200 députés. Alors il est tentant d’imaginer la nouvelle coalition du Nouveau Front populaire prendre ses responsabilités et gouverner la France.

Les Français ont souhaité redonner du pouvoir au Parlement.

Ça devrait même être la suite logique, fidèle aux traditions de la Ve République, c’est-à-dire de se doter d’un chef de gouvernement issu de la première force siégeant à l’Assemblée nationale. Mais pour faire quoi ? Et avec qui ? Nous serions au Parlement européen, où la culture du consensus est privilégiée, la gauche serait reine du pétrole pour obtenir des majorités de projets : sur les salaires, la fiscalité, les engagements écologiques ou démocratiques.

Prise de risque

Mais le régime semi-présidentiel empêche ce consensus. En se mobilisant massivement – 66,7 % des Français –, sans doute parce que l’élection législative s’est retrouvée déconnectée de la présidentielle, les Français ont souhaité redonner du pouvoir au Parlement. C’est une bonne nouvelle. Encore faut-il
que la force principale parvienne à dégager des majorités d’idées ou de projets. Et s’agissant du programme du NFP, si l’on pense aux principales mesures – l’augmentation du Smic, la réforme fiscale ou le retour de l’ISF –, aussi nécessaires soient-elles, ça semble bien compliqué. Sauf à ce que les macronistes s’engagent à ne jamais censurer un gouvernement de gauche et à la laisser gouverner.

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Une hypothèse qui paraît peu probable. Pourquoi, dans cette perspective où la gauche gouvernerait sans capacité d’agir et avec la menace permanente d’une censure qui la ferait tomber, prendrait-elle ce risque ? Le risque de décevoir à nouveau, nourrir le ressentiment, et favoriser l’extrême droite. Et dans le même temps, si elle ne prenait pas ce risque, on lui reprocherait son irresponsabilité : celle de ne pas tout faire pour améliorer la vie des gens et donc de se battre pour prendre le pouvoir.

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L’équation est aussi pénible qu’insoluble. Le plus probable, c’est qu’une année durant la France sera ingouvernable, jusqu’à une prochaine dissolution. Les prochaines législatives doivent se préparer dès maintenant. Pourquoi la gauche ne profiterait pas de cette année pour lancer un processus constituant et permettre aux Français de changer les règles du jeu institutionnel ? Et dans le même temps, labourer le terrain, tous les terrains, ceux des campagnes, des bourgs et des villes, pour convaincre les électeurs de plus en plus nombreux de Marine Le Pen qu’ils se trompent. Qu’elle les trompe. Parce qu’à moyen et long terme, c’est sans doute le grand chantier de la gauche : reconquérir l’électorat perdu.

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Parti pris

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