Reconstruire et guérir

Où notre chroniqueur nous parle d’un livre qui confronte à nos gigantesques errements, sans jamais nous désespérer. Et dont la lecture nous marque durablement.

Sébastien Fontenelle  • 16 juillet 2024
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Reconstruire et guérir
© Alex Meta / Unsplash

Nous sommes aux États-Unis d’Amérique, dans un futur non défini – mais que l’on devine proche – et terriblement plausible. Wanda, qui tient son prénom d’un cyclone particulièrement dévastateur et dont la mère est morte, grandit entre son père, Kirby, et son frère, Lucas, dans une Floride agonisante, ravagée par des tempêtes à répétition.

Kirby est « lignard » : avec sa minuscule équipe, et tandis qu’autour de lui le monde se disloque sous les assauts des éléments, il répare dans sa ville (imaginaire), Rudder, quand c’est encore possible, les lignes électriques abattues par le vent. Jusqu’au bout, il veut servir, quand tout s’écroule – puis quand l’idée même de service public se trouve abolie, lorsque l’État fédéral, rendu aux ultimes extrémités de la logique du profit et des rentabilités, abandonne complètement la Floride, dont le sauvetage est trop coûteux, pour se replier toujours plus profondément dans l’intérieur des terres, loin des océans.

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Kirby meurt. Lucas s’en va, le cœur fendu, tenter sa chance à Berkeley, Californie – où la vie d’avant n’a pas encore complètement disparu. Wanda reste à Rudder, recueillie par Phyllis : une forte femme, scientifique retraitée qui a passé sa vie à se préparer à l’inéluctable – à préparer l’après. Auprès d’elle, Wanda apprend. Devient adulte. « Le survivalisme – un terme qu’elle ignore – lui vient naturellement. » Elle se découvre un étrange accord avec l’eau – qui s’illumine sur son passage. Phyllis, structurée par les rationalités de la science dure, observe, note, sans expliquer jamais cette mutation. À quoi bon, du reste, car « qu’était la magie, sinon un phénomène scientifique pas encore compris ? Qu’était la science, sinon un tour de magie doté d’une explication ? »

Sous les canopées, des espèces meurent. D’autres apparaissent.

Orage après orage, tempête après tempête, les eaux montent inexorablement et noient le monde ancien – dont la mémoire, déjà, s’estompe : qu’était-ce, au juste, qu’un « robinet » ? Le soleil aussi devient une menace, mortelle, car les températures, elles non plus, n’en finissent plus de grimper. Trente-neuf degrés, quarante degrés : il faut se réfugier dans les arbres. Reconstruire loin au-dessus des flots et sous l’ombre des frondaisons des refuges plus sûrs.

Wanda est seule. Elle dort le jour et sort la nuit, dans son canoë, refaire sa réserve d’eau potable. Partout, la nature triomphe. Sous les canopées, des espèces meurent. D’autres apparaissent. Le temps passe. Il y a d’autres survivant·es, humain·es, accueillant·es. Avec eux vient l’amour. Wanda, aimée, vieillit en paix, dans un monde nouveau qui a sa beauté propre, et où s’estompent doucement ses derniers souvenirs : un monde guéri, bien malgré lui, de ses vanités oubliées.

Le livre, magnifiquement traduit, a pour titre : Pirate de lumière (1). Il nous confronte à nos gigantesques errements sans jamais nous désespérer. Sa lecture marque, durablement : il est, pour le dire autrement, profondément bouleversant. Son autrice s’appelle Lily Brooks-Dalton : retenons son nom.

Pirate de lumière, de Lily Brooks-Dalton, traduit de l’américain par Juliane Nivelt, Gallmeister, 400 pages, 24,90 euros.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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