D’eau et de colère
Les 19 et 20 juillet, les militants des Soulèvements de la Terre ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire sur les mégabassines. Reportage photo.
dans l’hebdo N° 1820-1824 Acheter ce numéro
La version longue de ce reportage est à retrouver ici.
1 – Du 16 au 21 juillet 2024, des milliers de militants antibassines ont convergé vers le Village de l’eau dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la Terre et de Bassines Non Merci. La veille de la première journée d’action, l’organisation annonce que le camping est plein. Pour ceux qui arrivent encore, pas le choix, il faut poser la tente dans le parking situé à deux kilomètres dans un champ labouré.
2 – Vendredi 19 juillet, le plan pour la première manifestation est modifié au dernier moment face au dispositif des forces de l’ordre. Initialement, divers points de rassemblement menaient à Saint-Sauvant. Un projet de mégabassine doit y démarrer en septembre. La nouvelle cible est un site agro-industriel emblématique, accusé de promouvoir les mégabassines dans le Poitou. Sous un soleil assommant, des milliers de manifestants s’élancent après avoir subi de nombreux contrôles sur les routes.
3 – Au bout de plusieurs minutes, la marche aperçoit les gendarmes, postés au loin. La décision est prise de couper à travers champs. Des grenades lacrymogènes sont tirées pour faire reculer la foule, mais elles incendient rapidement un champ andainé. « Dépêchez-vous ! Les flammes avancent ! », hurle un homme au visage masqué, alors que le cortège se retrouve bientôt coupé en deux par les flammes.
4 – Entraînés par une fanfare, jeunes militants, agriculteurs, familles et syndicalistes reprennent la marche, certains déguisés ou équipés de masques à gaz. Mais après quelques minutes, confrontés aux gendarmes et ébranlés par les flammes, les militants décident d’arrêter la manifestation. Julien Le Guet, figure de la lutte contre les mégabassines, explique : « On ne peut pas prendre le risque de continuer, il faut se replier. » La journée de demain s’annonce encore plus chaude.
5 – Samedi 20 juillet, deux cortèges marchent sur le port de La Rochelle, d’où sont exportées de grandes quantités de céréales. Le deuxième groupe, massif et déterminé, sera noyé dans les gaz lacrymogènes avant même d’arriver à mi-chemin. Coincés, mais soudés, les militants font preuve d’une solidarité impressionnante. Alors que les boucliers tiennent la ligne, les moins équipés ou les plus effrayés cherchent à fuir.
6 – En face d’eux, les gendarmes mobiles avancent doucement, mais sûrement. « Ne courez pas et restez groupés ! », hurlent les militants. Dans la rue, relativement étroite, le bloc fait face et recule petit à petit face à l’avancée des forces de l’ordre, qui continuent de tirer des grenades. Le repli tactique est en fait impossible. À l’arrière, les CRS chargent à grands coups de matraques.
7 – Le black bloc, défensif, tente tant bien que mal de résister aux différentes grenades, le temps qu’une solution de sortie soit trouvée. Après être resté coincé de longues minutes dans les lacrymogènes, le cortège – où des personnes étouffent – arrive à s’extirper par une ruelle. La tension baisse légèrement et alors que le soleil assomme le groupe, certains essaient de se retrouver en hurlant les pseudonymes de leurs camarades.
8 – Pour continuer la lutte, décision est prise de rejoindre l’autre cortège. Après un retour mouvementé qui semble interminable, la foule exténuée rejoint le point de départ des manifestations, un grand parc qui donne sur la plage. La fin de cette mobilisation devient soudainement d’une rare beauté quand des centaines de manifestants se jettent dans l’océan.
9 – Dans un moment de communion, le groupe chante et danse, alors que la fanfare les rejoint rapidement. « No bassaran ! », les slogans s’enchaînent, la pression redescend et la légèreté prend le dessus. C’est sur cette belle note que les derniers manifestants opposés aux mégabassines rentrent chez eux ou au Village de l’eau. Avec ce chant qui reste dans les oreilles : « J’ai deux passions, la fanfare, la révolution, vive les blocages, les sabotages, les ZAD et les manifs sauvages. »
10 – Après des dizaines de conférences et de concerts, le Village de l’eau plie bagage le lendemain. Malgré un dispositif des forces de l’ordre impressionnant, les milliers de manifestants ont réussi à faire parler de leur lutte contre les mégabassines et à manifester plus ou moins calmement. Déjà ils et elles savent qu’il n’est qu’une question de temps avant la prochaine mobilisation. « À bientôt. 0 ! No pasaran ! »