Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition

Sur le plus long fleuve de France, ils ne sont plus qu’une soixantaine à exercer leur métier. Une activité qui fait figure d’artisanat en comparaison de la pêche en mer. Rencontre avec un passionné attentif à son environnement.

Mathilde Doiezie  • 24 juillet 2024 abonné·es
Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition
"Il ne fait pas bon vieillir en tant que marin-pêcheur. Un jour, tu prends conscience que c’est une vraie vie de labeur."
© Mathilde Doiezie

Lorsque l’été bat son plein, le cœur de l’activité de pêcheur de Loire, lui, pulse au ralenti. Nicolas Guérin, 41 ans, s’emploie à repeindre son bateau ou à réparer ses nasses à Saint-Florent-le-Vieil, à mi-chemin entre Nantes et Angers. Ou il donne un coup de main à des voisines vigneronnes. C’est aussi l’époque où son associé, Matthieu, et lui embarquent curieux et touristes à bord d’une de leurs toues, le bateau traditionnel à fond plat de la Loire, pour des promenades à la découverte du cours d’eau et de leur métier. Une diversification nécessaire pour conserver la tête hors de l’eau en tant que pêcheur sur le plus long fleuve de France.

Car ils ne sont plus qu’une soixantaine à exercer ce métier sur le bassin de la Loire, selon les données de l’Association agréée des pêcheurs professionnels en eau douce du bassin Loire-Bretagne et de celle dédiée uniquement au département de Loire-Atlantique, l’Aapped 44. Contre plusieurs centaines il y a cinquante ans. Historiquement, la pêche pouvait se pratiquer sur la Loire de l’estuaire jusqu’à Nevers. Actuellement, ceux qui la pratiquent le plus en amont sont situés autour d’Orléans.

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Être pêcheur de Loire représente désormais le pari un peu fou de passionnés. Nicolas Guérin, casque blond et oreille gauche parée de deux boucles argentées, n’avait pourtant pas le profil type. Contrairement à son associé, dixième membre de sa famille à assurer la relève du métier, lui n’était pas prédestiné. Nicolas a grandi à moins de dix kilomètres de la Loire mais, dans ses jeunes années, il aspirait plutôt à disserter en suivant une licence de philosophie. Sauf qu’il ne se sentait pas à sa place au sein de sa promotion. De l’autre côté de l’Erdre, autre cours d’eau traversant Nantes, se trouvait un lycée maritime. « J’ignorais tout de cet univers, mais je me suis dit que je me sentirais probablement plus à l’aise avec des matelots », se souvient-il.

La formation était courte : six mois pour les adultes. De quoi envoyer rapidement de nouvelles forces vives sur les bateaux en manque de bras. Sans doute un peu trop court pour tout bien maîtriser, mais le reste de l’apprentissage se passe en mer. Pendant dix ans, Nicolas a embarqué sur des chalutiers depuis la côte de la Loire-Atlantique pour pratiquer la pêche au large. Il a eu la chance de tomber sur un super équipage, a adoré cette vie de camaraderie.

Tant mieux, car il fallait passer vingt jours d’affilée à travailler ensemble, sans jour de repos. Nicolas a fini par remarquer que personne n’avait plus de 45 ans sur ce type de bateaux. Le rythme de travail épuise les corps. « Il ne fait pas bon vieillir en tant que marin-pêcheur. Un jour, tu prends conscience que c’est une vraie vie de labeur. »

Ce que je faisais, c’était considéré comme de la pêche artisanale, mais en réalité les pratiques sont intensives, le métier est un peu perverti. 

Mais ce qui l’a vraiment fait basculer vers la pêche en eau douce, c’est autre chose. Nicolas a du mal à trouver ses mots. Il hésite, ne veut pas heurter ses anciens camarades. Ose enfin : « La pêche en mer est prise dans une fuite en avant… Ce que je faisais, c’était considéré comme de la pêche artisanale, mais en réalité les pratiques sont intensives, le métier est un peu perverti. » Il en veut toutefois plus au système qu’aux individus.

La rémunération à la tâche n’encourage pas à se poser des questions sur la disponibilité des ressources. Il esquisse un parallèle avec l’agriculture. Avec la productivité comme seule échappatoire lorsque les investissements sont trop gros. Avec des gens qui finissent prisonniers d’un système. « Ce sont les mêmes problématiques et aussi les mêmes solutions », remarque-t-il, tout en cherchant à éviter de se poser en donneur de leçons.

De l’usine à l’atelier

Depuis 2020, Nicolas est officiellement pêcheur de Loire. Auparavant, il avait travaillé deux ans avec Yannick Perraud, l’oncle de son associé Matthieu. Une porte ouverte sur ce nouvel univers de la pêche en eau douce, qui lui a donné l’impression d’être passé d’une usine à un atelier d’artisan. « Les pratiques paraissent les mêmes qu’en mer, les engins de pêche sont majoritairement des filets aussi, mais tout le reste est différent », esquisse-t-il.

La Loire possède sa propre faune, son propre rythme. Il faut s’habituer à sa saisonnalité. Ici, impossible de pêcher en continu les mêmes espèces de poissons. Certains naissent, vivent et meurent le long du cours d’eau. D’autres sont des espèces migratoires, de passage seulement un temps dans l’eau douce.

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En mer, « seuls les poissons très marchands sont valorisés, le reste ne t’intéresse pas », précise Nicolas. Tout l’inverse de sa méthode de pêche actuelle, où les espèces ne sont pas sélectionnées. Une façon de travailler qui correspond mieux au rôle qu’il définit pour son métier. « Sur un strict raisonnement alimentaire, il vaudrait mieux prélever un peu de tout », argumente-t-il. Cela conduirait à réduire les dépenses en énergies fossiles pour la même quantité de nourriture rapportée. À diminuer l’énergie humaine déployée, aussi. Et à répondre plus facilement à des problématiques alimentaires avec de la nourriture locale.

Une belle idée qui nécessite cependant des changements d’habitudes de consommation. Comme d’accepter de manger du silure, ce géant d’eau douce qui prolifère dans la Loire depuis les années 1970, à la mauvaise réputation avec sa gueule démesurée et son absence d’écailles.

On subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique.

Pêcher en Loire, c’est aussi pêcher dans un environnement dégradé. Nicolas savait où il mettait les pieds en s’installant. Mais la dégradation est si rapide qu’il est très difficile aux espèces comme au travail de s’adapter. « On subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique. » Il décrit des périodes d’assec plus longues et des épisodes de précipitations plus intenses, faisant déferler le courant et empêchant les espèces de se déplacer à leur convenance. « On fait face à un nouveau régime de crues. Ce qui signifie que pendant quasiment la moitié de l’année, du printemps à l’automne, ce n’est plus possible de pêcher », souffle-t-il.

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Nicolas peste aussi contre les pollutions. Les écoulements de nitrate et de phosphate se sont multipliés. La hausse de la température de l’eau entraîne une production végétale qu’il n’y avait pas auparavant. « C’est autant d’oxygène en moins pour les poissons. » Il regrette aussi les aménagements du territoire mal pensés qui ont fait disparaître nombre de zones humides, « parfois pour construire des parkings », alors que ce type d’espace inondé est normalement colonisé par les poissons.

À ces difficultés s’ajoutent les attaques récentes de l’association Défense des milieux aquatiques, qui tente de faire interdire des pratiques de pêche dans différents bassins. Nicolas regrette qu’il n’y ait aucune discussion possible, alors qu’il dit « être le premier à [s]’inquiéter de la disparition de certaines espèces ». Les pêcheurs de Loire travaillent d’ailleurs avec le Muséum d’histoire naturelle pour recenser certaines populations de poissons.

Équilibrisme

Pour faire face à tout cela, le maître-mot, c’est la diversification. Car impossible de vivre uniquement de la pêche, à part pour quelques chanceux proches de l’estuaire, où les ressources en poisson sont plus abondantes. Il y a trois ans, Nicolas et son associé ont donc créé avec une voisine éleveuse de moutons une guinguette baptisée Fish & Sheep, en clin d’œil au fameux plat de poisson frit britannique. Eux le pastichaient en écoulant du silure.

Le projet les a toutefois un peu dépassés. Ils n’ont pas renouvelé le bail, qui arrivait à échéance au bout de trois ans. « C’était génial, mais nous étions vraiment loin de notre cœur de métier », ­analyse aujourd’hui Nicolas. Même constat après quelques années à faire eux-mêmes leurs terrines. Aujourd’hui, ils les font réaliser par une conserverie et n’assurent plus que la vente directe à des particuliers.

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S’il faut sans cesse jouer aux équilibristes pour vivre de la pêche, tout en continuant à pêcher, Nicolas n’est pas désespéré. « La mise de départ est assez faible pour commencer ce travail : tu as un petit bateau, un petit moteur et donc peu de consommation d’essence. Certes, on se dégage péniblement un peu plus du Smic, mais au moins on n’est pas très endetté. »

Au quotidien, Nicolas savoure donc ce sentiment de liberté. Il se plaît à comprendre le mieux possible l’écosystème dans lequel il évolue et à s’y fondre. Ce bénévole à la Ligue pour la protection des oiseaux adore voir revenir chaque année les sternes qui viennent se reproduire en Anjou. Et s’amuse à les considérer comme des collègues. Comme lui, la pêche les nourrit.

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