Trump : un programme de haine
L’ex président des États-Unis va assurément profiter de la tentative d’assassinat dont il a été la cible, ce 14 juillet, dans un meeting de campagne. L’Amérique semble prête à se donner à un Falstaff ivre de vengeance, qui ne fait plus rire personne.
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Que Trump va-t-il faire de sa victoire ? Fake news, maladie incurable de la démocratie Pour l’équipe de Kamala Harris, la stratégie acharnée du porte-à-porte Pouvoir et médias : l’art de fasciser l’espace publicPlutôt que l’enquête et le droit, les complotistes trouvent généralement le chemin des coupables en posant la question rituelle « à qui profite le crime ? ». Ils ont préféré cette fois demander « qui a armé le bras du tueur ? ». Et la réponse est toute trouvée : les démocrates, bien sûr ! Car c’est assurément Donald Trump qui va profiter de la tentative d’assassinat dont il a été la cible, ce 14 juillet, dans un meeting de campagne en Pennsylvanie. « En survivant, il a gagné l’élection », a même prédit un représentant du Wisconsin, Derrick Van Orden. C’est peut-être aller vite en besogne car nous sommes encore à quatre mois de l’échéance. Mais Trump, en génie de la communication, a eu l’intuition du geste qui allait faire la une de toutes les télévisions et de tous les journaux de la planète.
L’Amérique des évangélistes et des fous de Dieu plonge le pays dans un monde hallucinatoire.
Alors qu’il émergeait de la mêlée de ses agents de sécurité, et qu’un filet de sang lui balafrait le visage, il a brandi le poing comme un défi à cette moitié d’Amérique qui le déteste et qu’il effraie. Depuis cet instant, une vague déferlante d’émotion semble avoir repoussé la raison hors du champ politique. Une vague qui a poussé une Amérique pieuse aux confins du fanatisme, au point de tenir dans l’événement la preuve que son héros est sous protection divine. Là, le mot « miraculé » est à prendre au pied de la lettre. Oublié le tueur virtuel et vantard qui mimait de l’index un crime imaginaire sur la 5e Avenue ; oublié le viol d’une star du porno ; oublié le refus obstiné du verdict des urnes : oublié, surtout, l’assaut du Capitole, un certain 6 janvier 2021, par une horde gothique de cinglés ultra-violents.
Par un extraordinaire renversement des valeurs, « Satan » est devenu « martyr ». L’Amérique des évangélistes et des fous de Dieu plonge le pays dans un monde hallucinatoire dont il ne sera pas facile de sortir avant l’élection du 5 novembre. D’autant plus que, de l’autre côté, le camp de la raison est incarné par un Joe Biden pathétique, victime d’un mal cognitif sans doute plus encore que de l’âge, qui perd lui aussi par instants le sens du réel au point de ne pas vouloir désarçonner. Bref, à l’heure qu’il est, l’Amérique semble prête à se donner à un Falstaff ivre de vengeance, qui ne fait plus rire personne, et qui est plus proche du Ku Klux Klan que d’une civilisation digne de notre époque.
Ce sont les dictateurs qui se frottent les mains.
Certes, le pire n’est jamais sûr, et pourquoi ne pas croire encore à l’improbable d’un scénario que nulle fiction ne saurait imaginer ? En attendant, c’est un programme effrayant que nous promet Trump : une institution judiciaire nettoyée des procureurs qui lui résistent, et tout entière au service de la vengeance, la liquidation de services publics déjà faméliques, une xénophobie institutionnalisée, des camps de déportation pour les immigrés en attente d’expulsion, une Garde nationale et une police libérées de toute retenue, une restriction drastique du droit à l’avortement. Et ce sont les dictateurs qui se frottent les mains.
Trump est celui qui promet de livrer tout ou partie de l’Ukraine à Poutine. Il est celui qui veut officialiser l’annexion des derniers territoires palestiniens par Israël. Il est celui qui exècre l’Europe parce qu’elle incarne à ses yeux (et parfois à tort) le cercle de la raison et de la modernité. Il est celui qui méprise les femmes. Trump, Poutine, Netanyahou (et plus encore ses alliés, les colons), et tant d’autres de par le monde, partagent une vision racialisée et moyenâgeuse des rapports sociaux. Les uns par conviction, les autres par cynisme.
Mais on manquerait à notre propre rationalité si on ne redisait pas ici que ce retour des ténèbres est consécutif à l’échec des politiques sociales qui a dominé la seconde partie du XXe siècle. Ce qu’on résume d’un mot un peu fourre-tout : le libéralisme. C’est la barbarie qui triomphe. L’exemple le plus édifiant est une fois encore le Proche-Orient. Le monde de Trump et celui de Biden ne sont pas si étrangers l’un à l’autre. Entre celui qui abandonne les Palestiniens au massacre par manque de courage, et celui pour lequel le peuple arabe de Jérusalem, Ramallah ou Gaza n’a plus droit à l’existence légale, il n’y a que des degrés dans l’échelle du racisme. Le premier regrette du bout des lèvres que l’on tue 90 civils, femmes et enfants, avec l’alibi d’atteindre un seul dirigeant du Hamas, le second est tout prêt à s’en féliciter. Signe des temps : la star de la Convention républicaine, qui se tient ces jours-ci à Milwaukee, sera la « papesse » du complotisme, Marjorie Taylor Greene. Le décor est en place : guerre de Sécession, acte II.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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