Ne pas voter « les pleins pouvoirs » à Bardella
La dissolution de l’Assemblée nationale entraîne le naufrage de Macron et de son mouvement. Face au barrage au RN, la droite et la Macronie se noient dans leur Bérézina, alors que la gauche a été irréprochable. Quelle que soit la suite, la gauche aura un rôle majeur à jouer. Nous entrerons avec elle en résistance.
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On connaît l’inusable précepte de Spinoza : « Ni rire ni pleurer, mais comprendre. » Pleurer ne servirait à rien. Et rire attendra un peu, si ce n’est ce rictus de plaisir amer que provoque le spectacle du naufrage de Macron. Mais l’effondrement de ce personnage qui aura vécu son passage en politique comme une aventure personnelle nous est d’un faible réconfort. On ne pourra pas toujours expliquer ce qui arrive aujourd’hui à notre pays par la médiocrité de Macron. Rapidement, la gauche devra, pour comprendre, porter sur elle-même un regard lucide et introspectif. Mais nous sommes aujourd’hui dans le temps d’une campagne qui n’a pas livré son message définitif.
La gauche devra, pour comprendre, porter sur elle-même un regard lucide et introspectif.
À cet égard, il faut se féliciter du comportement de la gauche au soir du premier tour. Moins, hélas, de la campagne pas très propre menée en Seine-Saint-Denis et à Paris par les troupes mélenchoniennes contre les « dissidents » Corbière et Simonnet, dont le crime est d’avoir eu trop à la bouche le mot « démocratie ». Mais l’essentiel est ailleurs. Il s’agit d’empêcher le RN d’avoir une majorité absolue. Deux chiffres nous disent l’ampleur du désastre : 3 millions et 10,6 millions. C’est la progression en voix de l’extrême droite en sept ans. C’est l’écart entre l’arrivée à l’Élysée d’un Rastignac qui voulait imposer au peuple tout ce que le peuple ne voulait pas et cette dissolution dont il est le seul à n’avoir pas anticipé les effets. Ces chiffres, on ne les effacera pas. On peut tout juste en limiter la traduction en sièges.
Si la gauche, toute la gauche, a fait ce qu’il fallait, promettant de se désister sans barguigner lorsque son candidat est en troisième position, la droite et la Macronie se noient dans leur Bérézina. Nous serons sans doute loin dimanche soir des 75 sièges supplémentaires qu’un désistement républicain aurait pu apporter à la gauche pour tenir Jordan Bardella à distance de Matignon. La droite LR ne se désistera pas, tandis que du côté du camp présidentiel nous avons toutes les nuances de gris. On connaît l’argument, aussi dévastateur que malhonnête : pas de LFI, pas de Mélenchon. De deux choses l’une : ou bien ces gens ont fini par se laisser abuser par leur propre argumentaire de « symétrie des extrêmes » ; ou bien ils sont, au fond d’eux-mêmes, partisans du RN. Après avoir fustigé l’attitude d’Éric Ciotti pour son ralliement au clan Le Pen, ils y viennent par un chemin détourné.
Le sort des immigrés, des binationaux et le droit du sol sont allègrement sacrifiés sur l’autel du libéralisme.
La droite républicaine, dreyfusarde, anti-pétainiste est en voie de disparition. Quand on ôte les principes républicains, ne restent plus que les enjeux de classe. Les Édouard Philippe et autre François Bayrou pensent qu’ils s’entendront mieux avec le RN pour reprendre le fil d’une politique libérale. Le discours de Bardella sur la réforme des retraites leur donne raison. Dans cette logique, le sort des immigrés, des binationaux et le droit du sol sont allègrement sacrifiés sur l’autel du libéralisme. Ceux-là, Le Maire, Philippe, Bayrou, s’apprêtent à voter « les pleins pouvoirs » à Bardella (1).
Allusion aux « pleins pouvoirs » votés à Pétain, le 10 juillet 1940.
Suffiront-ils à lui donner la majorité absolue qu’il exige ? Quelle que soit la nouvelle configuration, la gauche aura un rôle majeur à jouer. Nous entrerons avec elle en résistance. L’un des enseignements que l’on doit tirer de cette situation, c’est l’importance de la bataille médiatique. Depuis des années, CNews, Europe 1, Le JDD, Hanouna et consorts diffusent leur poison xénophobe. Une pensée profondément coloniale s’est installée, comme une revanche de l’OAS. Le conflit israélo-palestinien est à la fois innommé et omniprésent.
Peu à peu, les questions identitaires se sont imposées au détriment des paradigmes sociaux. La haine des immigrés et, pour finir, la promesse de l’abolition du droit du sol qui a construit notre pays depuis le XVIe siècle en sont l’aboutissement funeste. Le projet de privatisation du service public de l’audiovisuel sera à n’en pas douter l’un des grands enjeux des prochains mois, en cas de malheur le 7 juillet. Ne nous payons pas de mots : les quelques jours qui sont devant nous ne donneront pas la victoire à la gauche, mais ils décideront du rapport de force. Au moins, nous savons que nous pourrons compter sur des personnalités qui se sont affirmées, comme Clémentine Autain, François Ruffin, et l’étonnante Marine Tondelier, qui nous a appris que les Verts pouvaient aussi parler clair et fort.
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