Le syndrome « congrès de Tours »

Après sa victoire étriquée aux élections législatives, le Nouveau Front populaire rejoue le grand schisme qui eut lieu au sein de la gauche française entre communistes et socialistes en 1920.

Denis Sieffert  • 23 juillet 2024
Partager :
Le syndrome « congrès de Tours »
Dominique Paoli, Jules Blanc et Yvonne Sadoul, au Congrès de Tours, en 1920.
© Agence de presse Meurisse / Gallica / Domaine public.

La gauche est-elle condamnée à rejouer éternellement le congrès de Tours ? En décembre 1920, quand eut lieu le grand schisme au sein de la gauche française entre communistes et socialistes, la situation n’avait pourtant rien de commun avec aujourd’hui, et les acteurs étaient tout autres. Il n’empêche ! On retrouve la même ligne de fracture entre « révolutionnaires » (on parle plus volontiers de « radicaux ») et « réformistes ». Les uns ne voulant aucun compromis et préconisant une stratégie du « tout ou rien » illustrée par le discours empressé de Jean-Luc Mélenchon au soir du second tour des législatives, le 7 juillet ; les autres collant plus ou moins au discours des premiers pour ne pas laisser paraître leur scepticisme. L’antagonisme devenant jour après jour de plus en plus évident autour de la désignation d’un candidat de gauche pour Matignon.

L’objectif plus ou moins avoué est de provoquer un blocage qui conduira rapidement à une présidentielle anticipée.

Contrairement à ce que beaucoup de commentaires ont laissé entendre, ce n’est pas « la gauche » qui ne parvenait pas à s’accorder, ce sont deux conceptions radicalement différentes qui se sont affrontées. L’une, bravache, claironnant sa volonté d’appliquer « tout le programme » du Nouveau Front populaire, sans considération d’une réalité institutionnelle qui, à l’évidence, rendait impossible ce projet ; l’autre, terrorisée à l’idée d’être, une fois de plus, étiquetée « sociale-traître ». Les socialistes avaient tout de même fini par sortir de leur chapeau (avec l’accord du PCF et des Verts) le nom de Laurence Tubiana, qui s’est immédiatement heurtée au refus de LFI qui l’avait décrétée « Macron-compatible ».

Sur le même sujet : Y aller ou pas ? La gauche unie face au dilemme du pouvoir

Cette économiste, architecte de l’accord de Paris sur le climat en 2015, incarnait en effet une chance de trouver des majorités de projet, loin du « tout ou rien ». Compromis ou compromission ? On retiendra tout de même qu’elle s’était prononcée pour la relance « du dialogue social sur les salaires », qu’elle se disait prête à « abroger la réforme des retraites » et la loi sur l’immigration. Ce qui n’était peut-être pas rien. L’épisode Tubiana, vite refermé, a mis en évidence que LFI ne veut pas gouverner. En tout cas, pas maintenant. L’objectif plus ou moins avoué est de provoquer un blocage qui conduira rapidement à une présidentielle anticipée. L’exercice préféré de Mélenchon.

Rien ne dit que la Macronie et la droite ne vont pas profiter du blocage actuel et trouver quelque arrangement douteux.

Une variante de cette stratégie est apparue dans une tribune de ­Libération (le 19 juillet) signée entre autres par les historiennes Laurence De Cock et Mathilde Larrère, l’économiste Pierre Khalfa et le sociologue Willy Pelletier. Leur texte rappelle que le Front populaire de 1936 n’aurait rien été sans les grandes grèves qui ont paralysé le pays à partir du mois de mai. La référence est utile en ce qu’elle sort du huis clos parlementaire et met l’accent sur l’importance d’une mobilisation sociale. Mais ces situations prérévolutionnaires ne se déclenchent pas d’un claquement de doigts. Et en attendant, quoi ? On est donc bien en face de la fracture qui a marqué l’histoire de la gauche depuis le congrès de Tours. Ironie du sort, les communistes, héritiers lointains de Marcel Cachin (le leader communiste de l’époque), sont aujourd’hui alliés du PS. C’est LFI qui porte le masque des communistes d’autrefois.

Sur le même sujet : Nouveau Front populaire : la stratégie en question

La vraie question est de savoir dans quelle situation nous sommes. En 1920, l’idée révolutionnaire était d’une brûlante actualité. Le prolétariat européen lorgnait du côté de la révolution bolchevique qui avait eu lieu trois ans auparavant. Peut-on miser aujourd’hui sur une situation semblable ? Et, à défaut, peut-on priver les catégories sociales les plus défavorisées, les salariés, les futurs retraités des avancées que suggérait Laurence Tubiana ? A-t-on le droit de ne pas essayer ? La CGT elle-même ne semble pas favorable à cette politique du « tout ou rien ». Sa secrétaire générale, Sophie Binet, a appelé à faire pression pour l’installation d’un gouvernement du NFP. En apparence, cet appel s’adresse à Emmanuel Macron. Mais c’est un peu un billard à deux bandes. Comment ne pas comprendre qu’il vise aussi Mélenchon ?

Sur le même sujet : « Ne nous trahissez pas » : à Paris, un rassemblement pour exhorter le NFP à gouverner

Si le président de la République ne se sent pas dans l’obligation de désigner un premier ministre issu du NFP, c’est que la gauche est incapable de lui proposer un nom. Il joue donc sur du velours. On comprend bien que Mélenchon vise le coup d’après. La présidentielle est son éternel « trou de souris ». Mais rien ne dit que la Macronie et la droite ne vont pas profiter du blocage actuel et trouver quelque arrangement douteux qui laissera la gauche Gros-Jean comme devant. Il y aura, le moment venu, beaucoup de leçons à tirer de la crise actuelle.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don