À Marseille, victoire pour les femmes de chambre en grève du Radisson Blu

Depuis deux mois, les femmes de chambre de l’hôtel haut de gamme marseillais étaient en grève. Elles demandaient une hausse de salaire, une prime pénibilité et de meilleures conditions de travail.

Étienne Bonnot  • 26 juillet 2024 abonné·es
À Marseille, victoire pour les femmes de chambre en grève du Radisson Blu
Pour la mairie de Marseille, "ces femmes sont très dignes, et leurs revendications légitimes. Cette situation a beaucoup trop duré, il faut une sortie de crise !"
© Étienne Bonnot

Mise à jour le 31 juillet 2024

Selon le syndicat CNT-SO, les salariées en grève du groupe de nettoyage hôtelier Acqua, prestataire de l’hôtel Radisson Blu du Vieux-Port, ont été entendues. La médiation du 30 juillet a permis de signer un protocole d’accord qui prévoit notamment la mise en place progressive d’un 13e mois de salaire et une limitation de la « clause de mobilité » (3 déplacements dans d’autres établissements du groupe par mois maximum). Parmi ces bonnes nouvelles, un bémol, selon Marsactu : les grévistes ont reçu, lors des négociations, des convocations au commissariat pour des faits supposés de dégradation, une plainte ayant été déposée par le Radisson pour les dommages causés par le piquet de grève.


Première publication le 26 juillet 2024

À Marseille, l’infatigable combat des femmes de chambre du Radisson Blu

Comme chaque matin depuis soixante-deux jours, le tintement des casseroles réveille les touristes sur le Vieux Port. Les quinze femmes de chambre grévistes du Radisson Blu à Marseille, sont bien décidées à se faire entendre, et à se faire voir au pied de l’hôtel quatre étoiles. Au milieu des drapeaux noir et rouge de la Confédération nationale du travail-Solidarité ouvrière (CNT-SO), elles s’affairent à déployer une banderole qui donne le ton : « Femmes de chambre, stop exploitation, stop sous-traitance ».

En effet, à Marseille, la multinationale Radisson Hotel Group – 1,2 milliard de chiffres d’affaires en 2023 – fait appel à un sous-traitant pour les travaux de ménage, la société française Acqua. C’est avec elle que les travailleuses ont entamé un bras de fer, fin mai. « Nous ne cassons rien, nous sommes des mères de famille et nous nous battons pour une cause juste : nos droits et un meilleur revenu. », lâche Idalina.

Sur le même sujet : « Le quotidien des femmes de chambre doit être un sujet de débat dans la société »

Pour leur rémunération, les grévistes portent trois revendications sur lesquelles elles ne veulent pas transiger : un treizième mois, une prime de pénibilité annuelle, et le passage à l’échelon supérieur de leur convention collective qui leur permettrait une hausse 11 centimes d’euro bruts par heure… Des modalités déjà appliquées par Acqua dans plusieurs autres hôtels de la ville où il sous-traite, comme l’AC Marriott, au pied du stade Vélodrome. Comble de l’incohérence, les femmes de chambre rattachées au Radisson Blu sont parfois envoyées en remplacement dans ces établissements, où les conditions de travail sont plus avantageuses… sans en bénéficier !

Ils jouent sur le fait que certaines d’entre nous ont peur de perdre leur carte de séjour pour nous mettre la pression.

Ansmina

D’ailleurs, parmi les premières demandes des grévistes, figurait la fin de ces remplacements tous azimuts qui les contraint certains jours à être affectées au dernier moment à l’autre bout de la ville. « Parfois, je suis dans le métro pour le travail, voire déjà arrivée sur place en tenue et on m’envoie ailleurs. Cela génère du stress et nous fait perdre beaucoup de temps. C’est très fatigant », confie Fabienne. Acqua défend de pouvoir s’organiser différemment au nom de « sa liberté d’entreprendre, et de l’agilité nécessaire pour faire face à des imprévus ». Les grévistes ont donc fini par accepter un compromis : pas plus de trois remplacements dans le mois, et avec un préavis de minimum 24 heures.

Du syndicat à la mairie, du soutien

« Ils ne nous considèrent pas, ils ne nous respectent pas. Ils jouent sur le fait que certaines d’entre nous ont peur de perdre leur carte de séjour pour nous mettre la pression » regrette Ansmina. La trentenaire joue un rôle essentiel dans cette lutte puisqu’elle est déléguée du personnel. Dès le premier jour de la mobilisation, avec d’autres grévistes, elle est allée voir la CNT-SO. L’appui du syndicat est un atout précieux pour tenir dans la durée.

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Dimanche dernier, une soirée de soutien avec concert et repas solidaire, a permis de recharger la caisse de grève. L’occasion aussi de lutter joyeusement, à l’instar des goûters festifs organisés chaque samedi depuis le début de la mobilisation. « Mais nous ne sommes là qu’en soutien » rappelle Gaëlle Barbero, juriste à la CNT-SO 13, « elles sont autonomes et super déterminées, je n’ai jamais vu ça ». En outre, le syndicat amène de la visibilité. Début juillet, il a interpellé le maire de Marseille sur X. Et alors que l’hôtel de ville se trouve sur le quai du Vieux Port en face du piquet de grève, le post a, semble-t-il, eu plus de résonance que les casseroles.

Elles sont autonomes et super déterminées, je n’ai jamais vu ça.

G. Barbero

Quelques jours après la publication sur X, une délégation de grévistes était reçue dans le bureau d’Audrey Garino, adjointe (PCF) en charge des Affaires sociales à la ville de Marseille. « Ces femmes sont très dignes, et leurs revendications légitimes. Cette situation a beaucoup trop duré, il faut une sortie de crise ! » Si l’élue reconnaît que la municipalité ne peut pas faire grand-chose dans ce conflit, elle assure avoir contacté la société Acqua, sans toutefois obtenir une réponse concrète de leur part.

Discussions au point mort

Les négociations n’avancent guère, mais l’employeur se défausse de toute responsabilité dans ce blocage « Nous maintenons le dialogue et l’échange avec toutes les parties prenantes. Depuis les derniers échanges, nous considérons que les salariés grévistes ne consentent aucune concession sérieuse, car ils maintiennent une position visant à la satisfaction de toutes leurs revendications » affirme Nazim Almi, directeur de l’entreprise Acqua.

Pourtant, la liste des revendications portées par les femmes de chambre s’est largement amoindrie au fil des semaines. Elles ont fait une croix sur la rémunération majorée de 50 % le dimanche, une prime exceptionnelle liée aux Jeux olympiques, la suppression de la clause mobilité, et ont même revu à la baisse leurs espérances quant au montant de la prime annuelle qu’elles réclament.

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Plusieurs concessions, qui mettent à mal l’argumentaire selon lequel les grévistes seraient hermétiques à la discussion, comme l’avance le sous-traitant. Quant au donneur d’ordre, il rejette toute responsabilité et s’impatiente avec un brin d’agacement. « Nous regrettons la grève en cours à Marseille et l’impact qu’elle a sur les clients de l’hôtel. […] Le Radisson Blu Hotel Marseille Vieux Port n’a aucun contrôle sur la situation », nous répond Lionel Van den Haute, directeur général de l’établissement, dans un courriel succinct. Néanmoins, c’est bien la direction de l’hôtel haut de gamme qui a envoyé deux agents de sécurité jeudi dernier au bout de 57 jours de grève, désormais présents au quotidien.

Nous ne lâcherons pas tant que l’on n’aura pas obtenu gain de cause !

Ana

« Ils ont mis deux colosses, mais ça ne change rien, regardez : une semaine plus tard nous sommes toujours là avec nos confettis et la musique. Et nous ne lâcherons pas tant que l’on n’aura pas obtenu gain de cause ! », lance Ana, rieuse. Face au risque que le conflit s’éternise pendant les Jeux olympiques, le préfet a pris les choses en main : il a demandé une médiation à l’inspection du travail entre les différentes parties prenantes ce vendredi à 10 heures Cela suffira-t-il à trouver un accord général ? Une chose est sûre, l’infatigable pugnacité des femmes de chambre du Radisson Blu, pourrait donner des idées dans la profession, et fait craindre le pire au groupe hôtelier.

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