À Paris, devant la mairie du 18e, la santé dégradée des familles en attente d’un hébergement
Depuis plusieurs jours, près de 300 personnes, en majorité des femmes et des enfants, campent devant la mairie du 18e arrondissement de la capitale pour demander un hébergement. Malgré un soutien associatif, la situation sur place est inquiétante.
Mise à jour le 31 juillet 2024
Une solution a été trouvée pour les familles qui manifestaient depuis plusieurs jours devant la mairie du 18e à Paris, comme l’indique Utopia 56 sur X (ex-Twitter) : « VICTOIRE pour les familles qui manifestaient à Paris ! « Au final, 515 mamans, papas, enfants, ou jeunes filles isolées ont été mis à l’abri hier soir. L’accueil est possible. Les places d’hébergement existent. Ce sont juste des choix politiques à faire. »
Première publication le 25 juillet
À 9 h 30, derrière le manège à l’arrêt de la place Jules Joffrin, à Paris, plusieurs femmes dorment sur le sol. Elles se sont éloignées du bruit pour se reposer. À quelques dizaines de mètres, devant la mairie du 18e arrondissement, les slogans déjà scandés la veille sont repris. « On veut un logement ! Nos enfants sont fatigués ! », scandent plusieurs femmes en frappant sur des poubelles. Une femme tient un panneau « On veut un hébergement » [sic], qu’elle posera ensuite sur le lampadaire.
Il faut que quelqu’un nous aide, surtout avec les bébés.
Depuis trois jours, ces familles, soutenues par plusieurs associations, entendent rester unies pour interpeller la préfecture et avoir accès à des places d’hébergement. La mairie du 18e fait l’intermédiaire avec la préfecture pour trouver des solutions. La veille, 40 places leur ont été proposées. Un nombre insuffisant alors que presque 300 personnes sont dehors dont une majorité de femmes et d’enfants. La plupart vivent à la rue depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avec des conséquences de plus en plus graves sur leur santé. Sur un carton adossé au trottoir, le message suivant : « Leurs santés sont menacées, cherchez-nous des logements ! »
Des enfants malades
Daouda* est l’une d’entre elles. Fatiguée, elle s’est assise, mais continue avec un bâton de frapper en rythme sur une poubelle. « Mon corps me gratte à cause des moustiques », confie-t-elle. Il n’y a pas de tentes, seulement des plaids chauds et colorés et des couvertures de survie qui se superposent à même le sol. Elle souhaiterait prendre une douche, « parce que je sens mauvais. » Ivoirienne, elle est arrivée en France il y a quatre mois. « Moi, je suis toute seule, mes enfants sont au pays. Mais ici, il y a de tout petits enfants. » Selon le décompte réalisé la veille par l’association Utopia 56 présente sur place, il y aurait une centaine d’enfants. Le plus jeune a trois semaines.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Un mois. Deux mois. Trois mois et six jours. C’est l’âge respectif des bébés d’Aicha, Karidiata et Maryame. Sur son téléphone, l’une d’elles montre une photo de cicatrice au niveau de son ventre. Quand elle a accouché par césarienne, elle est restée trois jours à l’hôpital, puis trois jours à l’hôtel. Depuis, c’est la rue. Comme les autres femmes autour d’elle, elle n’a jamais revu de médecins depuis son accouchement. Avec sa cicatrice et les douleurs, « c’est pas possible de porter les affaires et le bébé », dit-elle en pointant ses quelques sacs, disposés sur un plaid.
Sur son téléphone, une autre femme qui s’est jointe au groupe et qui tient dans ses bras un bébé de onze mois, montre les adresses indiquées par le 115 ces derniers mois. « Ils nous disent qu’il y a des places et ensuite on nous met dehors. Je souffre dans mon corps », reprend la femme en sortant de son sac des ordonnances et la prescription d’une prise de sang qu’elle n’a pas pu réaliser. « Il faut que quelqu’un nous aide, surtout avec les bébés. » Les autres acquiescent : « On est fatiguées, fatiguées, fatiguées », admettent-elles. La veille, les nourrissons ont vomi.
« Tous les enfants ici ont de la fièvre », assure Tristan, un bénévole de l’association Utopia 56, présent sur le campement depuis trois jours. « Quand les personnes restent à la rue au même endroit, trois jours et nuit de suite, il y a des ruptures de soins et ça peut déclencher des maladies latentes. Ça peut être très grave. Une des femmes qui est ici a trois cancers. »
« Des fois, on se réveille et la première chose qu’on se dit, c’est ‘à quoi bon ?’ »
Ces situations induites par la précarité extrême se sont multipliées avec les JOP de Paris. « Avant les JO, c’était déjà lamentable. Tous les dispositifs d’urgence étaient déjà saturés. Avec les JO, c’est d’autant plus violent. Les évacuations violentes et le harcèlement de la police se sont intensifiés pour pousser les gens à désespérer. Et en Île-de-France, ils ont supprimé 3 000 places d’hébergement d’urgence. », reprend Tristan. Un « nettoyage social », dénoncé par Le collectif « Le revers de la médaille », visant à « harceler, expulser et invisibiliser les populations catégorisées par les pouvoirs publics comme indésirables ».
« Aéroports, gares, on a essayé de s’abriter. J’appelle le 115, toutes les heures parfois, mais ils finissent par nous raccrocher au nez », témoigne Amina. « Des fois, on se réveille et la première chose qu’on se dit, c’est ‘à quoi bon ?’ » Amina est assise sur un carton sur lequel dessinent quatre enfants en bas âge. Il y a sa fille, son fils et des enfants qui la connaissent depuis quelques jours. Ils l’appellent « Tata ». Elle les garde tandis que leur mère est à la préfecture. « On n’a pas les mêmes histoires, mais on est dans le même bateau » dit-elle.
S’il pleut, on se couvre de sacs-poubelles pour se mettre sur la tête.
Amina
Contrairement à la plupart des personnes ici, Amina et ses enfants sont français. « Si je trouve un abri, juste une douche et de la sécurité, ce sera plus simple pour trouver un travail », explique-t-elle. « Je n’ai pas les problèmes de papiers en plus. » Après un mois à la rue, ses enfants aussi sont tombés malades : « La grippe et les petits boutons. » Et depuis deux jours, son fils « ne fait que vomir. À cause du soleil. » Mais aujourd’hui, ça va, « le soleil ne tape pas trop sur les enfants ». Quant à la nuit, « on espère qu’il ne pleut pas. S’il pleut, on se couvre de sacs-poubelles pour se mettre sur la tête. »
Une femme fait le tour et distribue des sacs plastiques pour les couches. L’enfant de 2 ans saisit le sac et s’essuie la figure avec, à la manière des lingettes utilisées faute de douche. Amina dit à sa fille « c’est pour les couches, ça, c’est pas pour le visage ». Elle explique : « Elle avait arrêté, mais là, on n’a pas vraiment d’endroit pour aller aux toilettes, alors on lui a remis des couches. C’est comme si elle avait redoublé. » Cette « pile électrique » aux mains pleines de feutres ne comprend pas trop ce qui se passe. Dans un sens, « c’est plus simple », soupire Amina.
Ils préfèrent dépenser de l’argent pour se débarrasser des rats que pour héberger des enfants.
Amina
Son fils aîné, 4 ans et demi, se souvient encore de la maison des Hauts-de-France dans laquelle il vivait il y a un mois, avec « un coin pour ses jeux et pour les voitures ». Mais la maison, prêtée par des connaissances « en dépannage », a été vendue et Amina et sa famille se sont retrouvés à la rue. Depuis, son fils lui « en veut », dit-elle. « Il croit que je ne veux pas le ramener à la maison. Nous les adultes, on n’a pas les réponses qu’il faut pour les enfants », soupire-t-elle. Quant à l’État et aux JOP, elle lâche : « Ils préfèrent dépenser de l’argent pour se débarrasser des rats que pour héberger des enfants. »