Geraldine, femme trans et travailleuse du sexe « a été tuée, et demain, ça pourrait être moi »

Au rassemblement organisé le 16 juillet à Paris, les personnes trans proches de Géraldine, 30 ans, tuée dans la nuit du 8 au 9 juillet, ont témoigné des violences et des propos transphobes qu’elles subissent au quotidien.

Hugo Boursier  • 17 juillet 2024 abonné·es
Geraldine, femme trans et travailleuse du sexe « a été tuée, et demain, ça pourrait être moi »
Rassemblement à Paris, le 16 juillet, en mémoire de Geraldine.
© Hugo Boursier

Une poignée de mots, pas plus, avant de s’asseoir et fondre en larmes. Devant la foule réunie mardi 16 juillet à Paris pour honorer la mémoire de sa fille, Geraldine, travailleuse du sexe trans âgée de 30 ans et assassinée dans la nuit du 8 au 9 juillet, Anna peine à tenir debout. « Je suis arrivée de Lima, au Pérou, à 14 h 30. Deux heures plus tard, j’étais à la morgue, pour voir le corps de mon bébé. J’ai voulu la protéger toute ma vie, et d’abord de son père, dont j’étais aussi victime. Je lui disais que plus jamais nous ne serons séparées. Geraldine, tu pars de ce monde comme une martyre des personnes trans », murmure-t-elle, face au parvis des Droits de l’homme, dans le 16e arrondissement de Paris.

Le lieu est doublement symbolique. Il a été choisi à la fois pour souligner les violences, l’insécurité et les inégalités auxquelles sont confrontées les personnes trans au cours de leur vie. Mais aussi parce que Geraldine a été tuée chez elle, dans cet arrondissement de la capitale. Geraldine est la deuxième femme trans à être tuée en dix jours, après Angelina, abattue par son compagnon à la hache dans l’appartement conjugal, le 5 juillet 2024.

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« Ça peut arriver à n’importe quelle femme trans. Qu’on soit opérée ou pas, travailleuse du sexe ou pas. J’aurais pu être tuée, moi aussi. Heureusement, ce n’était que de la violence verbale », explique Claudia. Elle est membre de l’association Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres (Pastt). C’est l’une des organisations qui ont pu rendre cet événement possible, avec le Syndicat du travail sexuel (Strass) et Acceptess-T.

La transphobie forme un racisme structurel qui n’est là que pour nous éradiquer.

A. Neko

Comme d’autres participantes ce soir-là, le sujet des « justifications » du tueur présumé, lorsqu’il s’est présenté à la police le lendemain, ne passe pas. Devant les brigadiers, ce dernier, âgé de 22 ans, aurait expliqué « avoir été ‘trompé’ en découvrant la transidentité de Geraldine », note le communiqué des trois organisations. Claudia ne croit pas un mot de cette explication, qu’elle considère par ailleurs transphobe. « Pour ces hommes, nous ne sommes pas des femmes mais des objets sexuels. On catalyse la misogynie. Dès qu’ils savent qu’on est une femme trans, ils changent de comportement », confie-t-elle.

(Photo : Hugo Boursier.)

Plus tard au micro, Aum Neko, présidente d’Acceptess T, reçoit l’applaudissement de toutes les concernées lorsqu’elle affirme que « les annonces des femmes trans sont toujours explicites. C’est un acte de transphobie, et il n’y a aucune excuse. Ceci n’est pas un fait divers. C’est un fait politique. La transphobie forme un racisme structurel qui n’est là que pour nous éradiquer. Le problème, ce n’est pas les immigrés ou les trans, le problème, c’est le patronat et le capitalisme », harangue-t-elle.

Les deux directrices du Strass qui la précèdent pointent, elles, le traitement médiatique réservé à la mort de Geraldine, BFM TV ayant titré son bandeau ainsi : « L’escort-girl tuée car elle était un homme ». S’adressant à Geraldine, l’une des directrices confie : « Aujourd’hui nous te demandons pardon Geraldine, pour ces journalistes qui n’ont pas respecté ton identité de genre jusque dans ta mort. »

Précarité

Geraldine était connue de la communauté des travailleuses du sexe, notamment péruvienne. Wendy Sosa était l’une de ses amies. Elles s’étaient rencontrées au Pérou. « Notre pays est extrêmement discriminant envers les personnes trans. C’est pour cette raison que l’on vient en France, pour travailler et aider notre famille. Mais une grande majorité d’entre nous restons très précaires », décrit-elle. Une précarité financière qui s’ajoute à l’instabilité administrative. Migrantes et parfois isolées, nombre de travailleuses du sexe venues célébrer la mémoire de Geraldine, ont des difficultés à être protégées. Une paupérisation qu’elles renvoient notamment à la loi de 2016 instaurant la pénalisation des clients des travailleurs et travailleuses du sexe.

(Photo : Hugo Boursier.)

Ce texte a « beaucoup précarisé leur travail », regrette Inès Messaoudi, directrice du Pastt. Pour maintenir leur activité, les personnes travailleuses du sexe sont contraintes de prendre toujours plus de risques, du lieu de travail aux pratiques sexuelles demandées. Hasna, qui travaille dans le bois de Boulogne, ne mâche pas ses mots lorsqu’elle prend le micro : « Je vis dans la merde. Je vis dans la maladie. Le client est devenu roi. Il nous oblige à ne pas mettre de capote. Et il nous tue. Il faut que cela s’arrête. » Elle s’adresse notamment aux députés présents, comme Clémence Guetté ou Antoine Léaument, de la France insoumise.

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Pour lutter contre cette loi, plus de 260 travailleuses du sexe, parmi lesquelles une majorité de personnes migrantes et de personnes trans, avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Sans juger sur le fond, la Cour avait reconnu, en août 2023, la demande recevable et avait reconnu que « la clandestinité et l’isolement qu’induit cette incrimination augmentent les risques auxquels elles sont exposées ».

Montée des violences

Ce climat dangereux est entretenu par une montée des violences et des propos transphobes ces derniers mois. En plus de la mort de Geraldine et d’Angelina, une travailleuse du sexe a été fauchée par un automobiliste après qu’elle ait refusé de monter dans sa voiture, en mai. En mars, un homme accusé de nombreux viols a été placé en détention provisoire. « Nous sommes extrêmement en colère. Nous avons du mal à, encore une fois, remettre un t-shirt avec le nom d’une nouvelle victime, cette fois-ci, Geraldine, pour un nouveau transféminicide », regrette Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T.

Arrivée sur la camionnette où ont été placées les enceintes, Johanna, dont l’activité réside aussi au bois de Boulogne, décrit d’autres violences encore : « Je représente un groupe de sept femmes trans. Nous avons été agressées par un homme présenté comme un client. Il a essayé de nous abuser sexuellement l’une après l’autre. À la fin, l’homme est revenu avec un couteau et il a essayé de nous poignarder. Ensemble nous avons réussi à faire face. Il nous a menacées en disant qu’il allait revenir. Depuis, nous nous sentons mal. Nous avons peur pour nos vies. »

SOS Homophobie pointe une augmentation de 120 % des signalements d’attaques transphobes en 2023.

Des actes graves qui s’accompagnent de discours transphobes tenus dernièrement par Emmanuel Macron, qui a qualifié lui-même « les changements de sexe en mairie » de « choses complètement ubuesques » en voulant attaquer le programme du Nouveau front populaire. Ces propos ne viennent que parachever un contexte particulièrement dur pour les personnes trans. Avec d’un côté, le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern, Transmania, qui a connu une large visibilité dans les médias, et de l’autre, l’adoption au Sénat d’une proposition de loi interdisant les transitions de genre chez les mineurs.

« C’est simple, si cette loi est définitivement adoptée, ma fille se serait suicidée il y a cinq ans, quand elle a fait son coming out », lance une des intervenantes. Dans son rapport annuel, SOS Homophobie pointe une augmentation de 120 % des signalements d’attaques transphobes en 2023.

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Hasna peut en témoigner. Une grande cicatrice rosâtre traverse son avant-bras : c’est la signature de la « brigade anti-travesti » qui sévissait jusqu’à fin 2019 dans le nord de Paris, où vit la communauté des personnes trans originaires du Maghreb. « Cette brigade avait pour mission de frapper toutes les personnes trans qu’elle voyait », indique-t-elle. « La France m’a donné des papiers mais je n’ai aucune libertés ici », regrette celle dont la plainte n’a pas été reçue au commissariat du 17e arrondissement.

Les plaintes des personnes trans ne sont jamais prises au sérieux.

I. Messoudi

« C’est un phénomène que l’on observe souvent : les plaintes des personnes trans ne sont jamais prises au sérieux », note Inès Messaoudi, du Pastt. Les organisatrices de l’événement ont réussi à joindre la nièce de Geraldine, qui vit encore au Pérou. Elle remercie, en espagnol, les personnes présentes à Paris. Plus tard, avant que tour à tour des personnes déposent leur rose blanche à terre, la mère s’effondre à nouveau devant le portrait de sa fille. Les mots qu’elle parvient à glisser sont couverts par le slogan porté par la foule : « Justice ! ».

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