La lente agonie du nord de la bande de Gaza
Après neuf mois de guerre, les habitants de ce mince territoire survivent quasiment sans aide humanitaire, sans hôpital, terrorisés par les attaques terrestres et aériennes de l’armée israélienne. Dans ce réduit de quelques kilomètres carrés, 300 000 personnes sont toujours piégées, selon l’ONU.
dans l’hebdo N° 1819 Acheter ce numéro
« Nous voulons seulement que cette guerre s’arrête. Juste dormir une heure sans être terrorisés. » Ce message est le dernier que nous envoie Mahmoud Khader. Un appel à l’aide juste avant que la connexion internet ne soit coupée une fois encore. Le Palestinien âgé de 31 ans vit dans les décombres de sa maison à Jabaliya, tout près de la barrière de séparation avec Israël, à l’extrême nord de la bande de Gaza. Avec sa famille, il est revenu s’installer chez lui après avoir vécu dans plusieurs camps de déplacés.
Nous sommes comme des poulets d’élevage dans une cage, on attend notre tour pour être massacrés.
M. Khader
« Pour être honnête, je ne sais plus combien de fois on a dû fuir depuis le début de la guerre. Une dizaine peut-être, assure le Gazaoui. Notre maison a été détruite par des tirs d’artillerie, mais on a réussi à déblayer une petite partie. On est vingt personnes à vivre là désormais. Nous sommes comme des poulets d’élevage dans une cage, on attend notre tour pour être massacrés. Je ne sais pas comment décrire autrement la situation. »
En avril 2024, la moitié des maisons, des immeubles et des bâtiments de l’enclave palestinienne étaient détruits, selon des images satellites analysées par des chercheurs de l’université de l’Oregon. Un chiffre qui dépasse les 75 % pour Gaza City, la grande ville située au nord de ce petit bout de terre qui était, avant la guerre, soumis à un blocus israélien depuis dix-sept ans. Une cité fantôme où les habitants, épuisés, errent à la recherche d’eau et de nourriture.
Pour Mahmoud Khader, c’est un calvaire quotidien. « Le pire, c’est pour l’eau : nous devons marcher longtemps pour obtenir de l’eau potable, explique le Palestinien joint via Facebook. Il n’y a ni légumes, ni fruits, ni viande, et ce que nous trouvons n’est pas suffisant pour les grandes familles comme la mienne. Nous nous répartissons des miettes. Il y a un peu de farine, parce qu’il y a quelques jours l’armée israélienne a autorisé l’entrée de camions, mais c’est tout. »
Je regarde autour de moi, et tout ce que je vois, ce sont des destructions.
H. Hijazi
Des dizaines d’ONG internationales alertent depuis le début de l’année sur le risque de famine notamment au nord de la bande de Gaza. Début juillet, dix experts nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont accusé clairement les autorités israéliennes de mener une « campagne de famine intentionnelle et ciblée ». Une première au sein des Nations unies. « Les décès d’un bébé de 2 mois et de Yazan Al Kafarneh, 10 ans, morts de faim respectivement le 24 février et le 4 mars, ont confirmé le fait que la famine avait frappé le nord de la bande de Gaza », assurent ces experts, qui ajoutent : « Le monde entier aurait dû intervenir pour mettre fin à la campagne de famine génocidaire d’Israël. » La mission israélienne auprès de l’ONU à Genève a immédiatement contesté ces déclarations.
« J’arrive à acheter un œuf tous les deux jours à ma petite fille, s’inquiète par message Hamed Hijazi, 30 ans, qui n’a jamais quitté Gaza City. Le reste du temps, on mange du pain trempé dans de l’huile d’olive avec un verre de thé. » Comme Mahmoud Khader, le père de famille est revenu vivre dans les ruines de sa maison. « En même temps que je vous parle, je regarde autour de moi, et tout ce que je vois, ce sont des destructions. Mais les gens sont revenus même quand leurs maisons ont été brûlées. Ils les ont nettoyées et ils y vivent à nouveau », raconte Hamed Hijazi. À ce paysage de désolation s’ajoute l’odeur. Celle des déchets qui s’accumulent depuis plus de neuf mois. Celle aussi des centaines de corps décomposés qui n’ont pu être extraits des décombres. Cette odeur qui pénètre et envahit la mémoire des survivants à jamais.
ONG entravées
Aujourd’hui, la bande de Gaza est coupée en deux. Au début de l’année, les forces israéliennes ont construit une route bétonnée qui sépare le nord du sud. Une nouvelle frontière qui ampute déjà de 16 % le territoire de l’enclave. Pour la franchir, les Palestiniens restés au nord doivent se soumettre à de longs et humiliants contrôles. « Les soldats fouillent les Palestiniens qui veulent traverser pour vérifier qu’ils ne font pas partie du Hamas. Une procédure qui prend plusieurs minutes, voire des heures », détaille Alexandre Chatillon Mounier. Le directeur général de l’ONG Super-Novae – financée par le Quai d’Orsay – est entré la semaine dernière dans la bande de Gaza. L’aide humanitaire doit aussi traverser cette nouvelle route pour arriver jusqu’à la population bloquée à Gaza City et dans les alentours.
Seulement 49 % des demandes de missions humanitaires vers Gaza City ont été validées par Israël.
« Aujourd’hui, l’accès au nord est impossible pour les ONG sans le soutien des Nations unies », explique encore Alexandre Chatillon Mounier. En juin, le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU rappelait que seulement 49 % des demandes de missions humanitaires vers Gaza City avaient été validées par Israël. « Les autres ont été entravées, interdites d’accès ou annulées pour des raisons logistiques, opérationnelles ou de sécurité », précise Médecins sans frontières.
Dans ce réduit où la population est à bout de souffle, l’armée israélienne a intensifié ces dernières semaines ses opérations militaires. Le scénario est toujours le même : les chars pilonnent un quartier puis entrent dans la zone à la recherche de combattants du Hamas. Au milieu, des civils terrorisés qui se cachent ou fuient lorsque c’est encore possible. Mais vers où ? « Les massacres ont lieu partout. Pourquoi est-ce qu’on devrait aller au sud ? On doit aller dans des camps de déplacés et mourir sous des tentes ? Ils visent aussi les tentes maintenant ! » répond Mahmoud Khader lorsqu’on lui demande pourquoi il reste avec sa famille dans le nord de l’enclave.
Partout où nous allons, nous ne trouvons que la mort.
« Maintenant, c’est comme un gigantesque piège », confie Lina, une femme de 31 ans qui survit à Gaza City. Récemment, après le retrait des soldats israéliens de certains quartiers de la ville, des dizaines de corps de Palestiniens ont été retrouvés sous les décombres des immeubles. Lina a définitivement perdu tout espoir : « Partout où nous allons, nous ne trouvons que la mort, les bombardements, des corps démembrés et la souffrance de ceux qui restent. » Dans le nord de la bande de Gaza, beaucoup de Palestiniennes et de Palestiniens nous le répètent : les mots ne suffisent plus à décrire ce qu’ils vivent.