« Est-ce qu’on va nous poursuivre comme des bêtes ? »

À trois jours du deuxième tour des élections législatives, Politis s’est rendu dans une permanence juridique en droit des étrangers. Dans la salle d’attente, beaucoup témoignent de l’angoisse liée à l’extrême droite. Une angoisse qui s’ajoute au stress de la précarité et des problèmes administratifs.

Pauline Mussche  • 5 juillet 2024
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« Est-ce qu’on va nous poursuivre comme des bêtes ? »
Manifestation contre le RN, à Paris, le 23 juin 2024.
© Guillaume Deleurence

« Si Marine Le Pen et Jordan Bardella qui s’en prennent aux étrangers arrivent au pouvoir, ça va être compliqué ». Une petite dizaine de personnes écoute Fernanda Marrucchelli, coordinatrice nationale de la Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tous.tes les immigré.es). Jeudi 4 juillet, en préambule de la permanence juridique, elle fait un point sur l’actualité. Elle conseille « de ne pas rester tous seuls devant la télé et de se rassembler ». Quelques minutes plus tard, la permanence a commencé. Elle durera trois heures. Au bout de la salle, plusieurs personnes attendent leur tour sur trois rangées de chaises en plastique.

Assis sur l’une d’elle, Hamara* se touche les mains nerveusement. « On a peur, un peu », amorce-t-il timidement au sujet du Rassemblement national. Avant d’ajouter : « s’ils arrivent au pouvoir, ils vont cogner tout le monde ». Ce qu’il souhaite avant tout c’est un rendez-vous rapidement à la préfecture pour un titre de séjour. Sans papiers, cet homme mauritanien de 34 ans a dû arrêter son travail en cuisine. Il a une attestation certifiant qu’il a des démarches en cours pour être en règle, mais « ça suffit pas pour travailler. Et si je me fais arrêter, c’est très risqué. »

*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Sur la rangée derrière, un homme en chemise attend son tour. En France depuis plus de 10 ans, Dembele* explique que depuis trois semaines, la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite, « c’est l’unique sujet ». Il développe : « Les discours, ils étaient là, mais ils étaient loin. Maintenant, ils sont à la porte du pouvoir. Il y a une équation inconnue et on a peur. » Même s’il est en France depuis 10 ans, qu’il travaille (dans le domaine de la logistique), que ses enfants « ont grandi ici », il craint que son titre de séjour ne soit pas renouvelé. « Tout le monde est mal. Nous qui avons des papiers précaires, ceux qui n’ont pas les papiers. Et même ceux qui ont eu la nationalité, mais qui ne sont pas d’origine française. »

Sur le même sujet : « Je ne connais rien du Mali où on veut m’expulser. Ma vie est ici. »

Il est arrivé en France en 2014 avec un titre de séjour comme étranger malade. « Je suis en vie grâce à l’AME », affirme-t-il. Un dispositif permettant aux personnes sans papiers d’accéder aux soins et que le Rassemblement national entend supprimer sauf pour les « urgences vitales ». « Qu’il faille travailler pour avoir les papiers, je comprends, mais ce que je redoute, c’est les menaces sur la santé, » confie-t-il. Et puis : « Est-ce qu’on va nous poursuivre comme des bêtes ? » À côté de lui, sa fille de 18 ans dont le titre de séjour est périmé. « J’ai choisi la France parce que c’était respectueux des libertés. Mais ça a changé », conclut Dembele.

Sur le mur de la permanence, des affiches de la Fasti. (Photo : Pauline Migevant.)

« Ils vont chasser les immigrés qui ne travaillent pas pendant six mois »

« Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils vont chasser les immigrés qui ne travaillent pas au bout de six mois », confie Aïssata*, qui explique par ailleurs ne pas être « très intéressée par la politique ». Cette Malienne de 37 ans, arrivée en France il y a 7 ans, s’interroge : « Est-ce qu’ils savent que pour renouveler un titre de séjour pour travailler, il faut attendre souvent plus de 6 mois ? » « Pourtant, ajoute-t-elle, quand tu pars au travail le matin, tu vois bien que c’est les immigrés qui font tout le travail difficile. Moi, pour manger, je suis obligée de faire le ménage. » À force, Aïssata a mal aux genoux, et a besoin de soin. Son espoir avec le titre de séjour, « c’est d’avoir la carte Vitale ». Son AME est périmée, elle attend des nouvelles de l’Assurance maladie. « L’autre jour, j’ai dû payer, mais j’ai pas d’argent. Je me débrouille pour essayer de manger, mais c’est dur. »

Sur le même sujet : Quand les délais d’une préfecture mènent à la mort d’un nourrisson

« Si on allait bien, on n’aurait pas à être ici, » estime Aminata*, Sénégalaise qui « aide les personnes âgées ». Elle ne parvient pas à avoir de rendez-vous à la préfecture et a peur de perdre ses droits. Des larmes s’échappent. « On ne sait pas comment vivre dans ce pays », résume Fatima*, congolaise arrivée en France il y a 10 ans. Son visage à elle aussi est marqué par l’inquiétude. Il y a une semaine, sa carte de séjour a périmé. Sans nouvelle de la préfecture pour le renouvellement, son contrat de « cantinière » pour les écoles à la mairie de Paris a pris fin. « Je travaille pour l’État et je paie tout, je paie les impôts, l’État prend ce qu’il veut. Mais j’ai perdu mon travail parce que je n’ai pas eu les papiers à temps. » Mère de deux enfants de 12 ou 16 ans, elle se retrouve sans ressources. « C’est très dur. Et Marine Le Pen en plus de tout ça. C’est triste ! »

Nous aussi, on est des humains.

Fatima

Accoudé sur un meuble, Ibra* souligne : « Marine Le Pen, elle s’est engagée contre les immigrés, mais avant qu’elle arrive, c’était dur déjà. On est fatigués. Même pour manger, c’est la galère. » Arrivé du Sénégal à l’été 2015, l’homme de 42 ans, commis en cuisine, n’a plus de titre de séjour depuis un an. Dans sa mallette, de nombreuses fiches de paie « qui ne suffisent pas » pour obtenir un titre. Celui qui n’a pas vu sa famille depuis 5 ans « à cause des papiers », estime que « ça ne marchera pas de refouler les immigrés, ils ne vont pas pouvoir gérer tout ça comme ils veulent. J’espère. »

Après son entretien avec la bénévole de la Fasti, avant de sortir du local, Fatima reprend :  « On souffre dans ce pays, on souffre. Et Marine Le Pen, c’est dur. » Elle ajoute : « Nous aussi, on est des humains. »

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