Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : l’enquête met en cause le sous-traitant

Le deuxième anniversaire de la mort de Moussa Sylla, travailleur pour Europ Net, décédé dans un sous-sol de l’Assemblée nationale, a été réduit au silence par la dissolution. Politis dévoile en exclusivité les premiers éléments d’une enquête qui s’éternise.

Pierre Jequier-Zalc  • 23 juillet 2024 abonnés
Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : l’enquête met en cause le sous-traitant
L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2023.
© Michel Soudais

Quand les histoires des invisibles rencontrent la grande histoire, elles disparaissent. Ou presque. La dissolution de l’Assemblée nationale a relégué dans l’oubli le second anniversaire de la mort de Moussa Sylla, travailleur du nettoyage pour la société sous-traitante Europ Net, décédé le 12 juillet 2022, trois jours après un accident de travail au cinquième sous-sol du Palais Bourbon.

Pourtant les réponses tardent à arriver. Cela fait plus de deux ans que ce travailleur mauritanien de 51 ans a perdu, de manière inexpliquée, le contrôle de l’autolaveuse autoportée qu’il conduisait, allant percuter un trottoir à vive allure. Début 2023, plusieurs interrogations étaient soulevées dans nos colonnes. En premier lieu, celles de la formation et de la qualification.

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En effet, sur ses dernières fiches de paie pour Europ Net, Moussa Sylla, possède le statut d’« agent de service AS 1 A ». Selon la convention collective du secteur du nettoyage, ce niveau de qualification – le plus bas – permet « d’effectuer des travaux d’entretien courant consistant en un enchaînement de tâches simples et répétitives, d’exécution facile, reproductibles après simple démonstration ». Au niveau du matériel électrique, la convention précise que celui-ci doit être « d’utilisation simple ». L’autolaveuse autoportée rentre-t-elle dans ce champ ? « Ses collègues ont beaucoup d’interrogations sur l’existence d’une formation pour conduire cette machine, abondait Danielle Cheuton, du collectif parisien du nettoyage CGT, parce que cette machine n’est pas une petite machine. La preuve, c’est qu’il en est mort. »

Doutes confirmés

Selon de nouvelles informations que Politis révèle aujourd’hui, ces doutes sont confirmés par l’enquête de l’inspection du travail. En effet, celle-ci, dans le procès-verbal qu’elle a envoyé au Parquet de Paris, a relevé trois infractions potentielles contre Europ Net. Parmi elles, figure notamment l’absence de « formation ou d’information » du travailleur. Les deux autres concernent la machine mise à disposition de Moussa Sylla. Selon nos informations, l’inspection du travail juge que celle-ci ne permettait pas de préserver la sécurité du salarié et qu’il n’y a pas eu de vérification de la conformité de la machine. Une expertise complémentaire de l’autolaveuse – et notamment du système de freinage – a également été sollicitée. Aux dernières nouvelles, celle-ci serait toujours en cours.

Moussa Sylla a effectué les choses dans les règles, de manière ‘très calme’.

Surtout, ces conclusions viennent mettre à mal la version d’Europ Net qui, dans un simulacre d’enquête interne que nous vous révélions il y a un an et demi, concluait ceci : « Il en ressort […] que Monsieur Sylla Moussa savait utiliser la machine. Il en prenait soin. » Cette enquête interne opérait aussi une forme de culpabilité du salarié : « Un de ses collègues a attiré notre attention sur le fait qu’il connaissait depuis plusieurs années M. Sylla Moussa. Il ajoute que ce matin-là, Moussa Sylla a décidé de boire un café alors qu’il n’en buvait jamais. Il tenait à nous le dire (sic). » Une affirmation balayée par l’inspection du travail qui assure que le travailleur a effectué les choses dans les règles, de manière « très calme ». Contacté, Europ Net n’a pas souhaité réagir à ces nouveaux éléments.

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Du côté de la famille et de ses soutiens, on espère désormais que le parquet de Paris prendra rapidement la décision de poursuivre Europ Net, ce qui n’est, à ce jour, pas le cas. « On espère avoir des nouvelles avant la fin de l’année », confie Danielle Cheuton. Mais outre la question judiciaire, celle d’une meilleure reconnaissance de ce décès par l’Assemblée nationale, anime aussi Ladji, frère de Moussa. « C’est au sein même de l’Assemblée nationale que mon frère est mort. Ils devraient suivre l’avancement du dossier. Pourquoi il y a ce silence-là ? », nous confiait-il, il y a plus d’un an, dans un café proche du foyer de travailleurs dans lequel il vit.

Des mots qui résonnent encore plus avec l’absence total d’hommage cette année. Pourtant, il y a deux ans, c’est l’ensemble des députés qui, visiblement émus, avaient respecté une minute de silence en séance. Mais voilà, la politique a vite repris ces droits. L’année suivante, il n’y avait plus qu’une poignée de députés de gauche au rassemblement en hommage, organisé par la famille du défunt et le collectif nettoyage de la CGT. Aucune trace, en revanche, d’un quelconque parlementaire de feu la majorité présidentielle.

Moussa Sylla hommage
Danielle Cheuton (CGT) et Ladji Sylla, le frère de Moussa, lors du rassemblement d’hommage qui s’est tenu l’an dernier, le 12 juillet 2023, à proximité de l’Assemblée nationale. (Photo : Pierre Jequir-Zalc.)

Aucun hommage

Cette année, rien. Pas un rassemblement, pas même un mot. Aucun hommage n’a été rendu par les parlementaires nouvellement élus ou réélus. Ce dossier, l’Assemblée nationale n’a pas trop envie de le remuer. En effet, comme révélé dans nos colonnes il y a plus d’un an, celle-ci a changé, en catimini, le plan de prévention – ce document obligatoire qui régit et explique les règles de sécurité – passé entre elle et Europ Net peu après l’accident. « Ça a été une bataille de malade pour obtenir ce plan de prévention », notait alors Manon Amirshahi, cosecrétaire générale de la CGT des collaborateurs parlementaires.

Il est évident que nous devons et que nous allons lui rendre hommage.

C. Guetté

Auprès de nos confrères du Monde, la fraîchement réélue présidente de l’hémicycle, Yaël Braun-Pivet, déclarait en avril que ces changements concernent notamment l’usage du casque sur l’autolaveuse autoportée – la machine qui a provoqué la mort de Moussa Sylla, et de « nouvelles consignes de sécurité pour éviter le travail isolé ». Sollicitée à plusieurs reprises depuis deux ans, l’ancienne questure de l’Assemblée nationale, en charge de ces questions, n’a jamais voulu fournir ce plan de prévention à Politis ni donné d’explications sur les raisons de ces absences initiales.

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Surtout, à l’époque, le Palais Bourbon avait, malgré les demandes de la CGT, catégoriquement refusé d’ouvrir une enquête interne, rejetant l’intégralité de la responsabilité sur le sous-traitant. Preuve, s’il en fallait, que les postes à responsabilité au sein de l’Assemblée sont loin d’être seulement honorifiques. Contactée par Politis, la famille – par la voix du fils de Moussa Sylla, venu en France pour essayer de trouver des réponses à la mort de son père – a témoigné son souhait de voir l’Assemblée nationale apposer une plaque commémorative en hommage.

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Une initiative que le groupe La France insoumise, via la voix de Mathilde Panot – sa présidente – et de Clémence Guetté – première vice-présidente de l’Assemblée – ont d’ores et déjà annoncé soutenir. « Il est évident que nous devons et que nous allons lui rendre hommage selon les dispositions souhaitées par ses proches, conclut, auprès de Politis, Clémence Guetté, ce drame, comme tous les autres, ne doit jamais être oublié et le Nouveau Front populaire portera ce combat dans le nouveau bureau de l’Assemblée nationale. »

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