Macron fait front antirépublicain
Le chef de l’État s’entête à ne pas reconnaître sa défaite aux élections législatives. Il n’a que faire de l’électorat de gauche qui l’a porté au pouvoir à deux reprises en faisant barrage au RN. Une erreur politique et un coup de force dangereux.
dans l’hebdo N° 1825 Acheter ce numéro
A minima, les commentaires qui entourent l’entêtement d’Emmanuel Macron à ne pas vouloir reconnaître sa défaite sont… polis. Il bénéficie même d’une indulgence sidérante. À gauche, le député Benjamin Lucas (Génération·s) compare le coup de force du président à la prise du Capitole aux États-Unis, « sans la violence », ajoute-t-il. Même comparaison du côté du communiste Fabien Roussel, qui assure que le locataire de l’Élysée s’inspire de Donald Trump en ne reconnaissant pas sa défaite. Le secrétaire national du PCF parle de « coup d’État ».
Macron avait la possibilité de demander à ses troupes de s’engager à ne pas voter de motion de censure contre un gouvernement du NFP.
Peut-on leur donner tort ? Comment appelle-t-on un régime dont les gouvernants perdent trois élections successives et ne rendent pas le pouvoir ? Pas plus une République qu’une démocratie. Emmanuel Macron justifie sa volonté de ne pas nommer Lucie Castets, la candidate du Nouveau Front populaire pour Matignon, pour préserver la stabilité institutionnelle. Il y va même de son communiqué de presse où il additionne les voix de son camp à ceux du Rassemblement national – « 350 députés », assure-t-il – qui feraient nécessairement tomber tout gouvernement du NFP. L’argument, telle une bien hasardeuse prophétie, rompt ainsi gravement avec la logique du front républicain qui a permis de faire élire plusieurs dizaines de députés macronistes.
En bon garant de la stabilité des institutions, Emmanuel Macron – chef toujours incontesté des députés macronistes – avait la possibilité, en cas de nomination de Lucie Castets, de demander à ses troupes de s’engager à ne pas voter de motion de censure contre un gouvernement du NFP. Voilà bien la seule manière, cohérente aux yeux des institutions et du résultat électoral qui a placé le NFP en tête – certes avec une majorité très relative –, de garantir un peu de stabilité institutionnelle. Pour un temps au moins.
Libre par la suite aux députés de tous bords d’assumer de ne pas voter en faveur de l’augmentation des salaires et du Smic, de l’instauration d’un revenu pour les étudiants, de la mise en place d’un nouvel ISF, d’une transition énergétique ambitieuse. Et de l’abrogation de Parcoursup, des contre-réformes de l’assurance chômage, ou celle encore sur les retraites. Et c’est sans doute là que le bât blesse. Parce qu’en réalité Emmanuel Macron n’imagine pas trois secondes nommer à la tête du gouvernement une coalition qui reviendrait sur les principales mesures qui ont fondé l’identité du septennat écoulé. Question d’ego.
Les Français ont dit deux fois non aux législatives : non au RN et non à la macronie.
Ainsi Emmanuel Macron implore les partis, dits de gouvernement, à faire « preuve d’esprit de responsabilité » dans la perspective d’une coalition la plus large possible. Les Français n’ont pourtant pas voté pour ça. Ils ne le pouvaient d’ailleurs pas puisque la seule coalition qui s’est présentée clairement aux élections législatives était celle du NFP. Et les quelques socialistes dissidents ont tort de vouloir faire croire qu’une entente cordiale est possible avec Macron.
Pire, c’est une erreur politique. Car les Français ont dit deux fois non aux législatives : non au RN et non à la macronie. Toute autre coalition que celle du NFP au pouvoir serait un artifice, voire une usurpation électorale. Ironie du sort, le président de la République invite les députés à ne « pas oublier les circonstances exceptionnelles » de leur élection. Ajoutant : « Ce vote les oblige. » Des mots qui résonnent avec son engagement dès le premier soir de son élection en 2017 : « Votre vote m’oblige », avait-il dit. Depuis, il n’a eu que faire de l’électorat de gauche qui l’a porté au pouvoir à deux reprises en faisant barrage au RN.
En près de deux mois, après avoir soutenu le front républicain, le voilà principal artisan du front antirépublicain, avec le Rassemblement national. Faisant dangereusement cohabiter la Ve République et l’illibéralisme. Pas sûr que la première y survive.
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