« AESH, une vocation rendue moralement intenable ! »
Constatant au fil du temps une forte dégradation des conditions de travail des accompagnant·es des élèves en situation de handicap, Dominique a quitté le métier.
dans l’hebdo N° 1825 Acheter ce numéro
Constatant au fil du temps une forte dégradation des conditions de travail des accompagnant·es des élèves en situation de handicap (AESH), Dominique* a quitté le métier. Les moyens attribués aux accompagnements le sont en fonction des disponibilités budgétaires, non des besoins réels, avec des conséquences délétères pour les élèves concernés.
Le prénom a été modifié.
Pendant dix-sept ans, j’ai exercé le métier d’AESH. Nul ne s’engage dans cette voie par ambition, par nécessité économique ou pour une histoire personnelle. On s’y engage par conviction. J’ai longtemps trouvé un réel épanouissement dans l’exercice de mon métier, une satisfaction de quête de sens et un sentiment d’utilité sociale. Mais, aujourd’hui, le métier d’AESH est de plus en plus vidé de sa substance humaine, amoindrissant l’efficience de l’accompagnement. J’ai donc pris la triste décision de jeter l’éponge.
Les restrictions d’heures d’accompagnement sont devenues la norme.
Le métier évolue dans le mauvais sens. Les restrictions d’heures d’accompagnement sont devenues la norme, tant et si bien que mes jeunes collègues ne semblent même plus s’offusquer de passer 12 à 6 heures par élève, du jour au lendemain. Précarité, paupérisation des AESH et vulgaires primes conjoncturelles sont autant d’éléments qui contribuent à leur faire accepter ces changements.
Je souffre d’une trop bonne mémoire. J’ai connu des principales et des principaux de collège, des proviseur·es de lycée et des enseignant·es dont la boussole était l’intérêt de l’élève, son bien-être, sa réussite au présent et son intégration sociale future. Un sens du service public au service des élèves. L’une de mes vieilles obsessions professionnelles est le principe de compensation. Cette prérogative désormais obsolète qui consistait à accompagner, épauler, réparer, éclairer, élever, restaurer la dignité de sujet, travailler pour et avec lui. L’accompagnement ne peut se résumer hypocritement à orienter les réponses de l’élève lors des évaluations, comme je l’ai constaté.
Dans la réalité, combien d’enfants sont-ils oubliés, abandonnés ? Combien d’accompagnements incertains ou jamais honorés ? Combien d’adaptations inexistantes ou structurellement irréalisables, alors que la parole institutionnelle et gouvernementale ne cesse de se féliciter des progrès réalisés ? On peut imputer ce délitement qualitatif à la réduction drastique des notifications individuelles.
La déshumanisation du métier est flagrante.
Ces dernières, autrefois adaptées aux besoins spécifiques des élèves, ont été progressivement remplacées par des accompagnements mutualisés, le ministère visant 80 %. Sous la directive de Philippe Thurat, sous-directeur du budget de la Dgesco, ce changement arbitraire et délétère, motivé par des raisons économiques, a réduit le nombre d’heures d’accompagnement, aggravé les conditions pour les élèves et laissé de plus en plus de jeunes non scolarisés et abandonnés.
La gestion des accompagnements est désormais entre les mains de trois opérateurs : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les établissements scolaires et les autorités administratives (DSDEN), avec des lignes comptables gelées. Les moyens sont attribués selon des quotas, ignorant les profils et les besoins réels des élèves. Tout cela est bien sûr décidé dans des bureaux où les responsables n’auront jamais à subir les conséquences de leurs décisions.
La déshumanisation du métier est flagrante : la mutualisation des prises en charge, l’atomisation du temps et les changements à la hâte des emplois du temps rendent impossible tout accompagnement efficace. Le dispositif Pial – pôles inclusifs d’accompagnement localisés –, présenté comme une solution de gestion de la pénurie de moyens, n’est qu’une façade pour masquer le refus d’accorder spécialisation et professionnalisation aux AESH. Le « nouveau management public » impose mobilité et flexibilité, aggravant encore les carences structurelles.
Je ne participerai plus à cette entreprise de destruction déguisée en accompagnement.
Ce que j’ai observé au fil des années : une maltraitance institutionnalisée, des avenirs sacrifiés sur l’autel du « lean management ». Je ne peux plus le supporter. La régression vers un darwinisme social effrayant, où la loi du plus fort règne en maître, et où l’individu est sommé de se débrouiller seul, sans aide méthodologique ni reprise des cours, sous prétexte de « suraccompagnement ». C’est un système kafkaïen, une faillite morale déguisée en rationalisation économique, un mépris absolu pour les plus fragiles.
Notre système scolaire, reproduisant les inégalités, se satisfait de l’assignation à handicap comme d’une fatalité à moindre coût. Mais je refuse de cautionner cette régression sociale par mon silence. C’est pourquoi j’ai décidé de partir. Je ne participerai plus à cette entreprise de destruction déguisée en accompagnement.
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