Dans la Drôme, LFI fonce dans l’épreuve de force face à Emmanuel Macron

Réunis pour leur université d’été à Châteauneuf-sur-Isère, les insoumis ont durci le bras-de-fer avec le chef de l’État pour propulser Lucie Castets à Matignon et imposer leur mouvement comme seule alternative possible au macronisme.

Lucas Sarafian  • 26 août 2024 abonnés
Dans la Drôme, LFI fonce dans l’épreuve de force face à Emmanuel Macron
Jean-Luc Mélenchon, lors de son discours aux « Amfis 2024 », à Châteauneuf-sur-Isère, le 23 août 2024.
© Emmanuel DUNAND / AFP

Quelques jours au bord d’un lac, dans un lieu champêtre et presque idyllique, une chaleur presque étouffante, à une dizaine de kilomètres de Valence, la plus grande ville du département de la Drôme… L’université d’été de La France insoumise (LFI), baptisée les « Amfis », qui accueille plus de 3 000 militants par jour, s’installe dans la petite commune de Châteauneuf-sur-Isère, du 22 au 25 août. Tous les ingrédients sont réunis pour que la rentrée politique du mouvement mélenchoniste ressemble à de petites vacances.

Bien entendu, les insoumis, qui comptent 70 000 nouveaux membres depuis le début de l’année, prévoyaient de tirer le bilan des européennes et des législatives, d’imaginer des stratégies électorales pour contrer l’extrême droite, d’expliquer encore et encore l’impératif d’une politique économique de rupture. Tout en menant campagne pour Lucie Castets, la haute fonctionnaire spécialiste de la fraude fiscale et directrice des finances de la mairie de Paris propulsée candidate du Nouveau Front populaire (NFP) pour Matignon. Mais le plan ne s’est pas déroulé comme prévu. Un autre combat politique s’est immiscé dans l’agenda : le face-à-face avec Emmanuel Macron.

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Car les grandes consultations à l’Élysée avec toutes les forces politiques, lancées le vendredi 23 août par le président de la République en vue de nommer un futur Premier ministre, tombent en plein milieu de l’université d’été du mouvement. Dès lors, il devient impossible d’ignorer ce qui pourrait être décisif dans la vie politique du pays.

Malgré la multitude d’universitaires reconnus, comme l’historien du nazisme Johann Chapoutot, le sociologue Félicien Faury, le constitutionnaliste Benjamin Morel, et de personnalités engagées comme la porte-parole du comité Justice pour Adama, Assa Traoré, le militant des droits de l’enfant, Lyes Louffok, la figure de l’accueil des migrants, Cédric Herrou, ou l’écrivain Didier Eribon. Rien à faire : ces consultations prennent toute la place, dans les débats, les discussions entre militants et les têtes pensantes insoumises. Les pieds dans la Drôme, la tête à Paris.

Monter en intensité

Ce 23 août aux alentours de 12 h 40, le téléphone de Paul Vannier sonne. Alors que les nouveaux députés et eurodéputés du mouvement se présentent sur la petite scène, le député LFI du Val-d’Oise et « Monsieur élections » de l’appareil reçoit en direct un briefing de la réunion qui vient de s’achever au salon vert, au premier étage de l’Élysée. Au bout du fil, Manuel Bompard, le coordinateur du mouvement, qui vient de sortir des discussions avec le chef de l’État. Les nouvelles sont bonnes.

« Il y a une prise de conscience de sa part, concède-t-il en affirmant qu’Emmanuel Macron a enfin reconnu avoir perdu les élections européennes et législatives. Mais il y a encore un grave désaccord entre nous. Emmanuel Macron se pense comme celui qui est chargé de tracer le chemin permettant au pays d’être gouverné, alors que c’est à Lucie Castets de s’en charger. »

Le macronisme est un moment dans l’histoire de France où est réduit à néant le compromis social.

J-L. Mélenchon

Alors que faire ? « La suite, c’est l’épreuve de force qui doit monter en intensité. » Les insoumis avaient pourtant déjà placé la barre plutôt haut en agitant la menace d’une destitution grâce à l’article 68 de la Constitution, dans une tribune publiée le 18 août dans La Tribune dimanche. Mais le message est clair : les insoumis en ont encore sous la pédale. Il suffit d’attendre quelques heures pour le prouver. Dans une sorte de one man show de près de 120 minutes, Jean-Luc Mélenchon tape fort. Très fort. Et toutes ses attaques sont ciblées sur un seul homme : « Macron 1er ». Le locataire de l’Élysée est dépeint en « autocrate », « l’homme de la dérive autoritaire de la Ve République », celui qui « crée le chaos ».

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Devant l’amphithéâtre Louise Michel, la plus grande scène des Amfis, le triple candidat à la présidentielle emporte la salle bondée de militants survoltés. Professeur Mélenchon raconte sa dernière rencontre avec le président de Colombie, Gustavo Petro, cite Montesquieu, disserte sur les dérives du néolibéralisme, rappelle la nécessité de la paix dans le monde, construit des liens entre la crise climatique et la crise sociale.

On pourrait se sentir un peu perdu. Mais tout est lié dans l’esprit du tribun. Car au fond, ces questions ne dépendent que d’une seule aujourd’hui : le sujet démocratique. « Le macronisme est un moment dans l’histoire de France où est réduit à néant le compromis social », affirme Mélenchon qui relève, au passage, les 25 lois « liberticides » défendues par le camp présidentiel en 7 ans.

Dans la ligne de mire du fondateur du mouvement insoumis, le record atteint par l’actuel gouvernement réduit aux affaires courantes mené par Gabriel Attal : ce vendredi, cela fait 38 jours que l’exécutif est démissionnaire. Du jamais vu depuis la IVe République. L’ancien ministre de Lionel Jospin en profite aussi pour lancer une pique au Parti socialiste (PS), divisé en interne sur la méthode et l’orientation politique du NFP : « Les socialistes sont le seul problème que rencontre l’unité du NFP parce qu’une partie du Parti socialiste est ralliée à l’idée d’expulser LFI de la coalition de gauche. »

Caravanes de la destitution

Mais l’ex-sénateur socialiste avance surtout qu’Emmanuel Macron n’a aucun plan B à la nomination de Lucie Castets : « On nous a reproché d’avoir mis 10 jours pour proposer une candidature au poste de Premier ministre. Dites mesdames et messieurs les macronistes, de la droite, de la gauche jamais contente, c’est qui votre candidat pour être Premier ministre ? Parce que ça fait 40 jours qu’on ne sait pas. »

Il prévient directement le Président : « Si vous ne nommez pas Lucie Castets, parole d’insoumis, il y aura une motion de destitution. » Assis au bord du lac d’Aiguille en début de soirée, un dirigeant LFI en remet une couche : « Ce n’est pas le rôle du président de la République de faire et défaire des majorités. Il doit être le garant des institutions. Il n’est pas un sélectionneur. »

Emmanuel Macron est dans une sorte d’impasse.

A. Taché

Le lendemain, samedi 24 août, l’appareil insoumis est à peu près sur le même ton. Une nouvelle campagne d’inscription sur les listes électorales en cas de futurs scrutins sera lancée à la rentrée, le groupe parlementaire insoumis saisira dès le début de la semaine le Conseil constitutionnel à propos de ces ministres qui siègent au Parlement en tant que députés, des « caravanes de la destitution » seront lancées partout en France.

« Emmanuel Macron est dans une sorte d’impasse. À droite, Laurent Wauquiez veut censurer un gouvernement avec des insoumis, mais il ne veut pas participer à une coalition gouvernementale. Dans son camp, Gabriel Attal ne veut pas que le Premier ministre soit issu du bloc central. Il n’a pas de plan B, donc il existe une petite chance pour que Lucie Castets soit nommée », expose Aurélien Taché, député LFI du Val-d’Oise venu des Écologistes.

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Mais voilà que Jean-Luc Mélenchon lâche une petite formule dont il a lui-même le secret. Invité du 13 heures de TF1 en duplex de Châteauneuf-sur-Isère, il pose une question adressée à Ensemble pour la République (ex-Renaissance), Horizons et le Modem : « Si le gouvernement de Madame Lucie Castets ne comportait aucun ministre insoumis, est-ce que vous vous engagez à ne pas voter la censure et à lui permettre d’appliquer le programme pour lequel nous sommes arrivés en tête aux élections législatives ? » Une bombe politique mijotée entre Mélenchon et quelques proches vendredi soir, tous conscients que la présence de ministres LFI dans un gouvernement pourrait accélérer le processus d’une censure par l’Assemblée.

Soutien sans participation

La France insoumise serait donc prête à soutenir un gouvernement du NFP sans y participer dans l’hypothèse où Emmanuel Macron nommerait Lucie Castets à Matignon. Comme en 1936, lorsque le Parti communiste soutient le Front populaire sans compter aucun de ses membres à un poste dans l’exécutif. Le coup de poker est aussi une stratégie très habile. Car elle permettrait à LFI de ne pas être associée de trop près à un possible échec d’un gouvernement de gauche et, de ce fait, prendre une longueur d’avance sur les autres forces de gauche en vue de la prochaine présidentielle.

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Aux alentours de 15 h 30, les insoumis s’apprêtent à accueillir Lucie Castets dans le grand amphithéâtre Louise Michel. L’accueil est très chaleureux, la salle paraît tout acquise à la cause de celle qui a été candidate aux élections régionales de 2015 à la 14e place d’une liste du PS conduite par l’actuel maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, aujourd’hui opposant interne à Olivier Faure, le Premier secrétaire du parti. Dans la salle, on chante « Lucie Castets à Matignon, sinon Macron destitution ! ».

« Ça, c’est un accueil de Première ministre », s’enchante le député LFI Hadrien Clouet qui anime l’événement avec l’eurodéputée Manon Aubry. Ce n’était pas gagné. Car la candidate de la gauche unie a provoqué l’ire des insoumis durant l’été en expliquant, dans une interview publiée dans Le Parisien le 13 août, que la hausse du Smic à 1 600 euros net était « un horizon ». Et pas forcément une mesure qui serait immédiatement mise en œuvre.

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Lucie Castets doit donc faire ses preuves. La mise en scène ressemble à une sorte d’entretien d’embauche. Jean-Luc Mélenchon est assis au premier rang pour observer le grand oral. Interrogée par Manon Aubry et Hadrien Clouet, Lucie Castets répond sur ses premières mesures concernant la rentrée scolaire, la planification écologique, le conflit israélo-palestinien, sa méthode de gouvernement et… le Smic. « L’objectif, c’est un Smic net à 1 600 euros. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. Il est nécessaire de garder cet objectif, mais il est aussi nécessaire de voir les modalités avec les partenaires sociaux », explique-t-elle.

La destitution, c’est périlleux. Mais pourquoi pas. 

L. Castets

Et que pense-t-elle du processus de destitution lancé par les insoumis ? « Il me semble que la solution la plus simple et accessible, c’est la censure. Mais c’est fort de café de reprocher aux partis du Nouveau Front populaire de chercher des moyens pour nous sortir de la situation, commence Castets. La destitution, c’est périlleux. Mais pourquoi pas. » Pendant une heure et demie, la prétendante à Matignon lit beaucoup ses fiches, ses réponses semblent avoir été bien préparées. Peu importe : les militants semblent conquis. Lucie Castets vient de passer le test.

« Mac Macron »

Quelques minutes plus tard, lors d’un point avec la presse, l’énarque affirme voir d’un bon œil la proposition de Jean-Luc Mélenchon : « Les quatre forces du NFP ont vocation à gouverner. Nous sommes la seule coalition qui a un programme, qui a une candidate. J’ai entendu les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, je salue ses positions constructives. Il a posé une question. J’attends la réponse. »

À la fin, les insoumis gagnent toujours les batailles qu’ils engagent.

M. Bompard

Elles viendront un peu plus tard. Sur X (ex-Twitter), Jean-René Cazeneuve, député Ensemble pour la République, ne souhaite pas de « ministre LFI, pas de propositions LFI dans le programme et plus de LFI à l’Assemblée nationale ». La réplique ne tarde pas. Manuel Bompard s’en charge personnellement sur la grande scène au bord du lac, lors du meeting de clôture ce dimanche 25 août au matin : « La dernière fois qu’en France, une personne avait demandé l’exclusion d’un groupe parlementaire de l’Assemblée nationale, c’était en 1940. » La réponse fait mal.

Sur scène, le député compare l’actuel président de la République au maréchal monarchiste Patrice Mac Mahon qui, en 1877, dissout l’Assemblée à majorité républicaine. Après la dissolution, les républicains remportent les législatives, les cantonales et les municipales. Mais Mac Mahon refuse de nommer un Premier ministre républicain, envisage une nouvelle dissolution, propose un gouvernement censé être indépendant des partis qui tombe rapidement. Il appelle finalement à la constitution d’un gouvernement républicain et démissionne en 1879 après que les républicains obtiennent une majorité au Sénat. « Mac Macron doit donc demander à Lucie Castets de constituer le prochain gouvernement du pays », finit-il.

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Sinon quoi ? « S’il devait s’entêter à refuser le vote des Français, notre réponse tiendrait en trois mots : censure, mobilisation, destitution. » Le député des Bouches-du-Rhône est persuadé qu’une proposition de résolution de destitution n’est pas impossible à lancer : le groupe insoumis dispose de plus des 58 parlementaires nécessaires pour demander la destitution, la gauche a également la majorité au bureau de l’Assemblée. Deux cases sont déjà cochées. Manuel Bompard conclut par une promesse : « À la fin, les insoumis gagnent toujours les batailles qu’ils engagent. » Ou comment transformer un petit territoire champêtre en ring.

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