« Paradis naturistes », corps sans entraves

Au Mucem, une exposition lève le voile sur le naturisme, pratique à la fois populaire et mal connue, en retraçant son histoire, longue de plus d’un siècle, via un dense panorama synthétique.

Jérôme Provençal  • 27 août 2024 abonné·es
« Paradis naturistes », corps sans entraves
Le Centre héliomarin de Montalivet en 1965.
Centre Héliomarin de Montalivet, 1965 © Fonds L. Boilley / K. Oliviero

Paradis naturistes / jusqu’au 9 décembre au Mucem / Marseille (13).

Apparu en Europe à la fin du XIXe siècle, en réaction à l’industrialisation massive et à l’urbanisation galopante, le naturisme s’est largement répandu au cours du XXe siècle et rallie encore aujourd’hui un nombre important d’adeptes. Très prisé dans l’espace germanophone, il a pourtant trouvé son principal terrain d’élection en France, particulièrement – climat oblige – sur la côte méditerranéenne et certaines îles voisines.

Dans l’imaginaire collectif chrétien occidental, le paradis évoque communément le couple Adam et Ève batifolant, corps nus ou presque, à travers un jardin luxuriant. Les personnes qui expérimentent le naturisme tendent, peu ou prou, à retrouver quelque chose de cet éden, aussi fantasmatique soit-il – ce que suggère bien le titre, « Paradis naturistes », de l’exposition proposée actuellement par le Mucem, la première en France sur le sujet.

Reflet

Réunissant éléments documentaires (photos, livres, revues, cartes postales, fanions, plans, affiches, tracts, extraits de films…) et œuvres artistiques, elle s’attache à présenter, au-delà des clichés, une pratique aux formes et aux motivations diverses dont l’évolution reflète celle des mœurs et des normes. Le parcours propose un préambule avec un mur arborant un florilège de revues naturistes qui témoignent de la popularité de cette pratique (contre-)culturelle autant que de sa capacité de stimulation intellectuelle.

La première partie se consacre aux expériences fondatrices de naturisme, menées entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, dans lesquelles la quête du paradis perdu et d’un mieux-être idéalisé se révèle primordiale. À cette époque (qui n’est pas sans résonance avec la nôtre), l’idée d’un retour bienfaisant à l’état de nature fait florès, impliquant notamment un rejet des vêtements – qui entravent le corps – et un mode de vie abstinent – pas de viande, pas d’alcool, pas de tabac… Naturisme et hygiénisme sont alors intimement liés. Des mouvances se développent, par exemple la Freikörperkultur (« la culture du corps libre ») en Allemagne, et des communautés pionnières prennent forme, dont celle de Monte Verità en Suisse, devenue légendaire, mêlant végétarisme, vie rudimentaire au grand air, sexualité libre et avant-gardisme artistique.

Représentation

La suite du parcours s’articule autour des principales communautés naturistes, plus ou moins utopistes, qui ont vu le jour en France à partir des années 1920 : Physiopolis (sur l’île de Platais, dans les Yvelines), Héliopolis (sur l’île du Levant, à Hyères), le Centre héliomarin de Montalivet (véritable complexe naturiste, en Gironde, fondé par Albert et Christiane Lecocq, couple également à l’origine de la Fédération française de naturisme, créée en 1950 et toujours active) ou encore – inévitable – le Cap d’Agde, exemple archétypal du naturisme le plus hédoniste, temple à ciel ouvert du libertinage moderne.

Tout du long, l’on voit bien à quel point cette pratique a pu susciter la créativité des photographes, anonymes ou illustres (par exemple Man Ray, Elliott Erwitt et Jacques-Henri Lartigue). Issues de la série « L’île aux sirènes », les images aquatiques de Serge de Sazo exhalent une flottante grâce féerique. Par rapport à la nudité, l’exposition soulève – de manière un peu trop allusive peut-être – la question de la représentation en particulier des corps féminins, longtemps soumis à une érotisation non seulement par le biais de photos ou de films mais également à l’occasion d’élections de Miss ou Miss nue organisées dans certains lieux naturistes…

Élargissant le champ d’exploration, la dernière partie aborde différentes formes de « nudités contemporaines », souvent (très) revendicatives, à l’instar des manifestations seins nus de femmes en lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Sur un versant plus festif, cela peut donner lieu à du clubbing naturiste, représenté ici par l’affiche d’une soirée Beautiful Skin (nudité obligatoire), précisant malicieusement que le vestiaire est inclus dans le prix d’entrée.

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Exposition
Temps de lecture : 3 minutes