Les enfants de Gaza privés d’école
Il n’y aura pas de rentrée scolaire à Gaza. Déjà pris au piège d’une guerre qui semble sans fin, près de 650 000 enfants n’ont plus accès à l’école depuis presque onze mois. Une menace sérieuse pour leur avenir.
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Les enfants sont partout sur les images qui nous proviennent de la bande de Gaza. Sur les réseaux sociaux, on les voit jouer entre les tentes des camps de déplacés, ils sautent dans les vagues de la Méditerranée sur de ce qui leur reste de plage. On les voit aussi fuir derrière leurs parents à chaque ordre d’évacuation de l’armée israélienne. Un exode sans fin. La majorité n’a plus de maison, de chambre. Et puis il y a ce petit garçon au tee-shirt vert qui tente de se faufiler entre les adultes pour voir une dernière fois son père tué dans une frappe aérienne israélienne. Son visage se tord tellement la souffrance est immense. Il se mord les lèvres comme pour retenir un cri de désespoir.
Les écoles publiques, les écoles privées, elles sont toutes détruites.
Asma
Depuis près de onze mois, la guerre vole l’enfance des plus petits dans l’enclave palestinienne. Elle les prive également de l’école, qui leur offrait autrefois l’espoir d’un avenir et ce, malgré le blocus imposé par Israël depuis dix-sept ans. « Les écoles publiques, les écoles privées, elles sont toutes détruites. C’est vraiment une catastrophe », explique Asma dans un message audio envoyé par WhatsApp. Elle enseignait le français à Khan Younès. « Les plus petits, qui sont en primaire, n’ont pas appris à lire et à écrire, ajoute-t-elle. En Palestine, pour avoir un avenir, on a besoin de jeunes qui réfléchissent, qui ont une tête bien faite. »
Dans l’enclave palestinienne, où près de la moitié de la population a moins de 18 ans, l’éducation est une priorité pour les Gazaouis. Avant le 7 octobre, 94 % des enfants de moins de 10 ans allaient à l’école. Résultat : même après dix-sept ans de blocus, le taux d’alphabétisation dans l’enclave était de 97 %. Pour les parents de ces enfants qui grandissent derrière la barrière de séparation, l’école était une fenêtre sur le monde extérieur. Les familles les plus aisées inscrivaient leurs filles et leurs fils dans des écoles privées pour qu’ils apprennent notamment l’anglais dès leur plus jeune âge.
Un moyen de résistance pour beaucoup. Aujourd’hui, ces mêmes parents sont démunis. Impossible pour eux de remplacer l’école. La grande majorité des Gazaouis ont dû fuir leur maison, ils ont tout perdu et vivent dans des camps de déplacés, dans des appartements avec plusieurs autres familles ou encore dans des écoles transformées en refuge par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa).
Certaines mères, certains pères tentent de trouver des livres (…) pour permettre à leurs enfants de ne pas oublier ce qu’ils ont appris.
D. Ashour
« Certaines mères, certains pères tentent de trouver des livres et des manuels scolaires pour permettre à leurs enfants de ne pas oublier ce qu’ils ont appris, comme les mathématiques par exemple. Mais d’autres familles ne peuvent pas faire face à ce défi parce qu’elles sont sans cesse contraintes de se déplacer », explique Dalal Ashour, professeure d’anglais à Gaza. « Et il ne faut pas oublier qu’elles s’entassent parfois sous des tentes où la vie est compliquée. Les températures sont très élevées et, surtout, ce ne sont pas des lieux pour enseigner ou apprendre un programme scolaire ! »
Des enfants traumatisés, privés de routine
Lorsque les conflits se prolongent, les organisations humanitaires, comme l’Unicef par exemple, parviennent d’habitude à monter rapidement des structures scolaires provisoires dans les camps de déplacés. Une priorité pour l’éducation des enfants mais pas seulement : l’école est aussi là pour rassurer, prévenir les traumatismes psychologiques et repérer le plus vite possible les blessures invisibles des plus petits.
Mais dans la bande de Gaza, depuis le 7 octobre, les ONG ne parviennent pas à ouvrir des classes temporaires. Les ordres d’évacuations de l’armée israélienne, qui se multiplient depuis quelques semaines, viennent à chaque fois mettre fin à toute initiative. Les élèves doivent partir avec leurs parents en quelques heures et le lien avec les humanitaires se coupe à nouveau.
« Il n’y a plus rien pour distraire ces enfants dans la bande de Gaza. C’est tragique pour eux, s’inquiète Noor Bimbashi, chargée de plaidoyer Palestine pour Handicap International. Ils n’ont plus l’opportunité d’aller jouer dans une cour de récréation avec leurs camarades, avec leurs enseignants. Ils ne peuvent plus échapper à la réalité de la guerre. Ces enfants ont perdu ce qui est une routine très importante pour leur développement. Et cette routine essentielle pour les aider à se sentir mieux ne va pas revenir avant plusieurs années. »
En 2022, un rapport inquiétant de l’ONG Save The Children révélait déjà que quatre enfants sur cinq à Gaza ressentaient un état permanent de peur, de tristesse ou d’angoisse. Aujourd’hui, ces filles et ces garçons sont plongés dans une guerre d’une violence extrême. Tout ce qu’ils connaissaient n’existe plus ou quasiment plus.
Les enfants nous demandent toujours quand ils pourront retourner à l’école.
N. Bimbashi
« Les enfants nous demandent toujours quand ils pourront retourner à l’école, ajoute Noor Bimbashi. Mais ils ont bien compris qu’ils ne pourront pas y retourner bientôt et cette réalité a également un impact psychologique sur eux. » Depuis le 7 octobre, 467 écoles sur les 563 que compte l’enclave palestinienne ont été endommagées par des frappes israéliennes, selon le rapport de l’Education Cluster de l’ONU publié en mars 2024. Cela représente 88 % des établissements scolaires. Les bibliothèques aussi ont été réduites en cendres. Près de 300 enseignants ont été tués.
« On peut raisonnablement se demander s’il existe un effort intentionnel visant à détruire complètement le système éducatif palestinien », s’interrogeait en avril dernier un groupe de 25 experts de l’ONU. Un possible « scolasticide » écrit dans la foulée le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Ce terme fait référence à l’anéantissement systémique de l’éducation, notamment par la destruction des infrastructures.
Des écoles prises pour cibles
Piégée dans son appartement d’un quartier de Khan Younès encerclé par l’armée israélienne, Asma espère revoir un jour sa classe d’école primaire. « Je veux retrouver mes élèves, et ma vie d’avant. Moi, je veux continuer à enseigner. » Après un long soupir, elle ajoute : « Mais je ne sais pas… Tout est détruit ici. Il va nous falloir des années. » Et Asma le sait : il manquera des enfants dans les couloirs de son école. Selon le ministère de la Santé de Gaza rattaché au Hamas, au moins 16 000 enfants ont été tués depuis le début de la guerre.
« L’armée israélienne a bombardé l’école où on organisait des spectacles pour les enfants. » Le 16 juillet, Samara envoie ce premier message court sur WhatsApp. Le jeune Palestinien est l’un des coordinateurs de la Gaza Circus School. Quelques minutes plus tard, il écrit : « Le fils de l’un des membres du cirque a été tué. » Ce jour-là, le bombardement a visé l’école Al-Razi à Nuseirat. Elle abritait des déplacés. Quatre ont été tués.
Nous n’organisons plus rien désormais dans les écoles, c’est trop dangereux.
Samara
Depuis le début de l’été, la liste des établissements scolaires visés par des frappes israéliennes semble sans fin. Presque un toutes les 48 heures au cours du mois d’août. Tous avaient été signalés comme lieu de refuge par l’Unrwa. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées au total. Et, chaque fois, l’armée israélienne assure qu’une « base du Hamas » se trouvait dans l’école ciblée. « Nous n’organisons plus rien désormais dans les écoles, c’est trop dangereux », explique Samara. « Plus aucun lieu n’est un refuge pour nous, les civils gazaouis », répète encore une fois le jeune homme.
« Les écoles sont passées de lieux sûrs d’éducation et d’espoir pour les enfants à des abris surpeuplés, et finissent souvent par devenir des lieux de mort et de misère », écrit le 10 juillet 2024 sur son compte X Philippe Lazzarini, directeur de l’agence de l’Unrwa, après le bombardement de quatre établissements scolaires en quatre jours. Dès le début de la guerre, le gouvernement de Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a promis d’anéantir le Hamas et pour cela l’armée n’hésite pas à mener des raids sur les hôpitaux, à bombarder les tentes d’un camp de déplacés, à viser les mosquées, les églises et, depuis plusieurs semaines, les écoles également. Des actions militaires qui pourraient un jour être jugées comme crimes de guerre.