Le Nouveau Front populaire face au déni de Macron

Emmanuel Macron continue d’ignorer le résultat des législatives anticipées qu’il a lui-même déclenché contre la volonté de son propre camp. La gauche, exclue d’un gouvernement, tente de chercher des voies de sortie pour maintenir la pression sur Emmanuel Macron.

Lucas Sarafian  • 28 août 2024 abonné·es
Le Nouveau Front populaire face au déni de Macron
Lucie Castets, candidate du NFP au poste de premier ministre, déambule à côté de Manon Aubry à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), le 24 août 2024.
© Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / AFP

La nuit tombe et avec elle le verdict, alors qu’on ne l’attendait plus. À 20 heures, ce lundi 26 août, l’Élysée publie un communiqué de 28 lignes censées compiler les nombreux enseignements qu’Emmanuel Macron aurait retenus des consultations lancées le 23 août avec toutes les forces politiques du pays.

« Au terme des consultations, le président de la République a constaté qu’un gouvernement sur la base du seul programme et des seuls partis proposés par l’alliance regroupant le plus de députés, le Nouveau Front populaire, serait immédiatement censuré par l’ensemble des autres groupes représentés à l’Assemblée nationale. Un tel gouvernement disposerait donc immédiatement d’une majorité de plus de 350 députés contre lui, l’empêchant de fait d’agir. » Cinq paragraphes qui mettent fin à tous les espoirs de la gauche.

Avec ce petit texte, le locataire de l’Élysée parachève son hold-up démocratique. Le camp présidentiel termine en troisième position aux européennes et perd les législatives. Le chef de l’État s’entête, ignorant le front républicain, le rejet de sa politique exprimé dans les urnes, l’espoir suscité par le Nouveau Front populaire (NFP).

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En deux mois et avec un gouvernement démissionnaire, l’exécutif publie plusieurs centaines de décrets et travaille, en catimini, à l’élaboration d’un budget qui pourrait être présenté le 1er octobre à l’Assemblée nationale. Les visages de la politique française n’ont pas changé : Yaël Braun-Pivet est toujours présidente du Palais-Bourbon et Gabriel Attal cumule le poste de Premier ministre et celui de chef du groupe Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance). Le monde d’aujourd’hui ressemble étrangement à celui d’hier.

Et les partis politiques commencent à jouer leur propre partition en vue de la présidentielle de 2027. Persuadé qu’un gouvernement de coalition obérerait ses chances de se démarquer du bloc macroniste, Laurent Wauquiez, chef de file de la Droite républicaine, s’interdit de signer un quelconque accord. Marine Le Pen se respectabilise encore un peu plus en refusant d’être une opposition frontale à un gouvernement allant du bloc central à la droite. Quant aux insoumis, ils ont ouvert la porte à un soutien sans participation d’un gouvernement de gauche, ce qui permettrait à Jean-Luc Mélenchon de ne pas être associé de trop près à un possible échec politique.

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Le président de la République aurait bien pu nommer Lucie Castets, la représentante du bloc politique arrivé en tête. Mais au nom de la « stabilité institutionnelle », Emmanuel Macron préfère imaginer une coalition du bloc central, dans la continuité de sa politique depuis 2017. Pendant l’été, les émissaires macronistes répétaient à l’envi que le chef de l’État voulait construire une coalition allant des sociaux-démocrates jusqu’aux gaullistes. « Les échanges avec le groupe Liot et les partis EPR, Modem, Horizons, les Radicaux et UDI ont dessiné des voies de coalition », écrit l’Élysée. Cet ensemble cité concernerait, en tout, 188 députés. C’est-à-dire 5 députés de moins que le NFP.

En excluant la possibilité d’un gouvernement de gauche, le chef de l’État s’aligne une nouvelle fois avec les positions de la droite et de l’extrême droite qui, presque d’une même voix, promettaient de défendre une motion de censure si un ministre insoumis était membre d’un gouvernement de gauche ou si un gouvernement de gauche était inspiré, de près ou de loin, par une mesure défendue par La France insoumise (LFI).

Emmanuel Macron est en train d’installer l’idée qu’une coalition (…) ne peut durer que si elle obtient une neutralité bienveillante du RN.

C. Picquet

Bruno Bernard, président du conseil de la métropole de Lyon et cadre des Écologistes, va même plus loin. Il voit dans les petits calculs du locataire de l’Élysée un front implicite entre le Rassemblement national et le camp présidentiel : « Le président n’est pas gêné par le front composé de Renaissance, LR et le RN, un front qui inclut même les 350 députés cités par le président, révélant ainsi une alliance tacite qui trahit les principes républicains qui ont permis d’éviter un gouvernement d’extrême droite. »

Christian Picquet, membre de l’exécutif du Parti communiste (PCF), adopte le même regard : « Emmanuel Macron est en train d’installer l’idée qu’une coalition, durant sa cohabitation, ne peut durer que si elle obtient une neutralité bienveillante du RN. Les macronistes ont oublié le front républicain et sont en train de se préparer, de façon implicite, à un soutien du RN. »

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La situation éteint tous les rêves du NFP. Enfin presque tous. Dans la foulée de la publication de l’annonce élyséenne, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, lance : « Nous allons continuer à nous battre pour respecter la volonté des Français : les trois quarts d’entre eux veulent une rupture politique avec le macronisme. »

La France insoumise passe la seconde. Dans un communiqué de son groupe parlementaire, les députés mélenchonistes affirment qu’une « motion de destitution sera présentée par les députés insoumis au bureau de l’Assemblée nationale conformément à l’article 68 de la Constitution ». « La gravité du moment appelle une réplique ferme de la société française contre l’incroyable abus de pouvoir autocratique dont elle est la victime », lâche Manuel Bompard, le coordinateur national du mouvement.

La procédure de destitution que nous allons engager est une tentative de sauvegarde de la démocratie.

P. Vannier

« Macron a décidé, seul, de convoquer des élections législatives. Il les a perdues. Il décide, seul, d’en annuler le résultat. La procédure de destitution que nous allons engager est une tentative de sauvegarde de la démocratie face au coup de force de l’autocrate Macron », développe Paul Vannier, député LFI et responsable des élections de sa formation.

Une idée impensable ? Pas selon les insoumis. Ils disposent d’un groupe composé de 72 élus, soit plus d’un dixième des députés nécessaires pour déposer une proposition de résolution de destitution. Le Nouveau Front populaire dispose d’une majorité au bureau de l’Assemblée, ce qui permettrait à cette proposition de basculer en commission des Lois. Le NFP n’a pas la présidence de cette commission mais elle a quatre membres de plus (25) que les partis du camp présidentiel (21). Les macronistes devront donc compter sur les voix du RN (16) s’ils ne veulent pas que la proposition de résolution soit adoptée et soit votée en plénière à l’Assemblée.

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Il faudrait ensuite que l’Assemblée puis le Sénat votent favorablement. Enfin, tous les parlementaires réunis en Haute Cour devront se prononcer. Une majorité des deux tiers de ces élus sera requise pour destituer le président. Ces dernières étapes sont loin d’être acquises. Par ailleurs, les partenaires du NFP ne semblent pas convaincus par l’initiative. « Cette procédure n’est pas adéquate car elle n’a aucune chance d’aboutir. Engager le pays dans la conquête d’un objectif impossible n’est pas forcément pertinent », nuance le communiste Christian Picquet.

« Si voter ne suffit plus, on passera par la rue »

La gauche a une autre carte à jouer : la mobilisation. En réunion de groupe parlementaire LFI, le sujet d’une mobilisation massive, si Emmanuel Macron ne nommait pas Lucie Castets, avait été posé par le député du Val-d’Oise Aurélien Taché. L’idée a été, selon lui, accueillie favorablement par l’ensemble des députés. Pour le moment, l’organisation d’une grande manifestation avec les syndicats et les associations n’est pas officiellement actée.

Au sein des rangs insoumis, on parle désormais de l’organisation de « marches pour le respect de la démocratie ». Le mouvement mélenchoniste se joindra à la manifestation le 7 septembre à l’appel de deux organisations étudiantes, l’Union étudiante et l’Union syndicale lycéenne. Le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, a repris l’idée sur BFMTV, au soir de la publication du communiqué élyséen : « Je lance un appel. Dans les jours prochains, il va falloir qu’on se mobilise devant les préfectures, dans les centres-villes. Il va falloir qu’il y ait une grande mobilisation populaire. »

Il va falloir qu’il y ait une grande mobilisation populaire.

F. Roussel

Côté écologistes, même son de cloche : «Si voter ne suffit plus, on passera donc par la rue», a lancé Marine Tondelier sur France Info. Et si, pour le PS, Olivier Faure ne s’est pas montré particulièrement enthousiaste, il suivra le mouvement s’il advenait, assure-t-il.Enfin, en parallèle de ces manifestations, les communistes envisagent l’organisation d’états généraux partout en France sur la question du pouvoir d’achat, de la justice fiscale, de l’emploi et de la démocratie avec le NFP, des syndicats et des associations.

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Une autre bataille politique s’annonce : continuer de faire campagne derrière Lucie Castets et construire sa légitimité politique. Une mission ardue. « Elle restera notre candidate durant toute la législature », confirme un dirigeant insoumis. « On ne va pas abandonner l’objectif politique qui répond à l’exigence démocratique et à la tradition républicaine. Donc nous allons maintenir la pression derrière Lucie Castets », avance Christian Picquet.

Garder unies les gauches opposées 

Mais pour mener ces combats, le Nouveau Front populaire devra certainement répondre à une difficulté : maintenir son unité. Et les prochaines semaines s’annoncent houleuses. Car la période estivale a montré que la coalition des gauches n’était pas insubmersible. Et le rapport de force entre le Parti socialiste (PS) et La France insoumise est très loin d’être enterré.

Lorsque Lucie Castets a affirmé que la hausse du Smic à 1 600 euros net était simplement un « horizon » et pas un objectif à mettre en œuvre immédiatement, dans Le Parisien le 13 août, les insoumis n’ont pas été avares en critiques et ne se sont pas privés d’afficher leur désaccord publiquement. En plus de l’utilisation de l’article 68, les écologistes et les socialistes n’ont pas partagé la même ligne que l’appareil mélenchoniste sur le recours aux décrets pour abroger la réforme des retraites ou augmenter le Smic par exemple.

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Le problème majeur au sein de l’union des gauches réside au Parti socialiste. Car deux orientations politiques coexistent au sein de la formation d’Olivier Faure. La moitié du parti est très critique sur la stratégie à tenir. Ses opposants, la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, ne comptent pas se taire dans la période. Un bureau national du parti s’est tenu le mardi 27 août.

Selon un opposant interne à Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, la coalition de gauche n’a pas « cherché à travailler à la construction d’une majorité parlementaire ». Et tous répètent la même critique : l’union est inenvisageable avec Jean-Luc Mélenchon, qu’ils accusent de vouloir être « systématiquement hégémonique » dans une alliance, si la gauche souhaite réellement gouverner. Certains sont prêts à ne pas censurer immédiatement un gouvernement si la gauche est représentée.

Il y a une droite du Parti socialiste qui est prête à gouverner avec n’importe qui sauf avec nous.

J-L. Mélenchon

Les insoumis regardent la situation de loin mais ne s’empêchent pas de sortir les griffes. « Le problème que nous avons, c’est le Parti socialiste. Il y a une droite du Parti socialiste qui est prête à gouverner avec n’importe qui sauf avec nous. Et puis il y a le secteur central qui, lui, est fidèle à l’alliance », analysait Jean-Luc Mélenchon lors d’une conférence de presse accordée à la presse étrangère lors de l’université d’été de La France insoumise.

Macron a identifié la brèche

Emmanuel Macron a également identifié la brèche. Dans son communiqué, il ne cite pas LFI mais s’adresse aux trois autres composantes de l’union des gauches : « Le Parti socialiste, les Écologistes et les communistes n’ont à ce stade pas proposé de chemins pour coopérer avec les autres forces politiques. Il leur appartient désormais de le faire. » Les têtes pensantes macronistes évoquent des contacts établis avec une partie importante de députés socialistes qui pourraient, selon eux, participer ou soutenir un exécutif de coalition entre le centre et la droite.

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Néanmoins, la situation d’opposition dans laquelle se trouveraient les gauches pourrait paradoxalement renforcer leurs liens en vue des prochaines échéances électorales, les municipales en 2026, la présidentielle en 2027. Ou une dissolution dans un an. « Emmanuel Macron cherche à diviser le NFP. Mais tout le monde est conscient que monter dans un gouvernement qui bafoue le vote serait une catastrophe seulement pour l’éphémère plaisir d’avoir un ministère durant quelques semaines. Qui va monter dans le Titanic ? », raille un cadre de gauche.

En attendant, l’union des gauches se doit de penser à la constitution d’un gouvernement. L’idée peut paraître farfelue mais elle permettrait d’anticiper la chute probable d’un potentiel gouvernement, par exemple au moment des débats sur le budget qui aura lieu au mois d’octobre. De ce fait, la gauche éviterait de se perdre dans des négociations sans fin et se présenterait prête à gouverner en cas d’échec d’un exécutif technique ou de droite.

Sur ce point, la gauche unie dispose de quelques coups d’avance. Car les discussions ont plutôt bien avancé sur le sujet. Les négociations quant à la composition d’une équipe exécutive entre les quatre composantes du NFP ont été plus aisées que les tractations concernant le nom du prétendant à Matignon. « Oui, ça a été un sujet de débat, concède le député insoumis du Val-d’Oise Aurélien Taché. Mais nous avons l’idée d’une architecture globale qui respecte tous les équilibres. Et l’équilibre est déjà trouvé. »

Il vaut mieux se concentrer sur quelques combats. On ne va pas arriver en armée mexicaine.

A. Taché

En effet, les têtes pensantes de l’alliance se sont entendues sur trois principes. Le premier : un gouvernement « resserré », selon les mots de Lucie Castets dans L’Humanité. « Il vaut mieux se concentrer sur quelques combats. On ne va pas arriver en armée mexicaine », ironise Aurélien Taché. Le deuxième : si un ministère est accordé à un membre d’une force politique, le secrétariat d’État sous tutelle de ce ministère doit être attribué à un autre représentant d’une autre formation.

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Dernier principe : le respect des équilibres politiques au sein du NFP et l’ouverture à des figures de la société civile. « On a le socle d’une architecture qui permettrait d’avancer vite. Mais on n’a pas identifié les personnalités, les noms qui en seraient membres », explique un dirigeant de LFI. Le casting n’est pas encore fixé.

Mais tout ça, c’était avant que Jean-Luc Mélenchon pose sa bombe politique. Au beau milieu de l’université d’été du mouvement qu’il a fondé, le triple candidat à la présidentielle a évacué sa formation de la difficile équation. De ce fait, les discussions devront repartir de zéro ou presque. Et la gauche devra surtout bûcher sur cette question : comment construire un gouvernement sans obtenir une censure immédiate ? La réponse est peut-être introuvable.

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