Résister et créer sur les territoires face à la menace nationale populiste
« AOC » : autonomie, ouverture, coopération… Autour de ce triptyque, Sébastien Barles, adjoint au maire de Marseille et militant écologiste, envisage des pistes concrètes et locales pour mener la bataille culturelle.
Tandis que l’extrême droite tisse un suaire noir sur l’Europe et qu’en France la dissolution de l’Assemblée nationale a créé une dramaturgie extrême autour du cauchemar d’un retour au pouvoir de l’extrême droite en France, le sursaut civique des législatives doit perdurer. Le danger est en effet grand de voir la démocratie illibérale triompher en France comme c’est le cas dans plusieurs États européens déjà, avec ses régressions en matière de libertés et de droits fondamentaux, ses fièvres identitaires, ses politiques de rejet, de nationalisme exacerbé et ses politiques antimigrants de plus en plus inhumaines.
Répondre à la crise démocratique, à l’hystérie identitaire, aux colères et aux fractures sociales.
À l’heure où les deux périls vitaux pesant sur l’avenir de l’humanité sont l’inhabitabilité de la Terre et la menace de la guerre, on assiste au reflux des idées humanistes, égalitaristes et écologistes. Or, ce sont les forces sociales porteuses de ces idées qui pourront demain répondre à ces deux menaces majeures. À condition de mener et de gagner la bataille culturelle que les tenants des idées de rejet, de repli et de haine sont en train de remporter. Cela prendra du temps, de l’énergie car il faut réinvestir le champ culturel, médiatique en recréant des corps intermédiaires afin de répondre au délitement de notre société.
Les fractures sont sociales mais aussi territoriales. C’est pourquoi il convient de développer sur l’ensemble des territoires (urbains, périurbains et ruraux) des projets qui recréent du commun, qui retissent du lien social, des solidarités entre des personnes se vivant déclassées et abandonnées. Cet ancrage dans le local est essentiel. Cette démarche globale qui doit être portée par le Nouveau Front populaire (NFP) autour de la reconquête de la majorité culturelle pourrait être baptisée de l’acronyme « AOC » pour Autonomie, Ouverture et Coopération afin de répondre à la crise démocratique, à l’hystérie identitaire, aux colères et aux fractures sociales.
L’enjeu est également de mener la bataille culturelle autour de nouveaux imaginaires.
L’urgence pour le NFP est de construire, de renforcer, de structurer au long cours le nouveau front démocratique et humaniste sans abdiquer sur l’exigence de justice sociale et environnementale et de rupture à l’ordre libéral productiviste. Cela se fera en dépassant le seul cadre de convergences interpartidaires mais en mobilisant la société civile, la jeunesse, le monde scientifique, intellectuel, culturel, syndical, associatif qui aspire au changement.
L’enjeu est également de mener la bataille culturelle autour de nouveaux imaginaires, de nouveaux récits d’avenir partagé, de nouvelles utopies concrètes à inventer. Il faudra pour cela créer une coopérative « La Fabrique des Communs » avec pour mission première la réparation, la bifurcation et la réconciliation de notre société balkanisée. Cette instance horizontale aura pour objectif de mettre dans le débat public de nouvelles utopies concrètes car c’est l’espoir qu’il convient de réhabiliter pour rendre fécondes de légitimes colères et éviter le triomphe des passions tristes.
Cela passe aussi, et cela est capital, par l’échelon local en créant de nouvelles « oasis de fraternité » comme nous y invite Edgar Morin. La sécurité sociale de l’alimentation, les communautés locales énergétiques, l’industrie low-tech adaptée aux besoins des territoires, le revenu de transition écologique permettant de former aux nouveaux métiers sont autant de nouveaux horizons à explorer, à expérimenter, ici et maintenant, pour recréer du commun, de l’autonomie émancipatrice.
Résister, c’est créer. Ensemble.
Face à la crise des services publics locaux et la prolifération de déserts médicaux, inventons sur le patrimoine en friche des anciennes colonies de vacances, de nouveaux tiers lieux ruraux, des espaces d’hybridation intergénérationnels, permettant de remettre sur ces territoires de campagne et de montagne abandonnés un accès aux soins et à la culture, un lien avec la ville. Et aux gamins des quartiers populaires des villes, un accès au vivant, à la nature, aux terres nourricières et des liens avec les seniors…
Il conviendra également de créer à l’échelle locale des mutuelles d’expertise juridique et scientifique permettant d’offrir aux associations et collectifs locaux par un outil coopératif l’accès à de l’expertise juridique et scientifique pour mener des batailles victorieuses face aux destructeurs du vivant. Tout commence demain. En agissant du local au global. En faisant notre la formule d’Édouard Glissant « agis dans ton lieu, pense avec le monde ».
Les chantiers sont vastes. À nous de faire preuve d’audace, d’intelligence collective, d’esprit d’autonomie, d’ouverture et de coopération pour faire vivre une société unie dans sa diversité, cosmopolite, fraternelle et égalitaire, redonnant du sens à notre devise trinitaire républicaine.
Résister, c’est créer. Ensemble.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don